L’essentiel
- Les dates d’entrée en vigueur des Zones à faibles émissions mobilité ne cessent de reculer
- Cette réglementation climatique ambitieuse se heurte à la question de son acceptabilité sociale
- Instrument de politique climatique en apparence simple, la réglementation est complexe et coûteuse dans sa mise en œuvre.
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Le président de la Métropole du Grand Paris Patrick Ollier a choisi le micro de France Bleu pour faire part de sa position, le 26 octobre dernier : « Je pense qu’il serait raisonnable de reporter à septembre 2024, c’est-à-dire après les Jeux Olympiques » a-t-il annoncé à propos de l’éventuelle interdiction de circulation des véhicules classés Crit’air 3 sur le territoire métropolitain.
Si la décision n’est pas encore entérinée, elle est hautement symbolique. Il s’agit en effet du deuxième report d’interdiction des voitures Crit’air 3. À l’origine, les véhicules arborant une telle pastille, plutôt anciens et polluants, auraient dû être empêchés de rouler dès juillet 2022.
La Métropole avait consenti à un premier sursis d’un an (jusqu’à juillet 2023), pour finalement avouer aujourd’hui que toutes les conditions ne sont pas réunies pour envoyer à la casse… 540 179 autos, ou plus précisément 18,6 % du parc de voitures légères du Grand Paris.
La réglementation environnementale de la Métropole du Grand Paris a été écrite de longue date et elle ne manque pas d’ambition. L’idée des élus est d’interdire la circulation de tous les véhicules diesels et de ceux à essence immatriculés avant 2011 à compter de juillet 2024.
Réglementation (environnementale)
Ensemble des normes juridiques fixées par les pouvoirs publics. Dans le cadre de la politique climatique, elles peuvent être de différentes sortes : normes d’émission ou de produits : instauration de quotas à ne pas dépasser (pêche, secteur automobile…), mise en place de normes techniques moins polluantes à respecter (dans le BTP par exemple), interdiction d’utiliser certains produits toxiques (dans l’agriculture par exemple). Solution en apparence facile à mettre en œuvre, la réglementation nécessite une surveillance, rendant son coût parfois élevé.
Une position qui se traduit de cette manière en chiffres : sur les 2 888 781 véhicules légers en circulation dans le Grand Paris au 1er janvier dernier, 1 896 301 d’entre eux seraient frappés d’interdiction dans moins de deux ans : soit 65,6 % du parc métropolitain ! Pour ce qui concerne les utilitaires (camionnettes d’artisans, etc), la pilule est encore plus dure à avaler : 91,1 % du parc se verrait très prochainement retiré de la circulation.
Paris n’est pas la France, mais les autres métropoles ne paraissent guère plus réalistes dans leurs calendriers liés aux ZFE. Au sein de la métropole de Lyon par exemple, 779 591 véhicules légers circulent à l’heure actuelle. L’exécutif local aimerait en réformer 532 082 d’ici septembre 2026, soit 68,2 % du parc.
Plusieurs communes limitrophes de Lyon ont d’ailleurs refusé d’entrer dans le périmètre de la ZFE tant le calendrier leur parait intenable tandis que d’un autre côté, peu de solutions s’offrent aux citoyens qui se verraient dans l’obligation de changer de voiture.
Manque d’aides
Car lorsqu’il s’agit d’imposer une substitution de matériel aux particuliers, l’aspect économique devient en effet central : qui aider, et à quel coût ? Cette question n’a pour l’instant pas trouvé de réponse au niveau national.
L’État entend mettre en place un prêt à taux zéro pour l’achat d’un véhicule propre, mais un prêt doit être remboursé.
Le ministère de l’Écologie propose bien une prime à la conversion de 5 000 € pour l’achat d’un véhicule électrique contre la mise au rebut d’un vieil engin, à laquelle il est possible d’ajouter le bonus (6 000 €) ainsi qu’une surprime ZFE de 1 000 € en cas de déclenchement d’une aide régionale. Ainsi, pour un Francilien qui enverrait à la casse son diesel au profit d’une voiture électrique neuve, il serait possible d’obtenir jusqu’à 18 000 € d’aides cumulées.
En théorie seulement ; car le bonus est plafonné à 27 % du prix total d’acquisition du véhicule, parce que les montants maximaux d’aides ne sont accessibles qu’aux populations en situation de grande précarité économique et enfin parce qu’il est très compliqué de savoir à qui s’adresser !
Outre des problèmes d’aides financières ou de calendriers, les ZFE souffrent aussi d’un mal qui ne peut que nuire à leur acceptation : la cacophonie réglementaire. Chaque métropole peut en effet édicter ses propres règles !
Celle du Grand Paris est la seule à autoriser la circulation de tous les engins sans distinction durant la nuit et le week-end. À Lyon, tous les engins Crit’air 5 sont désormais interdits de circuler tandis qu’à Grenoble, ville voisine, seuls les utilitaires et poids lourds (jusqu’à la vignette Crit’air 3) sont frappés d’interdiction.
Le problème deviendra de plus en plus flagrant à mesure que les ZFE se développeront, à tel point qu’une mission parlementaire a d’ores et déjà recommandé au gouvernement de mener « un travail d’harmonisation au niveau des calendriers, des aides, de la signalisation, des dérogations et du périmètre. »
Le risque du contrôle
Si les citoyens ont du mal à respecter la réglementation, il en va de même pour les collectivités locales. Celles-ci ont besoin de faire respecter les règles d’interdiction, sans quoi les ZFE seront parfaitement inutiles sur le plan sanitaire. Installer des policiers dans chaque ZFE serait efficace, mais c'est impossible sur le plan budgétaire : « J’ai sous les yeux la réponse de la préfète indiquant que les forces de l’ordre ne sont pas là pour contrôler les vignettes Crit’air » confie ainsi Pia Imbs, la présidente de l’Eurométropole de Strasbourg.
Il a donc été décidé que les ZFE seront surveillées avec des moyens électroniques par les forces de l’ordre. « Le lecteur automatique des plaques d’immatriculation est annoncé et attendu depuis 2019 » rappelle Mme Imbs, qui fulmine tout autant que ses homologues présidents de métropoles qui n’ont toujours pas les moyens de contrôler les ZFE.
Lorsque les ZFE commenceront à sanctionner les contrevenants, le risque d’explosion sociale, sur le modèle des Gilets jaunes, est redouté par l’exécutif.
Acceptabilité sociale
Assentiment de la population à un projet ou à une décision résultant du jugement collectif que ce projet ou cette décision est supérieur aux alternatives connues, y compris le statu quo. Cette acceptabilité sociale se situe en dehors du cadre gouvernemental et législatif et est parfois présentée comme symptomatique des insuffisances de la démocratie représentative. Elle est très souvent mise de l’avant à l’échelle locale ou régionale et peut concerner tous les types de projet, qu’il s’agisse de développement résidentiel ou industriel, de projet de parc éolien…
Le retard accumulé dans la mise en place effective des zones à faibles émissions a une première conséquence sur le plan sanitaire : des centaines de milliers de Français sont toujours exposés à un air trop pollué, c’est-à-dire non conforme aux seuils européens. Le Conseil d’État a de ce fait déjà sanctionné le Gouvernement à deux reprises sur le sujet.
La dernière fois en octobre dernier : « Après avoir ordonné à l’État, depuis 2017, de faire respecter les normes européennes […] le Conseil d’État le condamne aujourd’hui à payer deux nouvelles astreintes de 10 millions d’euros pour les deux périodes allant de juillet 2021 à janvier 2022 et de janvier à juillet 2022 » indique le Conseil.
Réprimandé par ses pairs, l’État l’est aussi par la Cour de Justice européenne, pour des motifs similaires. Le 28 avril 2022, les juges ont condamné la France pour des dépassements réguliers de niveaux de particules dans les villes de Paris et de Fort-de-France.
Dans le programme de SES
Terminale. « Quelle action publique pour l’environnement ? »