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Passoires thermiques : la rénovation, nécessaire fardeau
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Passoires thermiques : la rénovation, nécessaire fardeau
Sélection abonnésLutter contre les passoires thermiques permettrait de réaliser des économies d’énergie (et d’argent) considérables. Mais les rénovations énergétiques ne sont pas évidentes à enclencher.
Audrey Fisné-Koch
© monkeybusinessimages / iStock
Les spécialistes sont unanimes : la question de la rénovation énergétique est primordiale, pour des raisons économiques, écologiques ou encore sociétales. En France, ce chantier est considérable : les bâtiments sont responsables de 17 % des émissions directes de gaz à effet de serre. On arrive même à 28 %, si l’on ajoute les émissions indirectes liées à la consommation d’énergie.
Ces chiffres s’expliquent notamment par les sept millions de logements dits « passoires thermiques », c’est-à-dire ceux qui affichent des niveaux de performance énergétique les moins performants (on parle des catégories F et G dans l’échelle des DPE).
« Leur transformation en logement basse consommation se traduirait par une baisse de l’ordre de 30 % des émissions de gaz à effet de serre du parc de logements, soit près de 5 % des émissions de GES de la France », souligne Vincent Aussilloux, directeur du département Économie à France Stratégie.
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DPE
Diagnostic de performance énergétique. Le procédé classe un logement en fonction de sa performance énergétique via un système de catégories de A à G. Établi par un professionnel, le diagnostic prend en compte la consommation d’énergie, les émissions de gaz à effet de serre, le système de chauffage ou encore les caractéristiques du logement (surface, bâti, isolation, etc.).
Des mesures pour lutter contre ce fardeau
Pour comprendre comment on en est arrivé là, il faut remonter à l’après-guerre. « À cette époque, on avait besoin de construire un maximum, de cimenter. On ne se souciait pas vraiment de la consommation énergétique des bâtiments », nous explique Carine Sebi, professeure et coordinatrice de la chaire « Energy for society » à Grenoble École de management. « Et puis, dans les années 1970, il y a eu les chocs pétroliers. On s’est rendu compte que l’on dépendait du gaz et du pétrole, la facture s’est alourdie et on a alors progressivement mis en place des réglementations. »
Pour les logements neufs ? Ça fonctionne bien, les différents acteurs du secteur savent s’organiser et les normes sont très précises. Mais pour l’existant, la tâche n’est pas simple. « Chaque bâtiment a sa particularité. On ne peut donc pas utiliser un processus industrialisé pour rénover et donc, on peine à rentabiliser : les économies d’échelle sont impossibles. C’est devenu un fardeau pour le gouvernement », complète l’enseignante.
Face à ce problème, le législateur a enclenché toute une série de mesures, notamment dans la récente loi Climat : le propriétaire d’une passoire thermique ne peut plus augmenter le loyer entre deux locations sans l’avoir rénovée. Les logements classés G, considérés comme indécents, seront interdits à la location à partir de 2025, puis ce sera au tour des logements classés F dès 2028 et aux logements classés E d’ici à 2034.
En d’autres termes : « L’objectif est de rénover toutes les passoires thermiques d’ici 10 ans », peut-on lire sur le site du ministère de la Transition écologique. Et donc, de pousser les propriétaires à agir.
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La hausse du prix de l'énergie, un tournant
Le message est bien passé. Pour la professeure Carine Sebi, on assiste même à un point de bascule, alimenté par les réglementations et la hausse des prix des énergies : « Ça y est, les gens croient à la menace et à la valeur verte du bâtiment. Ils voient le gain de confort et la plus-value. Aujourd’hui, une personne va regarder l’étiquette du DPE avant d’acheter. Les agents immobiliers y prêtent attention. Tous se rendent compte que si le logement ne se trouve pas dans les bonnes catégories, il ne pourra plus être loué ou vendu, ou que ce dernier sera dévalué. » Alors qu’un logement classé A ou B connaîtrait une surévaluation.
Or, difficile d’imaginer que les propriétaires ne suivent pas le mouvement. Comme l’indique Isolde Devalière, sociologue et cheffe de projet « Précarité énergétique » à l’Ademe, chargée du pilotage de l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE) : « Ils vont progressivement améliorer la qualité thermique de leur logement. C’est impensable qu’ils renoncent à en tirer des revenus. »
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Mais c’est là que le bât blesse : quelle stratégie adopter ? En fonction de la performance énergétique du logement, certains peuvent opter pour une amélioration étape par étape. « En ayant recours à des diagnostics, des auditeurs, on détermine comment prioriser, quelles sont les étapes essentielles. Cela permet d’éviter les pertes de rentabilité sur investissement et l’effet de cliquet », poursuit Carine Sebi.
Par exemple, si vous changez votre chaudière au fuel par une pompe à chaleur hyperperformante qui coûte 20 000 euros, et que trois ans plus tard, vous isolez vos murs ou votre plafond, vous aurez surinvesti dans la pompe à chaleur, puisque vos besoins énergétiques ne seront plus les mêmes.
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Effet de cliquet
Terme utilisé dans les domaines économiques ou politiques pour exprimer un « effet de mémoire » irréversible. Un procédé qui empêche le retour en arrière, une fois un certain stade dépassé
Un investissement sur le long terme
Pour aller plus vite et améliorer la performance énergétique d’un logement, une rénovation globale est aussi possible, c’est-à-dire réaliser en une fois de gros travaux (isolation, changement du système de chauffage, ventilation, etc.).
La rénovation de près de huit millions de logements privés (un passage vers la catégorie C notamment pour l’ensemble des passoires énergétiques) serait rentable sur vingt ans. C’est ce qu’a étudié France Stratégie dans son dernier rapport, qui calcule les économies d’énergies réalisées à partir des coûts d’investissements et du DPE des logements. « Par exemple, au bout de douze ans, 35 % des logements ayant effectué une transition de G vers C ont déjà rentabilisé leur investissement », lit-on dans le rapport.
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Le souci, c’est que les dépenses sont souvent conséquentes, même si elles font l’objet d’aides financières. « Ce peut être rédhibitoire pour les ménages », commente la professeure Carine Sebi.
L’une des solutions évoquées par l’économiste, mais aussi par France Stratégie serait de faire entrer un acteur supplémentaire dans l’équation, un tiers payant : « Les particuliers rétrocéderaient 75 % des économies réalisées sur leur facture à un opérateur ensemblier [une entreprise spécialisée dans la rénovation énergétique, une fédération locale d’artisans, une société d'économie mixte, etc.] en échange d’une prise en charge intégrale du financement et du pilotage des travaux de rénovation. » Un scénario gagnant-gagnant, pour Vincent Aussilloux, économiste et auteur de l’étude, qui permettrait au ménage de ne pas s’endetter et de laisser le tiers payant s’occuper de tout (diagnostic thermique, définition des travaux, etc.)
Gare à l’effet rebond
Néanmoins, le manque de structuration du secteur de la rénovation thermique reste un handicap pour son efficacité. Les acteurs ne sont pas suffisamment nombreux, ce qui conduit à un manque d’efficacité des rénovations et à la difficulté pour les particuliers de savoir à qui s’adresser. « Un secteur plus structuré pourrait investir plus efficacement dans la formation des professionnels et pourrait également faire baisser le coût des rénovations énergétiques grâce aux économies d’échelle, aux renforcements de l’innovation sur les matériaux, les techniques et les équipements et le développement des savoir-faire », analyse l’économiste de France Stratégie.
Et puis, il y a toujours le risque de l’effet rebond, s’accordent à dire les spécialistes : un ménage qui se chauffait à 19 °C et qui, après rénovation, va se chauffer à 21 °C parce que c’est plus confortable. « C’est transformer ses gains sur la facture énergétique en augmentation de consommation d’énergie et réduire l’effet sur les émissions de gaz à effet de serre », déplore Vincent Aussilloux.
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Effet rebond (ou le paradoxe de Jevons)
Dans son paradoxe, l’économiste britannique Jevons explique qu’une meilleure efficacité productive ou énergétique peut conduire à une plus grande utilisation du produit et de son énergie connexe. La consommation du bien augmente parce que les coûts de production, et donc son prix, diminuent grâce à ces améliorations, ce qui le rend accessible à une population plus nombreuse qui en demande davantage.
Quid des ménages les plus pauvres ?
Le problème des passoires thermiques pose aussi la question de la précarité énergétique. Beaucoup de ménages éprouvent des difficultés à se chauffer et ne peuvent pas rénover leur logement, nous explique Isolde Devalière, de l’Observatoire national de la précarité énergétique.
Pour ces personnes, le temps de retour sur investissement est une vraie difficulté, « ils n’ont pas les moyens et n’ont pas le temps d’attendre que leur rénovation soit rentable. Il faut qu’il y ait une incidence significative sur la facture d’un ménage pauvre pour qu’il soit incité à faire des travaux ».
Un chèque énergie trop peu élevé
Pour impliquer les plus pauvres, la sociologue plaide davantage pour des accompagnements personnalisés (conseils, sensibilisation) et des dispositifs adaptés à chaque catégorie de ménage, selon ses revenus (subventions, primes, réglementations, prêts, etc.).
« Revoir le montant du chèque énergie par exemple [aujourd’hui compris entre 48 et 277 euros]. Il n’est pas suffisamment incitatif pour faire des travaux, mais permet seulement d’alléger la facture d’énergie. » Si le système à mettre en place est complexe, conclut Isolde Devalière, il est nécessaire pour réellement élargir le champ des profils « rénovateurs ».