Cet article est extrait de notre magazine consacré au pouvoir d'achat. À retrouver en kiosque et en ligne.
Rien ne se perd, tout se transforme. Depuis toujours, les paysans valorisent les résidus de leur culture et le fumier du bétail pour fertiliser leur sol. Avec l’agriculture industrielle, les quantités produites sont telles que ces éléments servent désormais à alimenter le réseau énergétique français en électricité et en gaz renouvelable.
D’immenses cuves rondes ont fait leur apparition un peu partout dans les campagnes françaises. À l’intérieur, la reproduction d’un phénomène naturel nommé la méthanisation, soit la décomposition de matières organiques en milieu anaérobie (sans oxygène), qui génère un gaz riche en méthane.
Une fois filtré, ce « biogaz » possède les mêmes propriétés que le gaz naturel. Selon l’installation, il peut être exploité en cogénération (pour la production d’électricité et de chaleur) ou injecté directement dans les réseaux gaziers.
Complément de revenus
Fin 2020, on dénombrait 1 075 installations de méthanisation (214 en injection, 861 en cogénération) pour une production passée de 1 TWh1 en 2007 à près de 7 TWh en 2019. Les agriculteurs produisent 86 % du biogaz injecté dans les réseaux et 76 % de celui qui est converti en électricité.
« Beaucoup d’exploitants agricoles ont vu dans la méthanisation un revenu complémentaire stable. C’est important dans un contexte de baisse continuelle du prix d’achat de la viande, du lait et des céréales », relate Jérémie Priarollo, responsable Ingénierie méthanisation à Solagro, une association qui a suivi près de 150 dossiers d’agriculteurs.
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D’après Solagro, la plupart des unités de méthanisation regroupent moins d’une dizaine d’agriculteurs, souvent de gros exploitants – céréaliers, éleveurs bovins et porcins. La méthanisation leur permet de faire des économies : « Le digestat, ce qu’il reste à la fin du processus de méthanisation, a un effet fertilisant plus intéressant que le fumier. Toutes les fermes que nous avons suivies ont diminué leur consommation en engrais azotés », décrit Jérémie Priarollo.
Au départ, les premières candidatures concernaient largement la cogénération. Le biogaz, produit dans de petites unités, y est directement brûlé afin de générer de l’électricité, revendue à EDF. La chaleur est ensuite utilisée par les producteurs pour chauffer une serre ou sécher le fourrage. Le nombre de ces installations se stabilise quand celles dites « à injection » se déploient à toute vitesse.

Rien qu’entre 2019 et 2020, 91 installations d’injection ont été raccordées aux réseaux gaziers. Inexistantes avant 2013, elles sont désormais près de 300 unités sur le territoire.
L’engouement des distributeurs de gaz
« Aujourd’hui, le gaz arrive de loin, de Russie, du Qatar […]. Grâce au développement du biométhane, le gaz sera produit localement et va remonter sur les réseaux », anticipe Thierry Trouvé, directeur général de GRT Gaz, gestionnaire du réseau de transport de gaz.

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Lors de son audition par le Sénat, en mai 2021, ce professionnel du secteur rappelait que 1 026 projets à injections étaient inscrits en « file d’attente. Ils pourraient alimenter 2,2 millions de foyers en gaz le jour où ils seront raccordés », selon lui.
Le déploiement de la méthanisation est tellement rapide que les partisans d’un développement raisonné du secteur commencent à redouter un accaparement des terres agricoles et une hausse des accidents.
Les réticences locales ont conduit le Sénat à constituer une mission d’information sur le sujet dont le rapport final2 préconise d’éviter le scénario « du tout biogaz » en veillant « à l’équilibre du mix énergétique », même s’il n’écarte pas les arguments des industriels concernant les avantages du biogaz : facilité de stockage, création d’emplois, diminution des émissions de gaz à effet de serre.
Si tous les projets de méthaniseurs en attente voient le jour, la capacité maximale de production avoisinerait les 21,5 TWh/an. En prenant en compte la production déjà existante (7 TWh/an en 2019), les objectifs de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), document fixant la stratégie énergétique nationale, tablant sur une production à hauteur de 24 à 32 TWh/an en 2028, seraient largement atteints3.
Quant aux professionnels du gaz, ils saisissent l’opportunité pour adapter leurs infrastructures aux nouveaux marchés énergétiques. Car pour relier les fermes productrices d’énergie aux foyers de millions de particuliers, le réseau actuel doit être transformé et surtout agrandi.

Un biogaz français
Comme le réseau électrique, le réseau gazier a été conçu pour être descendant, c’est-à-dire articulé autour de grands points de production, les terminaux méthaniers de Montoir-de-Bretagne, Fos-sur-Mer et Dunkerque, qui réceptionnent le gaz de l’étranger.
Ce dispositif est remis en cause avec les énergies renouvelables produites localement. « De plus en plus, la production d’énergie est décentralisée. Les réseaux doivent donc fonctionner dans les deux sens », analyse Jérémie Priarollo.
La loi Egalim (novembre 2018), a d’ailleurs proclamé le « droit à l’injection ». L’installation des nouveaux tuyaux est désormais à la charge des gestionnaires de réseaux et de l’État et non des agricultreurs producteurs de biométhane.
Le coût des travaux de renforcement, évalué à 900 millions d’euros par la Commission de régulation de l’énergie, risque bien pourtant, in fine, de se répercuter sur la facture des ménages. Mais, la flambée du prix du gaz naturel d’octobre 2021, passé à 135 euros le MWh, un record (prix moyen facturé en France : 77 euros le MWh) rend de plus en plus probable que le biogaz français devienne compétitif.
Notes
1. 1 mégawatt-heure (MWh) = 1 000 kilowatt-heure ; 1 gigawatt-heure (GWh) = 1 000 MWh ; 1 térawatt-heure (TWh)
= 1 000 gigawatt-heure
2. « La méthanisation dans le mix énergétique : enjeux et impacts », mission d’information, oct. 2021.
3. Chiffres du ministère de la Transition écologique et solidaire.