Au mois de juin dernier se tenait à Paris un sommet censé créer un nouveau pacte financier mondial. Des organisations de jeunesse ont une fois de plus bruyamment dénoncé « l’inaction climatique » des gouvernements.
C’est par leurs actions très médiatisées que des mouvements comme Fridays for Future (lancé par Greta Thunberg en 2018) ou encore Extinction Rebellion (qui cible notamment les chefs-d’œuvre dans les musées) rappellent à l’opinion publique l’évidence : la planète court le risque d’une augmentation dramatique de ses températures.
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La communauté scientifique est quasiment unanime : c’est bien l’accumulation dans l’atmosphère du dioxyde de carbone et d’autres gaz à effet de serre (GES) comme le méthane, d’origine anthropique (liée aux activités humaines), qui provoque le réchauffement. Évitons donc de brûler et d’extraire trop d’énergies fossiles.
Sheikh Yamani, ancien ministre saoudien du Pétrole, le disait ainsi : « L’âge de pierre ne s’est pas terminé par manque de pierres, l’âge du pétrole se terminera avant que le monde manque de pétrole. »
Énergie fossile
Produite à partir d’un combustible fossile, composé chimique riche en carbone : « fossile » car résultant de la décomposition sédimentaire dans le sol d’éléments vivants il y a plusieurs millions d’années.
Bienvenue dans la transition énergétique ! Autrement dit, le remplacement des énergies fossiles non renouvelables (pétrole, gaz, charbon) par des Énergies Renouvelables (EnR) non fossiles (éolien et solaire, notamment) semble devenu le nouveau mot d’ordre du XXIe siècle.
Mais attention, les raisons climatiques ne sont pas les seules à justifier la transition énergétique. La question de la disponibilité des ressources énergétiques se pose aussi. Et ce n’est pas nouveau.
Dès le début des années 1970, le rapport Meadows tire la sonnette d’alarme sur l’avenir énergétique de la planète. Mais à l’époque, au lieu de s’angoisser sur le climat, il pointe les pénuries quantitatives. De fait, les Trente Glorieuses finissantes sont plus gaspilleuses que jamais. Paru un an avant le premier choc pétrolier de 1973, qui dévoile le déséquilibre croissant entre offre et demande sur le marché du pétrole, le rapport s’octroie vite le statut de texte prophétique.
Un miracle ? Non, un sursis
Cette approche est à son tour balayée. Car la production de pétrole, comme celle des autres sources d’énergie fossile, repart de plus belle. Logique : les chocs pétroliers stimulent la prospection de nouveaux gisements, désormais rentables, compte tenu du baril plus cher. De sorte que peu à peu s’installe la conviction que les réserves de pétrole seront éternellement de 40 années de consommation.
Miracle : le pétrole serait devenu une énergie presque renouvelable. Quant au tant redouté « pic pétrolier » (après le pic, la production baissera inexorablement), il est renvoyé aux calendes grecques.
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Las ! L’abondance n’était pas un miracle, simplement un sursis. Le pétrole connaît bientôt des tensions productives de plus en plus sérieuses, et les découvertes de gisements « supergéants » se font de plus en plus rares.
Depuis le début du siècle, la production mondiale de pétrole ne se maintient que grâce aux huiles « non conventionnelles », extraites surtout en Amérique du Nord (pétrole « de schiste »). Problème : ces nouvelles ressources sont de plus en plus coûteuses – et polluantes – à produire.
Le climat et la géologie ne sont pas les seuls à imposer des contraintes quantitatives aux « vieilles » énergies. La géopolitique joue un rôle de plus en plus déterminant : les pays ne respectant pas les règles fixées par les puissances dominantes – notamment l’Iran, la Lybie, le Venezuela et désormais la Russie – sont plus ou moins écartés du marché.
Kuznets n’avait pas prévu le « pic minéralier »
En 1955, l’économiste américain Simon Kuznets dessinait l’évolution des inégalités dans les pays sous la forme d’une courbe en cloche : une période (phase A) d’augmentation des inégalités, suivie d’une phase B de réduction grâce au développement progressif du pays.
Au début des années 1990, Gene Grossman et Alan Krueger en proposent une déclinaison, la « courbe environnementale de Kuznets » : pour chaque pays, après une phase A de consommation énergétique de plus en plus intense, arriveraient en phase B des économies de ressources, car la croissance des pays avancés deviendrait moins polluante et plus sobre avec le temps.
Hélas, les faits sont têtus : la place croissante des services dans l’économie (la tertiarisation) et la numérisation de la production pourraient nous faire espérer cette sobriété. Mais, en réalité, jamais les sociétés dites « post-industrielles » n’ont consommé autant de ressources matérielles.

Le passage aux énergies renouvelables ne signifie pas la fin de toute contrainte quantitative, bien au contraire. Au « pic pétrolier » risque en effet de succéder un « pic minéralier » : la conversion massive à l’électricité requiert des quantités considérables de métaux rares (lithium pour les batteries, cuivre pour les câbles, aimants permanents pour les éoliennes).
C’est là sans doute une des raisons de la remarquable lenteur de la transition énergétique : le mix énergétique mondial n’a évolué que fort peu au fil des décennies.
C’est pourquoi les « pessimistes » s’opposent aux « optimistes ». Ces derniers sont confiants dans les capacités du progrès technique à relever les défis des nouvelles énergies. Les premiers, en revanche, considèrent que les EnR ne pourront pas vraiment prendre le relais des ressources fossiles, dont l’épuisement entraînera le déclin inéluctable de la civilisation industrielle.
Certes, la réalisation de ce scénario noir aurait un avantage : le ralentissement économique finirait par réduire les émissions de gaz à effet de serre et allégerait donc la pression sur l’environnement. Mais il serait sans doute trop tard pour éviter à la planète un dérèglement irréversible de ses mécanismes naturels.