Pourtant, c’est un fait établi par les rapports successifs du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) : les changements climatiques induits par l’activité humaine entraînent une montée inexorable du niveau des mers, qui menace 20 % de notre littoral.
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Selon le Cerema, établissement public placé sous la tutelle du Ministère de la transition écologique, l’érosion du trait de côte d’ici 2100 met en péril entre 5 000 et 50 000 logements en métropole, pour une valeur immobilière de 0,8 à 8 milliards d’euros - la largeur de la fourchette tenant à l’inconnue concernant l’intensité des mesures prises pour lutter contre le réchauffement climatique.
De quoi engager un vaste mouvement de baisse des prix de l’immobilier sur le littoral ? « Pas pour l’instant », relève Catherine Guédon, de l’agence Synapse Immobilier. La conseillère en immobilier, par ailleurs très lucide sur les impacts à venir de la montée du niveau de la mer, connaît par exemple très bien le marché de l’immobilier du Cap Ferret. Des biens de luxe construits sur un site très fragile. La pointe du Cap Ferret perd 4 à 5 mètres par an.
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Sur cette petite langue de sable prise entre le bassin d’Arcachon et l’Atlantique où les riverains s’appellent Xavier Niel, Marion Cotillard ou Pascal Obispo, les maisons partent à prix d’or, même si leurs beaux jardins paysagers sont à refaire après chaque tempête. « Dans ce marché de niche, les acquéreurs ont de très gros moyens financiers, ils achètent un endroit magnifique, préservé, et ne se préoccupent pas de savoir quelle sera la durée de vie de leur villa, explique Mme Guédon. Il y a aussi des marchands de bien qui achètent des maisons de famille pour les raser et reconstruire au même emplacement, sur la dalle de la maison d’origine, et ce pour contourner l’interdiction de construire de nouveaux bâtiments sur une partie de la presqu’île ». C’est ainsi qu’en 2022 une bâtisse au crépi fatigué des années 80, objectivement sans aucun charme et nécessitant beaucoup de travaux, s’est vendue… 6,53 millions d’euros.
En Floride, la gentrification climatique
Un peu plus loin sur la côte Aquitaine, Lacanau-Océan. Dans la station balnéaire, célèbre notamment pour ses magnifiques spots de surf, il a fallu reconstruire des enrochements emportés par les tempêtes de 2013 et 2014. Les effets du recul du trait de côte sont bien connus des habitants. « Les gens qui achètent pour vivre à Lacanau savent jusqu’où l’eau devrait monter d’ici 50 ans », souligne Catherine Guédon.
Les appartements du front de mer continuent pourtant de se vendre à des investisseurs, qui les louent aux touristes et sont certains de rentabiliser leur investissement avant qu’il ne soit rongé par l’eau salée. « Il y a vraiment deux segments sur ce marché de bord de mer, confirme Thibault Laconde, fondateur en 2019 de Callendar, une entreprise qui propose des solutions pour anticiper les effets du changement climatique à l’échelle locale.
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Les acheteurs “normaux”, qui veulent se constituer un patrimoine et le transmettre, sont plus prudents que les millionnaires qui se préoccupent peu de la valeur de leur bien à la revente. L’ingénieur explique qu’un autre phénomène se dessine, notamment en Floride, état assailli par la montée des eaux, où s’est enclenché un mouvement de « gentrification climatique » : les bords de mer y sont progressivement abandonnés par les plus riches, qui vont s’installer plus en hauteur dans des quartiers jusque-là moins prisés, lesquels deviennent rapidement inaccessibles aux classes populaires.
On n’en est pas (encore) là en France, où selon Thibault Laconde les prix de bord de mer finiront par baisser, mais sans doute pas avant 10 ou 20 ans. En attendant, Callendar propose des applications gratuites pour ceux qui souhaitent investir l’esprit tranquille : en y entrant son adresse on peut connaître le degré d’exposition de son bien aux risques (submersion, incendies, fréquence des canicules…). De quoi aller un peu plus loin que la nouvelle obligation légale qui, depuis le 1er janvier 2023, contraint les vendeurs d’un bien à fournir un état des risques liés à l’érosion côtière.
Acheter en connaissance des risques, c’est ce qu’on fait Anne et Jacques au moment de s’offrir leur résidence secondaire. Parents de deux ados, ils ont acheté en 2016 sur la côte normande une très jolie maison ancienne dotée d’un magnifique jardin, le tout à 5 minutes à pied de la plage.
Les deux Franciliens ont payé ce bijou 225 000 euros, soit 2 à 3 fois moins que le prix du marché, car une partie de leur domaine est dans une zone rouge : le terrain glisse inexorablement vers la mer, rongé par des failles. « On a pris un risque, reconnaît Anne, mais on savait en achetant ». La quadra essaie de ne pas trop s’attacher à cette maison, « car on ne sait pas à quelle vitesse le mouvement de terrain va progresser », mais ne s’inquiète pas particulièrement pour une revente éventuelle ; la semaine dernière, Anne et Jacques ont trouvé dans leur boîte à lettres un mot d’un agent immobilier qui cherche des biens à vendre dans leur coin de paradis - même si le paradis est en sursis.
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