Longtemps, EDF s’est vue en puissante multinationale courtisée par les investisseurs. En 2007, deux ans après son introduction en Bourse, l’action de la société anonyme Électricité de France occupait la première place du CAC 40. Depuis, c’est la descente aux enfers.
Son rachat du groupe Constellation (à la barbe de Warren Buffett) aux États-Unis, en 2008, a tourné au fiasco industriel et financier. Après la catastrophe de Fukushima, en 2011, il a fallu investir des dizaines de milliards d’euros dans la sécurité des centrales nucléaires.

* Part du groupe après déduction de la part revenant aux actionnaires minoritaires des filiales.
Il lui faut aussi trouver 15 milliards d’euros par an pour investir dans ses futurs moyens de production, qu’ils soient nucléaires ou renouvelables. Très endettée, l’entreprise cherche désespérément des capitaux.
Coup d’Arehn
L’année 2022 a mal commencé. Le 12 janvier, l’électricien a annoncé un nouveau retard pour l’EPR de Flamanville, dans la Manche. Cette centrale est censée représenter l’avenir du nucléaire français. Sa mise en service, prévue en 2012, n’aura pas lieu avant 2023, et son coût a quadruplé.
Le parc actuel pose également problème. Le 13 janvier, EDF a reconnu un problème de corrosion des tuyauteries sur un réacteur de Penly, en Seine-Maritime. Il a fallu l’arrêter pour vérifications, comme quatre autres réacteurs auparavant, pour les mêmes raisons. Cela fera moins d’électricité produite en 2022, soit 11 milliards d’euros de manque à gagner.
Un autre coup est venu de l’État, son actionnaire principal à 83,9%. Ce même 13 janvier, face à l’envolée des prix sur le marché européen, il a imposé à EDF de vendre plus d’électricité à prix cassé à ses propres concurrents. « Un véritable choc », a dénoncé le PDG Jean-Bernard Lévy dans un message interne.
Le mécanisme en cause est l’Arenh, l’acronyme pour « Accès régulé à l’électricité nucléaire historique ». Il a été mis en place en 2011 dans le cadre de l’ouverture du marché de l’électricité. Les centrales d’EDF produisent de l’énergie pour un coût assez faible.
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Il permet de proposer des tarifs intéressants aux consommateurs. Dans le cadre de l’Union européenne, une telle situation ne favorise pas assez la concurrence.
L’Arenh est un compromis pour réduire l’emprise d’EDF. Chaque année, l’entreprise doit céder à d’autres fournisseurs 100 térawatts/heures de son électricité nucléaire au prix de 42 euros par mégawatt.
Année électorale
Le problème, c’est que depuis un an, le prix de l’électricité sur le marché de gros européen, qui est indexé sur celui du gaz, est cinq ou six fois plus élevé que celui de l’Arenh. Les concurrents d’EDF, qui complètent leur offre à ce tarif, sont étranglés. L’Arenh leur offre donc 20 térawatts de plus pour 2022.
Au total, plus d’un tiers de la production nucléaire annuelle est ainsi bradé. Pour le gouvernement, il fallait surtout éviter une flambée des factures en année électorale.
Associée à une réduction au minimum de la Taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE), la mesure permet de limiter à 4% la hausse du tarif réglementé d’EDF, dont le calcul prend les volumes d’Arenh en compte. Sinon, la hausse aurait été de 35% en février 2022. C’est un double manque à gagner pour l’entreprise.
D’après ses propres calculs, ces 20 térawatts auront un impact négatif de huit milliards d’euros sur les résultats annuels.

« L’État ne laissera jamais tomber EDF », a déclaré sur RTL le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, en annonçant une recapitalisation de 2,5 milliards d’euros.
Mais la somme doit notamment servir à racheter les activités nucléaires de General Electric, qui construit les turbines Arabelle, à Belfort. Une nouvelle responsabilité que lui confie l’État.
Malgré les précautions de l’exécutif, EDF s’invite dans la campagne présidentielle. L’entreprise créée en 1946 reste le symbole d’une France puissante et souveraine.
Pourtant, la France négocie avec la Commission européenne des scénarios de scission d’EDF. Un premier projet, Hercule, prévoyait deux entités, l’une dédiée à l’hydraulique et au nucléaire, l’autre au solaire et à l’éolien. Cette branche aurait fait appel aux capitaux privés.
Face à la fronde des salariés, Hercule a été abandonné. Un second projet, Grand EDF, est à l’étude. Il s’agirait notamment de mettre à part le secteur de l’hydraulique.
Des candidats comme Marine Le Pen, Yannick Jadot, ou Jean-Luc Mélenchon appellent à renationaliser complètement EDF afin de préserver l’unité de ce qu’ils présentent comme un patrimoine national.
Un « bien commun »
Il y a quand même de bonnes nouvelles. Les résultats 2021 sont excellents, avec un bénéfice net huit fois plus élevé qu’en 2020, reprise économique oblige. EDF est rentable.
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Elle serait même riche, si la loi ne l’obligeait pas à geler dans ses comptes des sommes colossales, en particulier pour le futur démantèlement des centrales. Ensuite, le 1er janvier 2022, la Commission européenne a intégré le nucléaire à sa taxonomie verte. Elle lui reconnaît donc un rôle de transition vers les énergies renouvelables, ce qui devrait faire revenir les investisseurs.
Enfin, le 10 février dernier, évoquant depuis Belfort les mânes du général de Gaulle, Emmanuel Macron a annoncé la construction de six nouveaux EPR, dont le premier devrait entrer en fonction en 2035.
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« La relance du nucléaire prendra du temps », prévient Jacques Percebois, économiste spécialiste de l’énergie. Il en faut pour bâtir une politique industrielle. Dans son discours, Emmanuel Macron a présenté l’entreprise comme un « bien commun », garant de notre « souveraineté énergétique ». Quoi qu’en pense la Commission européenne, on ne soumet pas un tel bien aux lois du marché.