Dans son étude parue fin décembre, France Stratégie a sorti la calculette : la rénovation de près de huit millions de logements privés (dont les passoires thermiques) serait financièrement rentable au bout de vingt ans.
Pour arriver à ce résultat, l’institut rattaché au Premier ministre a estimé les coûts des transitions (rénovation de l’enveloppe et changement d’équipement de chauffage), les économies d’énergie réalisées en fonction des performances énergétiques des logements (les catégories A à G établies par le diagnostic de performance énergétique (DPE)) pour en déduire une durée de rentabilité (le temps nécessaire pour récupérer l'investissement de départ).
Dans son calcul, France Stratégie a pris en compte les aides financières, qui sont versées en fonction des revenus aux propriétaires souhaitant enclencher des rénovations thermiques. Surtout, l’institut propose d’ajouter à l’équation du financement un acteur supplémentaire, via un mécanisme de tiers payant : « Les particuliers rétrocéderaient la majeure partie des économies réalisées sur la facture d’énergie à un opérateur ensemblier en échange d’une prise en charge intégrale du financement et du pilotage des travaux de rénovation », peut-on lire dans la note. Pour L’Éco a voulu en savoir plus.
Pourquoi lui ?
Vincent Aussilloux est économiste, directeur du département Économie à France Stratégie et auteur principal de la note d’analyse « Quelle rentabilité économique pour les rénovations énergétiques des logements ? ».

Pour L’Éco : Comment se mesure l'importance de la rénovation thermique dans la lutte contre le réchauffement climatique ?
Vincent Aussilloux. Les bâtiments sont responsables de 17 % des émissions directes de gaz à effet de serre de la France, et c’est 28 %, quand on ajoute les émissions indirectes liées à la consommation d’énergie. Sur ce total, 61 % des émissions viennent des logements, le reste correspond aux émissions des bâtiments utilisés par les entreprises du secteur tertiaire.
Quant au chauffage, il est responsable de 67 % des émissions des logements. Le reste est lié à la production d’eau chaude, à la cuisson, aux équipements électriques spécifiques…
Le nombre de logements qualifiés de « passoires thermiques », c’est-à-dire en catégorie G et F, est proche de sept millions. Leur transformation en logement basse consommation se traduirait par une baisse de l’ordre de 30 % des émissions de gaz à effet de serre du parc de logements, soit près de 5 % des émissions de GES de la France.

DPE
Diagnostic de performance énergétique. Le procédé classe un logement en fonction de sa performance énergétique via un système de catégories de A à G. Établi par un professionnel, le diagnostic prend en compte la consommation d’énergie, les émissions de gaz à effet de serre, le système de chauffage ou encore les caractéristiques du logement (surface, bâti, isolation, etc.).

À quel point le « retour sur investissement » de la rénovation énergétique enclenche-t-il la décision de rénover ?
L’aspect rentabilité de la rénovation est décisif, car cela permet de couvrir la part de l’investissement de rénovation qui reste à la charge des ménages après avoir mobilisé les aides publiques. C’est d’autant plus décisif que l'on s’oriente vers plus de rénovations globales pour lesquelles l’investissement est plus important.
Or, beaucoup de ménages n’ont pas l’épargne nécessaire pour payer le reste à charge et sont réticents, ou ne peuvent pas s’endetter pour le payer. Par ailleurs, pour ces opérations qui se rapprochent des crédits à la consommation, les banques prêtent à des taux élevés. Garantir qu’un ménage qui se lance dans la rénovation de son logement verra le coût de son investissement couvert par les économies sur sa facture énergétique est un élément déterminant pour convaincre un plus grand nombre, et notamment les copropriétés, de se lancer dans la rénovation énergétique.
Malgré des aides publiques généreuses, un reste à charge important

« Même pour les ménages très modestes et modestes, le reste à charge est conséquent et représente un obstacle majeur même si les aides publiques sont généreuses. Pour les ménages à revenus intermédiaires et supérieurs, même s’ils peuvent mobiliser un emprunt auprès d’une banque plus facilement, couvrir le reste à charge par les économies sur la facture énergétique est important, car les aides publiques sont moins généreuses pour ces catégories. »
Garantir qu’un ménage qui se lance dans la rénovation de son logement verra le coût de son investissement couvert par les économies sur sa facture énergétique est un élément déterminant pour convaincre un plus grand nombre de se lancer dans la rénovation énergétique.
Vincent AussilouxÉconomiste, directeur du département Économie à France Stratégie
Dans votre étude, vous proposez qu’un acteur annexe, un tiers payant, intervienne dans le financement des rénovations thermiques. Pensez-vous que cette solution pousserait réellement les ménages à franchir le cap ?
Oui ! Et cela, pour plusieurs raisons. D’une part, le ménage n’a pas à débourser d’argent ni à s’endetter, ce qui représente un obstacle important aujourd’hui pour beaucoup d’entre eux. Il bénéficie d’un logement plus confortable et dont la valeur verte augmente sans débourser plus d’argent que s’il n’avait pas fait la rénovation énergétique. Ce point est important, en particulier pour les propriétaires bailleurs qui aujourd’hui doivent payer les travaux alors que ce sont leurs locataires qui bénéficient de la baisse des factures d’énergie.
D’autre part, cela simplifie l’expérience client, car le particulier n’a à faire qu’à une seule entreprise qui s’occupe de tout : le diagnostic thermique, la définition des travaux, leur financement, la conduite des travaux en mobilisant différents corps de métier…
Ces « opérateurs ensembliers » peuvent être des entreprises spécialisées dans la rénovation énergétique (comme Hellio, Cozenergy, Les Eco-Isolateurs, Effy, Dorémi, Greenflex, etc.), des entreprises plus diversifiées (Engie, Dalkia…), des fédérations locales d’artisans ou encore des sociétés de tiers financement.
Cela permet aussi d’aligner les intérêts de l’entreprise et du ménage : les deux ont intérêt à une rénovation énergétique la plus efficace possible pour un coût le plus faible.
Il reste tout de même le problème de « l’effet rebond » : le risque qu’un ménage qui aurait réalisé une rénovation énergétique consomme plus d’énergie.
Le dispositif de tiers payant avec des « opérateurs ensembliers » permet d’éviter ce risque, car la facture énergétique ne baisse pas beaucoup : la plus grande part des économies d’énergie est mobilisée pour payer l’entreprise qui a réalisé et financé les travaux de rénovation. Comme sa facture ne baisse pas beaucoup, le ménage n’est pas incité à consommer davantage. Il a le droit de le faire bien sûr, mais cela se traduit par une hausse de sa facture énergétique, ce qui représente une incitation à développer un comportement plus vertueux.
Par ailleurs, l’opérateur ensemblier qui est en contrat durablement avec le ménage peut aider celui-ci à maîtriser sa consommation, s’il constate des comportements dispendieux. Il peut également l’orienter dans le choix d’équipements moins consommateurs.
Effet rebond (ou le paradoxe de Jevons)
Dans son paradoxe, l’économiste britannique Jevons explique qu’une meilleure efficacité productive ou énergétique peut conduire à une plus grande utilisation du produit et de son énergie connexe. La consommation du bien augmente parce que les coûts de production, et donc son prix, diminuent grâce à ces améliorations, ce qui le rend accessible à une population plus nombreuse qui en demande davantage.
Une expérience sur les attentes des ménages propriétaires
Faire appel à un organisme tiers, de confiance, qui va permettre de lisser son retour sur investissement ? C’est une bonne idée pour Carine Sebi, professeure et coordinatrice de la chaire Energy for society à Grenoble école de management.
L’économiste travaille précisément sur ce sujet. Les résultats préliminaires de son expérience montrent que cela correspond aux attentes des personnes. « Il y a une très forte aversion à l’endettement auprès des banques. Même avec un prêt à taux zéro. Lorsqu’on leur donne le choix, les individus préfèrent opter pour un financement de type tiers financement ou investir dans la rénovation énergétique via les charges de copropriété. Un peu comme s’ils payaient un service rendu, au même titre qu’ils paient les charges pour les ascenseurs, les charges des communs, etc. »
Il s’agit donc, pour l’enseignante, d’une piste sérieuse à creuser pour adapter la rénovation énergétique au fonctionnement des ménages.