Dans leur salon de Larressore, à 20 kilomètres de Bayonne, dans les Pyrénées-Atlantiques, Élodie et Jordan se désespèrent, en ce mois de février 2022. Le couple de trentenaires écume les petites annonces sur leur ordinateur portable, à la recherche depuis un an d’une location au Pays basque.
Dans trois semaines, ils devront rendre leur logement, mis en vente par le propriétaire, et se reloger avec leurs cinq enfants âgés de 1 à 12 ans.
Depuis près de trois ans, la famille vit à l’étage supérieur d’une maison « mal isolée » qui dispose de quatre chambres. Sur les murs du salon, deux photos de famille sur toile et une peinture des enfants sont accrochées de guingois au-dessus d’un canapé d’angle en cuir rouge, qui occupe la moitié de la pièce.
« Ici, on paye 675 euros de loyer. Pour la même chose dans le coin, il faudrait aujourd’hui de 850 à 900 euros, sans compter les charges. Pour nous, c’est impossible », déplore Élodie.
Femme de ménage à temps partiel, la jeune femme touche 300 euros par mois et environ 1 000 euros d’aides sociales. Son conjoint Jordan, poissonnier en CDI, touche 1 500 euros. Avec ce dossier, le couple n’a obtenu « que six visites » sur la douzaine de demandes envoyées.
« Les agences prennent les dossiers les plus solides [des revenus supérieurs à deux ou trois fois le montant du loyer, NDLR], on ne peut pas rivaliser. » Le couple s’est résolu à chercher du côté de Dax, à 70 kilomètres de chez eux, « quitte à abandonner un emploi pour en chercher un ailleurs ».
Littoral saturé
Souvent, une annonce de location attire entre « 30 et 50 dossiers », d’après l’Observatoire local des loyers du Pays basque (OLL). Dans ce territoire, 27 % des ménages sont locataires dans le parc privé, contre 23 % à l’échelle nationale.
Le Sud-Ouest est ainsi devenu la troisième zone la plus chère, derrière la région parisienne et le Sud-Est. Avec un loyer médian de 10,6 €/m2 en 2020, le Pays basque rivalise avec Grenoble, Toulouse ou Nantes. Cette moyenne cache des disparités entre le littoral (12,2 €/m2 à Anglet) et les terres (7,8 €/m2).

Les prix demeurent « moyens », mais à Bayonne, ils connaissent « une augmentation supérieure à la moyenne nationale entre les périodes 2010-2014 et 2015-2019 », souligne France Stratégie dans une note de janvier 2022. Les Sables-d’Olonne (Vendée) ou Royan (Charente-Maritime) sont dans la même dynamique.
« Ça a toujours été saturé ici, mais c’est devenu n’importe quoi », observe Jordan, le poissonnier natif du Pays basque. La colère enfle dans la région, à tel point que 8 000 personnes s’étaient rassemblées pour une manifestation à Bayonne, le 20 novembre 2021, avec une revendication : « Vivre et se loger au Pays basque ».
Les professionnels de l’immobilier, interrogés par l’OLL à l’été 2021, attestent que l’offre de location est « clairement insuffisante ». En 10 ans, le parc privé locatif s’est étendu de 20 % en moyenne, avec 59 % de locations supplémentaires dans les terres contre 2 % seulement dans la zone littorale.
En face, la demande, elle, ne faiblit pas. Avec près de 3 000 nouveaux arrivants chaque année, attirés notamment par les emplois sur le littoral, la population croît plus vite dans le Pays basque que dans le reste du pays.
Résidences secondaires vacantes
Comment loger tout le monde dans un territoire où plus d’un quart des logements sont des résidences secondaires ? En 2017, sur 200 000 logements au Pays basque, plus de 42 000 étaient secondaires et plus de 11 000 vacants.

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Et ça ne devrait pas s’arranger : le Programme local de l’habitat (PLH) de la Communauté d’agglomération du Pays basque (CAPB) prévoit 5 000 résidences secondaires et 14 000 logements vacants supplémentaires d’ici 2026. Le problème se pose aussi à Royan ou dans le Var.
La liste des villes appliquant une majoration de la taxe d’habitation des résidences secondaires, parmi lesquelles Bayonne, Anglet et Saint-Jean-de-Luz, s’allonge d’année en année. Ces surtaxes, jusqu’à 60 %, ne produisent pas l’effet recherché.
Les 24 communes du Pays basque en zone tendue se sont aussi portées candidates à l’encadrement des loyers. Mais la mesure, déjà en place dans les zones tendues à Paris, Lille et bientôt Bordeaux, fait débat.
Elle limite les hausses de loyer lors du changement de locataire, avec parfois un loyer de référence maximal imposé. Des élus basques en pointent les limites : la mesure ne serait efficace qu’en empêchant les locations saisonnières, privilégiées par les propriétaires pour leur rentabilité.
« Les Airbnb vampirisent le parc locatif à l’année. Des logements destinés à l’habitation sont détournés en investissements financiers », dénonce Txetx Etcheverry, membre de la commission logement de l’association basque ALDA, qui accompagne Élodie et Jordan. Entre 2016 et 2020, le nombre de meublés touristiques a augmenté de 186 % dans le Pays basque et le sud des Landes, le littoral concentrant les revenus locatifs les plus élevés.
Louer son logement aux touristes en juillet et en août étant très rentable, les locations à l’année se raréfient.
La construction au ralenti
Au Pays basque, la hausse des prix de l’immobilier due aux meublés touristiques n’est pas chiffrée. Mais le phénomène a été étudié à Barcelone par des chercheurs espagnols. Ils démontrent que la présence de Airbnb conduit à une hausse moyenne des prix de vente (+4,6 %) et des loyers (+1,9 %).
La hausse est plus marquée dans les quartiers les plus actifs sur la plateforme : +7 % sur les loyers, +17 % sur les ventes.
Pendant que certains affirment qu’il existe assez de logements au Pays basque mais qu’ils sont sous-utilisés, d’autres veulent plus de logements neufs. En avril 2021, la CAPB a tranché : la construction baissera de 14 % pour la période 2021-2026. La moitié des nouveaux logements construits seront sociaux et la production de résidences secondaires sera limitée.
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L’objectif est de « mieux maîtriser » la construction. Par rapport à la période 2010-2018, le plan prévoit de freiner les logements neufs sur le littoral et le rétro-littoral (-19 %) et de produire dans les terres (+70 %).
Avec neuf nouveaux logements par an pour 1 000 habitants, le taux basque reste supérieur à la moyenne nationale de 5 pour 1 000, sans pour autant que la région résolve son problème.
En France, l’offre de logement manque d’élasticité : la construction ne suit pas la demande.
Et le « choc d’offre » voulu par Emmanuel Macron n’a pas eu lieu : le nombre de mises en chantier dans le pays a chuté de 437 000 en 2017 à 392 000 en 2021, avec une forte baisse en 2020, due à la pandémie.
Il faudrait pourtant construire 400 000 à 500 000 logements neufs par an pendant 10 ans pour répondre aux besoins démographiques d’ici 2030, estime la Fondation Abbé Pierre.
Impossible pour une aide-soignante
Au Pays basque, 70 % des ménages sont éligibles à un logement social. Près de 10 000 demandes restent sans réponse chaque année avec, en moyenne, une attribution pour 6,6 demandeurs.
Pour accéder à un HLM, le délai moyen s’élève à 22 mois, le double par rapport au reste de la région Nouvelle-Aquitaine ou à la moyenne nationale.
Le couple de Bayonne ne disposait pas de ce temps. À force de relances, Élodie a fini par obtenir leur passage en commission. Mais quelques jours avant, elle n’était pas sereine : « Avec notre situation, on devrait être prioritaires, mais l’assistante sociale m’a fait comprendre qu’il peut toujours y avoir un cas encore plus urgent. »
« Une aide-soignante touchant 1 500 euros ne trouve plus rien dans ses moyens dans le parc locatif privé, mais son revenu peut être trop élevé pour être prioritaire dans le social », observe Txetx Etcheverry, de l’association ALDA. « Plus personne n’arrive à résoudre l’équation. »
Le nouveau PLH prévoit 40 000 logements sociaux d’ici 2026, un plan ambitieux mais insuffisant, d’après ALDA. Pour Élodie et Jordan, la procédure d’urgence a fonctionné. Le couple réside désormais dans un T5 du parc social à Bayonne, dans un quartier « pas très recommandable », mais « un T5 pour une famille de cinq enfants, c’est très bien », se félicite Élodie.
Bail solidaire
Au niveau national, la situation se complique aussi. La production de HLM a dégringolé durant le dernier quinquennat, passant de 124 000 en 2016 à 105 000 en 2019.
Durant cette période, les aides à la construction ont diminué, note également la Fondation Abbé Pierre. Autre problème : des logements acquis grâce à des aides publiques d’accession sociale à la propriété sont aujourd’hui revendus avec une plus-value et ne profitent plus aux ménages les plus dans le besoin.
Pour éviter cela, le Pays basque a été l’un des premiers territoires à expérimenter le Bail réel solidaire, un dispositif lancé en 2016 qui permet de dissocier le foncier (terrain) du bâti pour faire baisser le prix des logements à l’achat. Ce bail encadré par la loi permet aux ménages modestes d’accéder à la propriété en zone tendue à un prix abordable. Pour cela, ils achètent leur logement neuf et louent le terrain sur lequel la résidence est construite.
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Destiné aux ménages modestes, sous condition de ressources, il permet d’acheter les murs de sa résidence principale (le bâti) en étant locataire seulement du terrain contre une redevance modique à un Organisme de foncier solidaire (OFS). Les prix d’achat et de revente sont plafonnés.
Devenir propriétaire n’est même plus envisageable pour de nombreux ménages du Pays basque.
Conscients des difficultés de logement sur le territoire, les élus locaux cherchent tant bien que mal à résorber la crise avec les outils dont ils disposent : construction de logements sociaux, candidature à l’encadrement des loyers, réglementation des meublés touristiques…
Mais la politique locale dépend aussi des évolutions du marché immobilier, régi avant tout par l’offre et la demande, et des orientations nationales, qui sont dans les mains du gouvernement.

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