Ce sont un peu les derniers des dinosaures. RWE et EPH. A eux deux, ces groupes émettent plus de 200 millions de tonnes de CO2 chaque année en Europe, soit l’équivalent des émissions d’un pays comme l’Ukraine.
La raison ? Ils possèdent quasiment l’ensemble des exploitations de charbon encore en activité en Europe.
Commençons les présentations avec le champion en titre : RWE. Fleuron historique du capitalisme allemand créé en 1898, le géant de l’énergie possède des filiales dans le monde entier : Australie, Amérique du Nord, Asie, etc.
Le groupe a beau avoir investi dans les énergies renouvelables, le charbon reste son premier amour : près de 60 % de sa production électrique se fait encore grâce à l’exploitation de la houille ou de la lignite. Une proportion unique en Europe, notamment dûe à la part encore très importante du charbon dans le mix énergétique allemand (27%).
RWE possède notamment la centrale thermique de Neurath en Rhénanie du Nord, 2e site le plus polluant en Europe ou encore la mine à ciel ouvert de lignite de Hambach à l’est de Cologne en Allemagne.
Afin de poursuivre l’expansion de cette mine, RWE n’a pas hésité à raser la forêt voisine malgré un fort mouvement de contestation. Lors de l’évacuation du site par la police en 2018, un militant pour le maintien de la forêt est mort après avoir chuté d’un pont.
Toujours accro au charbon
2e sur le podium européen des détenteurs d’exploitation du charbon : Energetický a průmyslový holding (en langue tchèque), ou plus simplement : EPH.
D’après le cabinet Carbon Market Data, EPH c’est 85 millions de tonnes de CO2 émises en Europe en 2018. Contrairement à son concurrent allemand RWE, EPH est un petit nouveau sur le marché du charbon.
Le groupe doit sa notoriété à l’acquisition en 2013 de 49% du très stratégique gazoduc Eustream, le pipeline qui achemine l’Europe en gaz russe via l'Ukraine et la Slovaquie. La stratégie du groupe est claire : racheter les activités polluantes dont plus personne ne veut.
C’est ainsi que EPH a mis la main sur les dernières activités charbon des groupes suédois Vattenfall et allemand Uniper (filiale de E.ON). Parmi les vieilles centrales rachetées, deux sont françaises : celle de Saint-Avold en Moselle et celle de Gardanne dans les Bouches-du-Rhône (lire épisode précédent).
En juillet 2019, Uniper, alors propriétaire des deux sites, annonce sa vente à EPH. Un rachat alors même que l’Etat a déjà annoncé la fermeture définitive de ces centrales d’ici au 1er janvier 2022.
“Ça n’a aucune logique, c’est comme si vous achetiez une voiture qui ne fonctionne pas”, décrypte Nadir Hadjali, salarié et secrétaire CGT adjoint à la centrale de Gardanne.
Pour EPH, l’argument est tout trouvé : il faut bien quelqu’un pour faire le sale boulot. Et ce quelqu’un, c’est Daniel Kretinsky, président du groupe.
Influencer les décideurs publics
L’homme a beaucoup fait parler de lui ces dernières années, particulièrement en France, ce pays qu’il adore et où il a étudié le temps d’un semestre. Avec sa filiale CMI, le milliardaire tchèque s’est lancé dans une folie de rachats de médias français : Elle, Marianne, Public, France Dimanche ont tour à tour été rachetés.
Fin 2018, ce parfait francophone rachète la moitié des parts de Mathieu Pigasse dans le Groupe le Monde (qui regroupe le quotidien du soir, Courrier International ou encore Télérama).
Dernièrement, le nouveau magnat de la presse a déposé une offre de rachat du groupe RTL-M6 et a fait savoir qu’il souhaitait lancer un nouveau magazine “centriste mais punchy”.
“Kretinsky rachète-t-il des médias pour se doter d’une influence sur les décisions politiques ? Poser la question, c’est déjà y répondre”, relève malicieusement Lucie Pinson, fondatrice de l’ONG Reclaim Finance dont l’objectif est d’encourager les acteurs financiers à sortir des énergies fossiles. Son combat lui a d’ailleurs valu le Prix Goldman pour l'environnement, équivalent du Prix Nobel en matière environnementale.
Pour RWE et EPH, sortir du charbon est loin d’aller de soi. Conscient de sa dépendance au minerai noir, RWE a bataillé avec les autorités allemandes la date de 2038 pour la fin d’exploitation du charbon du pays, moyennant d’énormes compensations financières pour le groupe.
Même chose pour EPH en France qui a obtenu de l’Etat français le paiement d’indemnités afin de fermer les deux centrales charbon en sa possession (Gardanne et Saint Avold).
“Pour ces groupes, ça devient une véritable stratégie : ramasser tous les fonds possible jusqu’à la fin de l’exploitation. Pour moi, ce sont des groupes prédateurs, ils se servent sur la bête jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien”, lâche Neil Makaroff, responsable Europe de Réseau Action Climat (RAC).
Autre exemple symptomatique : RWE a attaqué l’État des Pays-Bas en justice, rien que ça. Litige invoqué ? La sortie du pays du charbon d’ici à 2030 décidée par le gouvernement. L’entreprise, qui possède encore deux centrales dans le pays, s’estime lésée par cette politique écologique et réclame 1,4 milliards d’euros à l’État néerlandais !
Pour cela, elle se base sur le Traité de la Charte de l'Énergie, signé en 1994 par l’ensemble des pays de l’Union Européenne, protégeant des investissements étrangers la fourniture en énergie du continent.
“C’est un cas d’école scandaleux, ils veulent faire payer le contribuable pour rentabiliser leurs actifs polluants. C’est une obstruction nette à une politique écologique”, s’indigne Lucie Pinson avant de conclure, lasse : “tant qu’il y aura du charbon à exploiter, RWE sera là. Tant qu’il y aura du charbon à acheter et à vendre, EPH sera là”.
Le vent tourne ?
Face à cette absence de volontarisme, ONG et activistes se sont mobilisés afin de forcer ces mastodontes à acter une sortie du charbon. Et les résultats commencent à se faire sentir.
L’an dernier, l’ensemble des banques françaises ont annoncé se retirer de tous leurs actifs dans le charbon d’ici à 2030 pour les pays de l’Union Européenne et de l’OCDE et d’ici à 2040 dans le reste du monde, une décision conforme à la trajectoire fixée par les accords de Paris, modélisée pays par pays par Climate Analytics.