L’essentiel.
- Le secteur résidentiel-tertiaire est le deuxième poste d’émissions de gaz à effet de serre de la France (environ 20 %) et l’empreinte carbone d’un logement s’élève à environ 2,4 tonnes de CO2 annuelles par personne.
- S’est imposée face à ce constat statistique l’idée d’une rénovation à grande échelle des logements français. La loi prévoit que l’ensemble du parc immobilier français atteigne un niveau de performance énergétique conforme aux normes "bâtiment basse consommation" (BBC) à l’horizon 2050, grâce à la rénovation de 500 000 logements chaque année.
- Problème, l’effet rebond, ou paradoxe de Jevons, où une meilleure efficacité énergétique peut conduire en réalité à une plus grande consommation, pourrait menacer l’efficacité de cette politique publique.
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12 milliards d’euros. C’est le montant que le groupe écologiste et son homologue socialiste à l’Assemblée nationale avaient décidé d’allouer au dispositif MaPrimeRénov, adopté en janvier 2020 et devant permettre aux propriétaires, quelles que soient leurs ressources, d’engager des travaux de rénovation énergétique de leur logement.
Cet amendement au projet de loi de Finances 2023, qui multipliait par quatre le montant de ladite prime, avait fait grincer des dents les représentants de l’exécutif, qui avaient dénoncé un accord de circonstances entre élus de la Nupes et du RN pour voter la mesure.
Le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu, avait fait mine de s’étonner d’un tel vote de la part d’oppositions qui qualifiaient, il n’y a pas si longtemps, MaPrimeRénov de « dispositif qui ne marche pas » …
Ambiance dans l’Hémicycle ! Si l’amendement n’a finalement pas été retenu, tué dans l’œuf par l’arme constitutionnelle du 49.3, il a mis en exergue l’importante place prise par la transformation énergétique des bâtiments dans le débat public.
De l’effet rebond au « paradoxe de Jevons »
Malgré tout, la rénovation thermique permet-elle réellement de réaliser des économies d’énergie ? Pas si sûr, à en croire nos confrères du Monde, qui ont relayé les conclusions d’un rapport publié en juin 2020 par la GdW, la plus grande fédération allemande de sociétés immobilières (6 millions de logements et 13 millions d’habitants représentés), faisant état d’un effet nul, sur la consommation des logements, des 340 milliards d’euros investis dans la rénovation énergétique des bâtiments depuis 2010.
Huit ans plus tard, un foyer consommait en moyenne 130 kWh par mètre carré au cours d’une année, soit… 1 kWh de moins qu’en 2010. Autrement dit, quasiment rien !
La raison à cela ? Elle pourrait bien s’appeler l’effet rebond, un phénomène observé lorsque des économies d’énergie attendues grâce à l’utilisation d’une ressource ou d’une technologie plus efficaces énergétiquement ne sont pas obtenues, voire aboutissent à des surconsommations, à cause d’une adaptation des comportements dans le sens d'une moindre responsabilité.
Poussé à son paroxysme, ce phénomène est appelé le « paradoxe de Jevons », du nom de William Stanley Jevons, un économiste britannique du XIXe siècle. Cet effet rebond est vérifiable quel que soit le domaine, qu’il s’agisse de l’électroménager, du marché automobile, des technologies numériques… et des logements !
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Paradoxe de Jevons
« L’idée selon laquelle un usage plus économe de combustible équivaudrait à une moindre consommation est une confusion totale. C’est l’exact contraire qui est vrai », a écrit l’économiste britannique William Stanley Jevons au XIXe siècle à propos du charbon. Dans son paradoxe, Jevons explique qu’une meilleure efficacité productive ou énergétique peut conduire en réalité à une plus grande utilisation du produit et de son énergie connexe. La consommation du bien augmente parce que les coûts de production, et donc son prix, diminuent grâce à ces améliorations, ce qui le rend accessible à une population plus nombreuse qui en demande davantage.
Réflexes de sobriété par obligation
« Le comportement adopté par ses habitants joue un rôle fondamental au niveau de la facture énergétique d’un appartement », explique Bernard Sesolis, énergéticien du bâtiment de formation et auteur de plusieurs rapports sur le sujet. En effet, cette facture énergétique résulte du degré d’isolation d’un immeuble conjugué à l’usage qui en est fait de la part de ses occupants.
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Or, comme la plupart du temps, la variable d’ajustement des comportements adoptés n’est autre que la facture payée par les usagers à la fin du mois : si, grâce à une bonne isolation, un habitant peut se permettre de chauffer son appartement de trois ou quatre degrés supplémentaires (voire plus) pour le même prix, son réflexe logique sera de se permettre ce luxe. « Plus l’on affiche de la performance, plus les gens se lâchent ! » ose Bernard Sesolis.
Pour autant, il serait injuste de considérer ce réflexe comme un caprice égoïste. Les isolations thermiques permettent à un grand nombre de ménages de sortir d’une précarité énergétique à laquelle ils semblaient assignés toute leur vie.
Alors que le seuil des 19 degrés a été fixé par le gouvernement pour cet hiver, bien des Français ont adopté des réflexes de sobriété par obligation et depuis longtemps, faute de moyens pour maintenir leur logement à une température décente.
« Des ménages vivant dans des passoires thermiques ne pouvaient dépasser les 16 degrés, même durant les hivers les plus rigoureux, éclaire Bernard Sesolis. Pour le prix qu’ils payaient avant, et après les travaux d’isolation, ils pourront tout juste atteindre les 19 ou les 20 degrés. Pour eux, l’effet rebond consistera simplement à atteindre le confort minimal qui leur était auparavant inaccessible ».
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Réflexe social et modification des mœurs
L’usage compte beaucoup dans la facture, le volume de construction compte aussi. C’est l’autre raison majeure expliquant l’effet rebond. Dans un monde en perpétuelle hausse démographique, le besoin de se loger conduit à une intensification des constructions. « Si 100 logements sont isolés mais que l’on en bâtit en parallèle 30 de plus, les bienfaits globaux vont automatiquement et arithmétiquement être annulés ! » affirme Fabrice Bonnifet, directeur développement & QSE (qualité, sécurité, environnement) du groupe Bouygues et président du C3D (collège des directeurs du développement durable). « Ce que nous gagnons en intensité d’un côté, nous le perdons en volume de l’autre ! » complète-t-il.
Alors, que faire ? Pédagogie ? Coercition ? Comme souvent, il semblerait que l’effet rebond découle avant tout d’un réflexe social lié à l’habitus, concept développé par le sociologue Pierre Bourdieu. Dans nos sociétés occidentales modernes, où ont longtemps régné le no limits et l’abondance, la surconsommation énergétique est longtemps apparue comme un signe d’appartenance sociale.
Porter un pull chez soi pouvait même être perçu comme une sorte de déclassement, avant que le gouvernement ne tente un renversement des valeurs en cette rentrée avec sa fameuse injonction à chauffer moins et à porter des cols roulés.
« Regardons du côté des États-Unis, pays de la surconsommation par excellence, propose Bernard Sesolis. Chauffer à outrance en hiver et climatiser au maximum en été apparaît encore comme un symbole d’aisance sociale. Baisser le chauffage en hiver et enfiler un pull chez soi n’est pas loin de vous faire passer pour un gauchiste hippie ! »
L’effet rebond est-il alors un phénomène inéluctable ? Comme le réchauffement climatique, la sensibilisation à l’effet rebond passera inévitablement par un long travail de modification des mœurs…
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Dans le programme de SES
Terminale. « Quelle action publique pour l’environnement ? »
Première. « Comment la socialisation contribue-t-elle à expliquer les différences de comportement des individus ? »