Pourquoi lui ?
Adrien Fabre est économiste de l’environnement. Avec son coauteur, Thomas Douenne, il a publié deux articles sur les perceptions des Français des politiques publiques de lutte contre le dérèglement climatique : « French attitudes on climate change, carbon taxation and other climate policies », Ecological Economics, 2020, et « Yellow Vests, Pessimistic Beliefs, and Carbon Tax Aversion » American Economic Journal, 2022. En juillet dernier, il a également copublié avec Antoine Dechezleprêtre et Stefanie Stantcheva une note du Conseil d’analyse économique intitulée « Les Français et les politiques climatiques ».
Pour l’Éco. Comment vous est venue l’idée de travailler sur les réactions aux politiques climatiques ?
Adrien Fabre. En octobre 2018, quand nous avons vu, avec mon collègue Thomas Douenne, l’ampleur que prenait la pétition contre la hausse du prix des carburants. C’était le point de départ de ce qui allait devenir les Gilets jaunes. Notre objectif : comprendre les habitudes et le ressenti des Français envers les politiques climatiques. Pour cela, nous avons interrogé, en février-mars 2019, un échantillon représentatif de 3 000 Français, en plein cœur de la crise des Gilets jaunes, et nous en avons tiré deux études. L’une descriptive, sur la reconnaissance du changement climatique, son appréhension, et le soutien ou non aux différentes politiques publiques climatiques. Dans une deuxième étude, il était question de la taxe carbone et de son rejet massif.
Les résultats de vos recherches correspondaient-ils à vos intuitions de départ ?
Non. Pour la taxe carbone, nous ne nous attendions pas à un rejet d’une telle ampleur : 70 % des Français la refusent et seuls 10 % l’acceptent. D’autres études antérieures montraient pourtant des résultats plus proches de 50-50. Il y a vraiment eu, durant la période Gilets jaunes, une chute de popularité de la taxe.
Il faut rappeler que la version gouvernementale de la taxe carbone affectait les recettes du budget de l’État alors que la version évaluée dans notre enquête bénéficiait aux ménages modestes, via une redistribution de ces gains fiscaux. Comme nous redoutions une possible confusion entre ces deux types de taxe carbone, nous écrivions bien dans l’étude que « notre » version était progressive. Nous pensions que ce type de taxe carbone serait mieux accepté, ou en tout cas rejeté moins largement.
Mais ce n’est pas le cas et cette pédagogie ne change pas grand-chose : il existe malgré tout un énorme rejet. La réalité, c’est que les Français sondés ne nous croient pas. Beaucoup ont un préjugé négatif contre la taxe carbone et il est très difficile de les faire changer d’avis.
Heureusement, ce n’est pas définitif. Dans une nouvelle enquête, publiée récemment par l’OCDE, nous trouvons un soutien de 45 % à une taxe carbone avec redistribution des recettes de sorte que chaque adulte reçoive le même montant. Lorsque nous expliquons que la mesure bénéficie alors aux plus modestes, la mesure obtient même un soutien majoritaire, de même qu’une taxe carbone avec redistribution concentrée sur les ménages modestes.
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Pourquoi cette taxe, tellement recommandée par les économistes, est-elle si peu acceptée ?
Les Français ne la croient pas très efficace pour lutter contre le changement climatique. Et surtout, des croyances pessimistes sont à l’œuvre : une majorité d’habitants se voient y perdre financièrement, imaginent les ménages modestes subir cette taxe et pensent que seuls les ménages aisés vont plutôt en bénéficier. Avec une redistribution des recettes climatiques, c’est pourtant le contraire qui se produirait.
Ces croyances sont-elles rationnelles ?
Elles peuvent l’être si les gens pensent réellement que l’État ne va pas verser les recettes de la taxe carbone. Or un tiers des répondants pensent ainsi. C’est là une méfiance contre le gouvernement en général, indépendamment de la couleur politique du président. Cette défiance est un vrai handicap pour répondre au défi environnemental. La littérature scientifique montre que les pays qui ont les politiques climatiques les plus ambitieuses sont ceux où il existe un niveau élevé de confiance, à la fois interpersonnelle et envers le gouvernement.
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Ce pessimisme est-il seulement français ?
En partie. Ailleurs, il existe une majorité relative en faveur de la taxe carbone. La France est un des pays où le soutien à la taxe carbone est le plus faible. Mais c’est aussi le cas en Allemagne. La situation y est pourtant très différente : le sujet est davantage présent dans le débat public et la coalition allemande actuelle a été élue en faisant campagne sur ce sujet de la fiscalité climatique.
Cela ne veut pas dire pour autant que les Français ne souhaitent pas de politique climatique : il existe une forte majorité pour d’autres mesures, les infrastructures financées par de la dette publique ou l’isolation obligatoire des bâtiments. Pour ce dernier point, c’est sans doute que les Français y voient aussi, au-delà de la lutte contre le changement climatique, une amélioration de leur confort. À l’inverse, la taxe carbone est seulement perçue comme un onéreux frein à leur consommation d’essence.
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Quel est l’argument le plus efficace pour convaincre le citoyen : la défense de la planète ou le gain financier personnel ?
C’est plutôt le deuxième. Dans notre travail de pédagogie sur la taxe avec recettes redistribuées, nous expliquons les deux aspects : le bénéfice pour les ménages modestes et l’efficacité en termes de baisse des émissions de CO2. Si on les convainc que le mécanisme va bénéficier aux ménages modestes, le soutien à la taxe augmente alors que le discours sur l’efficacité environnementale n’a pas beaucoup d’effet.
Bref, plus une mesure climatique est progressive (plus on est riche, plus on paye) et redistributive, mieux elle est acceptée socialement. Au fond, les Gilets jaunes n’aspirent qu’à plus de justice sociale et de pouvoir d’achat pour les ménages modestes. Ils ne comprennent pas, par exemple, que le kérosène ne soit pas taxé. Ils sont prêts à faire des efforts s’ils voient tout le monde en faire aussi autour d’eux.
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