Economie
Sécheresse, tarification progressive... Le prix de l’eau condamné à flamber ?
Sélection abonnésLongtemps considérée comme quasi gratuite en France, l’eau du robinet a souffert d’énormes gaspillages jusqu’à ce que les pénuries nous rappellent sa valeur. Sécuriser son approvisionnement va nécessiter de lourds investissements qui vont renchérir son prix. Reste une question ultra-sensible : qui va payer la facture ?
Yves Adaken
© DR
Le prix de l’eau du robinet s’est envolé en France, en ce début d’année 2023. La hausse atteint 7,3 % à Paris, approche les 10 % à Toulouse et explose de 23 % dans l’agglomération de Clermont-Ferrand. Si cette flambée est moins visible que celle de l’essence ou du gaz, c’est qu’une grande partie de la population qui habite en immeuble ne voit jamais la facture : celle-ci est noyée dans l’ensemble des charges collectives.
Le syndicat des Eaux d'Île-de-France (Sedif) est un établissement public créé en 1923, responsable du service de l'eau potable pour le compte des communes et intercommunalité (EPT/CA) franciliennes qui y adhèrent. Dirigé par les élus de ces collectivités, le Sedif dessert plus de quatre millions d'usagers, répartifs sur sept départements d'Île-de-France, ce qui en fait l'un des plus grand service public d'eau en France et l'un des tout premiers en Europe.
Source : Office international de l'eau.
Cela dit, à moins d’un centime d’euro pour deux litres, l’eau ne représente, en moyenne, qu’un peu plus de 1 % du budget de ceux qui la reçoivent. Cette quasi-gratuité de l’eau n’est pas qu’une impression. Il est en effet légal de capter jusqu’à 10 000 m3 d’eau par an d’une rivière ou d’un puits sans rien payer. Au-delà seulement intervient le paiement de redevances à l’une des six agences de l’eau chargées d’assurer la préservation de la ressource sur le territoire.
Le prix de l’eau du robinet s’est envolé en France, en ce début d’année 2023. La hausse atteint 7,3 % à Paris, approche les 10 % à Toulouse et explose de 23 % dans l’agglomération de Clermont-Ferrand. Si cette flambée est moins visible que celle de l’essence ou du gaz, c’est qu’une grande partie de la population qui habite en immeuble ne voit jamais la facture : celle-ci est noyée dans l’ensemble des charges collectives.
Le syndicat des Eaux d'Île-de-France (Sedif) est un établissement public créé en 1923, responsable du service de l'eau potable pour le compte des communes et intercommunalité (EPT/CA) franciliennes qui y adhèrent. Dirigé par les élus de ces collectivités, le Sedif dessert plus de quatre millions d'usagers, répartifs sur sept départements d'Île-de-France, ce qui en fait l'un des plus grand service public d'eau en France et l'un des tout premiers en Europe.
Source : Office international de l'eau.
Cela dit, à moins d’un centime d’euro pour deux litres, l’eau ne représente, en moyenne, qu’un peu plus de 1 % du budget de ceux qui la reçoivent. Cette quasi-gratuité de l’eau n’est pas qu’une impression. Il est en effet légal de capter jusqu’à 10 000 m3 d’eau par an d’une rivière ou d’un puits sans rien payer. Au-delà seulement intervient le paiement de redevances à l’une des six agences de l’eau chargées d’assurer la préservation de la ressource sur le territoire.
Source : Commissariat général au développement durable, ministère de la transition écologique.
L’eau, « patrimoine de la nation », selon la loi, est donc un bien commun qui est gratuit jusqu’à un certain point. Le service de l’eau, en revanche, à savoir la production d’eau potable et son transport jusqu’au domicile, est payant. Tout comme le traitement des eaux usées. L’adduction et le traitement des eaux sont des services publics. Ce sont les communes et les communautés de communes qui votent les tarifs. Elles les gèrent directement via une régie ou en confient la gestion à une entreprise via une Délégation de service public (DSP). Les deux tiers des 12 800 services des eaux en France sont ainsi opérés en direct par les communes. Le dernier tiers est géré par un trio d’entreprises privées (Veolia, Suez, Saur), mais ce tiers couvre 60 % de la population.
L’eau paie l’eau
La distribution de l’eau « concédée » constitue donc un oligopole très étroit. De quoi alimenter les critiques sur un manque de concurrence susceptible de pousser le prix de l’eau à la hausse. Et inciter plusieurs villes à reprendre en main leurs services des eaux.
Éco-mots
Oligopole
Marché où un petit nombre de vendeurs se retrouve face à de nombreux acheteurs, avec, en théorie, plus de pouvoir pour imposer leurs conditions.
Au cours de la dernière décennie, ce mouvement de « remunicipalisation » a permis à la gestion publique de passer de 30 % à 40 % de la population desservie. Résultat ? En 2020, le prix des services en délégation était en moyenne plus cher de 5 % à celui des services en régie, mais « l’écart se resserre », souligne le dernier rapport de l’Observatoire des services d’eau et d’assainissement.
De fait, le prix de l’eau n’est pas décidé seulement par les entreprises délégataires. Il est encadré par le contrat de DSP et par un principe de gestion qui veut que « l’eau paye l’eau ». Autrement dit, le prix doit refléter vraiment tous les coûts. C’est ce principe qui explique les augmentations de cet hiver, car les services d’eau font appel à des processus très gourmands en électricité (pompage, notamment). La flambée de l’eau ne fait donc que répliquer celle de l’énergie. C’est aussi l’intégration d’un effort dans le traitement des eaux qui est à l’origine de la hausse moyenne de 19 % observée lors de la dernière décennie. Une tendance haussière appelée à durer.
Les sécheresses qui se succèdent mettent à mal une ressource en eau qui a longtemps semblé inépuisable. Le débit des fleuves devrait se réduire de 10 % à 40 % d’ici 2050 et les nappes phréatiques ont de plus en plus de mal à se recharger. À cette raréfaction quantitative s’ajoute une pollution qui affecte 43,3 % des masses d’eau de surface.
Lire aussi > Combien ça coûte, l'eau du robinet ?
Face à la sécheresse, l’Australie, la Californie et le Chili misent sur le marché
Quoi de mieux que la main invisible du marché pour répartir une ressource qui a tendance à se raréfier, comme l’eau ? C’est dans cette optique très libérale, nourrie par la « nouvelle économie des ressources » et les travaux d’économistes tels que Terry Anderson que l’Australie a lancé ses premiers marchés de l’eau dans les années 1980. L’île-continent a en effet été l’une des premières à être affectée par la sécheresse et à devoir imaginer une solution.
À la différence de la plupart des pays européens, en Australie, l’eau n’est pas considérée comme un bien commun, mais comme une marchandise (presque) comme les autres. En 2007, une loi a organisé le marché de l’eau du bassin Murray-Darling, un vaste territoire d’un million de kilomètres carrés au sud-est du pays. Agriculteurs, industriels et villes bénéficient de quotas d’eau prélevables sur les fleuves du bassin avec possibilité d’acheter des quantités supplémentaires ou de revendre des surplus. Mais de purs investisseurs financiers n’ayant aucun usage de l’eau peuvent aussi intervenir sur ce marché. Bienvenue dans la spéculation !
La conséquence ? Le jeu de l’offre et de la demande joue à plein et les prix s’envolent en période de sécheresse. Pour ses défenseurs, le système favoriserait donc les usages les plus rentables, sous entendu, les plus utiles. Il est soutenu par les écologistes locaux parce qu’il donne une valeur à l’eau et empêche une consommation incontrôlée. Ils achètent d’ailleurs eux-mêmes des droits pour préserver des sites. Reste que le marché a favorisé les cultures les plus rentables, comme les amandes et les exploitations les plus grandes au détriment des petits fermiers – les éleveurs laitiers, notamment, qui ont fait faillite.
Pas sûr, donc, que le modèle australien s’exporte, même si le Chili, la Californie et dans une moindre mesure l’Espagne, ont mis en place de tels marchés de l’eau limités aux périodes de sécheresse. Summum de la financiarisation, les États-Unis ont même lancé en 2020 un marché à terme de l’eau de Californie. Mais il n’a jamais vraiment décollé.
Au moins 20 % de fuites
Face à la nécessité de préserver la ressource, le gouvernement a adopté fin mars un plan prévoyant d’augmenter le budget des agences de l’eau de 475 millions d’euros par an. Mais cette augmentation – qui sera répercutée sur la facture d’eau – apparaît insuffisante par rapport au « mur d’investissements » du défi climatique. Pour le relever, il faudrait en effet ajouter entre 2,5 et 4,6 milliards d’euros aux quelque 6 milliards d’euros dépensés pour l’eau chaque année.
Le plus gros chantier concerne les fuites du réseau de canalisation. Près de 20 % de l’eau captée se perd ainsi avant d’arriver au robinet. Un taux qui peut monter à 30 ou 40 % dans le Sud-Est ou en outre-mer. « Beaucoup de collectivités n’ont pas bien géré leur réseau », dénonce Marielle Montginoul, économiste à l’Unité mixte de recherche Gestion de l’eau de Montpellier. « Cette négligence arrive quand le prix de l’eau est très faible. » Dans l’idéal, il faudrait remplacer 1 % du réseau chaque année. Or on serait plus proche des 0,7 %. Soit un déficit annuel d’investissement de 2,2 milliards, selon le cabinet Carbone 4. À comparer avec les 180 millions d’euros prévus par le gouvernement pour aider les 170 communes les plus touchées par les fuites…
Des robots pour inspecter 875 000 km de tuyaux
« Le créneau le plus porteur du secteur de l’eau est celui des fournisseurs de technologies. » Ce n’est pas la start-up française Acwa Robotics qui démentira cette parole d’un dirigeant de fonds d’investissement du secteur. Basée à Aix-en-Provence et à Bastia, la jeune pousse a développé un robot articulé capable de se mouvoir de façon autonome pour inspecter l’état d’une canalisation. Celui-ci a remporté trois prix de l’innovation lors du dernier Consumer Electronics Show (CES) de Las Vegas. Le marché est énorme, à commencer par la France et ses 875 000 kilomètres de réseau. Les réparations coûtant de 300 à 800 000 euros du kilomètre, son robot ambitionne de récupérer entre 3 et 6 % de ce prix.
Le gouvernement entend aussi développer la réutilisation des eaux usées, quasi inexistante aujourd’hui. Objectif : passer de 0,6 % à 10 % de REUT en 2030. Problème, l’eau de REUT est six à sept fois plus chère que l’eau potable. L’usager sera donc, là encore, mis à contribution. Ce sera également le cas si beaucoup de projets d’usines de dessalement d’eau de mer voient le jour, car le processus est très coûteux en énergie. Sans parler du problème des saumures polluantes qui l’accompagnent. Malgré leurs inconvénients, beaucoup voient dans ces innovations un « enjeu essentiel d’amélioration de l’offre ». Filtrage de l’eau douce par osmose basse pression, gÉo-infiltration (réinjection de l’eau d’une nappe à l’autre), gestion prédictive des fuites… Cet accent mis sur les solutions technologiques se retrouve dans le plan gouvernemental.
Tarification progressive ?
La contrepartie, c’est qu’« il va probablement falloir payer plus », avertit Marielle Montginoul. Encore faut-il savoir qui va régler la facture. « L’idée d’un rééquilibrage entre l’ensemble des consommateurs est une piste étudiée », révèle un conseiller ministériel au quotidien Les Echos. Les redevances des agences de l’eau sont en effet prélevées à 80 % auprès des particuliers, qui ne représentent que 26 % de la consommation d’eau. Les agriculteurs, qui en consomment 58 %, payent l’eau deux fois moins cher que les particuliers. Et 1,5 fois moins cher que les autres usages économiques.
Une autre piste serait de modifier la tarification. Le prix de l’eau est en effet aujourd’hui le même pour tout le monde, tout au long de l’année, alors qu’il serait possible de le faire varier selon la saison ou les heures de pointe. Le plan du gouvernement préconise pour sa part de généraliser la tarification progressive déjà mise en place par une dizaine de communautés de communes pour faire payer le prix fort aux gros consommateurs.
À Dunkerque, jusqu'à 80 m3 par foyer et par an, on parle de consommation « essentielle » (besoin de première nécessité). L'eau est facturée 1,28 euros le m3, mais seulement 0,49 euro pour les bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire (ancienne CMUC). La deuxième tranche tarifaire, appelée « eau utile », concerne les consommateurs entre 81 et 200 m3 par an et est facturée 2,30 euros le m3. À titre de comparaison, un foyer français moyen consomme 100 m3 par an.
Source : Le Monde
« L’outil tarifaire sert normalement à équilibrer les coûts, ce qui n’est pas possible si les premiers mètres cubes sont gratuits ou peu chers, avertit toutefois Marielle Montginoul. Il est difficile de concilier cet objectif gestionnaire avec la garantie de l’accès à l’eau pour tous et l’incitation à l’économie. Mieux vaut exclure la dimension sociale de la facture d’eau. Montpellier, par exemple, a opté pour le versement d’une aide qui passe par la CAF. »
Reste à savoir si le prix est bien la variable clé pour gérer la pénurie d’eau. L’objectif du gouvernement de réaliser 10 % d’économies d’eau d’ici 2030 semble atteignable. Mais l’agriculture se voit assigner seulement un objectif de « sobriété à l’hectare », sans remise en cause des cultures irriguées, qui ont augmenté de 14 % entre 2010 et 2020. « L’agriculture devra changer de modèle dans certains territoires, estime Marielle Montginoul. Ce sera très difficile mais, à un moment, il faudra en passer par là. »
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