Economie
Tout au bout de l’Écosse, la « Nasa des énergies marines »
Sélection abonnésL’archipel des Orcades s’illustre depuis des décennies comme précurseur dans le domaine des énergies renouvelables éoliennes et marines. Les entreprises locales prennent des risques.
Lou-Eve Popper (aux îles Orcades, Écosse)
© Getty Images/iStockphoto
On ne les aperçoit pas tout de suite. C’est seulement en parcourant la plage de Scapa Flow que des formes blanches et noires se distinguent sur le sable. Là, une quinzaine de guillemots morts, becs ouverts, os saillants, sont étendus.
« Il semblerait qu’ils soient morts de faim. Ce type d’oiseau de mer se nourrit d’habitude de lançons, mais à cause du réchauffement des mers, les courants marins ont évolué et ces petits poissons ne sont plus là où ils devraient être. C’était déjà le cas au cours des étés précédents et ça semble se reproduire cet automne », se désole Tim Dean, un expert de la faune des Orcades.
L’archipel écossais des Orcades compte 70 îles, dont 22 sont habitées. Crédits : Getty Images/iStockphoto.
Dans ces îles du grand nord écossais, la crise climatique est bien visible, comme partout ailleurs. Les 22 000 habitants de cet archipel situé à 15 kilomètres de la côte se sont donc lancés à corps perdu dans la bataille pour les énergies renouvelables. Terre d’invention, cette région à la marge du continent européen serait même, pour Laura Watts, autrice d’Energy At The End of The World : An Orkney Islands Saga (MIT Press), « le cœur battant de l’innovation technologique ».
On ne les aperçoit pas tout de suite. C’est seulement en parcourant la plage de Scapa Flow que des formes blanches et noires se distinguent sur le sable. Là, une quinzaine de guillemots morts, becs ouverts, os saillants, sont étendus.
« Il semblerait qu’ils soient morts de faim. Ce type d’oiseau de mer se nourrit d’habitude de lançons, mais à cause du réchauffement des mers, les courants marins ont évolué et ces petits poissons ne sont plus là où ils devraient être. C’était déjà le cas au cours des étés précédents et ça semble se reproduire cet automne », se désole Tim Dean, un expert de la faune des Orcades.
L’archipel écossais des Orcades compte 70 îles, dont 22 sont habitées. Crédits : Getty Images/iStockphoto.
Dans ces îles du grand nord écossais, la crise climatique est bien visible, comme partout ailleurs. Les 22 000 habitants de cet archipel situé à 15 kilomètres de la côte se sont donc lancés à corps perdu dans la bataille pour les énergies renouvelables. Terre d’invention, cette région à la marge du continent européen serait même, pour Laura Watts, autrice d’Energy At The End of The World : An Orkney Islands Saga (MIT Press), « le cœur battant de l’innovation technologique ».
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Éco-mots
Qui provient de sources que la nature renouvelle en permanence, par opposition à une énergie dont les stocks s’épuisent. Les renouvelables proviennent de deux grandes sources naturelles : le soleil (à l’origine du cycle de l’eau, des marées, du vent et de la croissance des végétaux) et la Terre (qui dégage de la chaleur).
Il faut dire que l’esprit pionner de l’archipel ne date pas d’hier. Dans les années 1980, la colline de Burgar Hill, sur l’île principale, a vu naître le tout premier prototype d’éolienne au Royaume-Uni.
Pas étonnant : les Orcades sont situées à la même latitude que Stockholm et un vent puissant souffle quasiment en continu. Au point que les écoles sont parfois fermées pour éviter que les enfants ne s’envolent…
Aujourd’hui, près de 800 éoliennes se déploient sur tout le territoire, soit la plus grande concentration de toute la Grande-Bretagne. Singularité supplémentaire : la grande majorité de ces appareils a été installée par des habitants sur leurs terrains privés.
« Au début des années 2010, le gouvernement a mis en place des aides permettant de rentabiliser rapidement l’investissement de départ. Résultat, beaucoup de fermiers ont installé des petits modèles de 15 KW », souligne David Hannon, chef de projet pour la municipalité, l’Orkney Islands Council.
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Machines houlomotrices
Mais les Orcades ne sont pas seulement un archipel dans le vent. Les courants de marée qui entourent les 70 îles sont en effet parmi les plus puissants du globe et les vagues peuvent atteindre plusieurs dizaines de mètres de haut.
L’énergie issue des marées est plus avancée que celle des vagues. Elle est plus facile à exploiter, notamment parce que plus prévisible.Dernis Mediavilla,
en charge du développement des différents projets offshore au sein d'Orbital Marine Power.
Flairant le potentiel en termes d’énergie propre, le gouvernement britannique a ouvert, en 2003, le Centre européen des énergies marines (Emec), un centre de test unique au monde pour les machines houlomotrices et marémotrices. Depuis sa fondation, 34 prototypes issus de 11 pays sont passés par les eaux orcadiennes.
« C’est la Nasa des énergies marines », résume Dernis Mediavilla, en charge du développement des différents projets offshore. Et la recherche avance à grands pas. « Pour le moment, l’énergie issue des marées est plus avancée que celle des vagues. Elle est plus facile à exploiter, notamment parce que plus prévisible », explique-t-elle. Pour l’heure, deux turbines marémotrices sont testées au large de l’île Eday.
La turbine marémotrice hydrolienne Orbital O2 Power Generation permettrait de satisfaire le demande en électricité de 2 000 foyers britanniques pendant 15 ans. Crédits : Getty Images/iStockphoto.
La technologie de l’une d’entre elles est particulièrement développée : celle de l’hydrolienne O2 de la compagnie écossaise Orbital Marine Power. Longue de 74 mètres, la machine flottante a une capacité de 2 MW, soit l’équivalent de la demande en électricité de 2 000 foyers britanniques pendant 15 ans !
Fabriquée pendant de longs mois à Dundee, sur la côte est de l’Écosse, la machine a enfin été mise à l’eau au printemps dernier, avant d’être connectée au réseau national d’électricité. « C’est génial de travailler dans un secteur nouveau, on participe à quelque chose qui va profiter non seulement aux Orcades, mais à beaucoup d’autres gens sur la planète », s’enthousiasme Ryan Doull, électricien en chef chez Orbital Marine Power.
Preuve que les énergies marines représentent un domaine en plein boom, l’entreprise a d’ailleurs reçu nombre de candidatures ces derniers mois, notamment de la part du secteur des hydrocarbures.
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Perfectionnée pendant des années, la dernière machine d’Orbital est désormais sur le point d’être commercialisée. Mais pour ce faire, le secteur nécessite l’aide du gouvernement britannique. Or c’est là que le bât blesse : « Il s’agit de petites et moyennes entreprises qui croient dans leur capacité à inventer le futur et à qui l’on demande de prendre des risques colossaux. À long terme, une solution pourrait être un soutien financier de la part du gouvernement », affirme Laura Watts.
Problème, l’exécutif britannique ne semble pas complètement convaincu du bien-fondé de la manœuvre. « Ils ont peur du coût initial, c’est dommage : les premiers prototypes d’une technologie coûtent souvent cher au début, mais leur coût diminue avec le temps. Et si nous n’investissons pas dans les énergies marines, d’autres le feront avant nous ! », pointe Neil Kermode, le directeur de l’Emec.
Mais les temps changent : en mai dernier, le prince William et son épouse Kate se sont déplacés en personne pour apercevoir la turbine flottante d’Orbital. « Ça nous a fait une bonne publicité », se réjouit Ryan Doull.
Il y a de quoi. À eux deux, l’hydrolien et l’éolien – aidés par le solaire – ont permis de réaliser une prouesse énergétique : l’archipel produit désormais 120 % de la demande locale en électricité. Pas d’inquiétude, donc, sur de potentielles pénuries.
La question qui se pose est plutôt : qu’en faire ? Impossible en effet d’exporter le surplus vers le continent. Le câble sous-marin qui relie l’archipel au reste de la Grande-Bretagne n’est plus adapté depuis longtemps. Ofgem, le régulateur du gaz et de l’électricité au Royaume-Uni, traîne des pieds depuis des années pour en installer un nouveau.
Électrifier les usages
Face à cette contrainte technique, les Orcades ont donc, à nouveau, rivalisé d’inventivité. En 2009 y a ainsi été installé l’un des tout premiers « réseaux d’électricité intelligents » au monde : quand trop d’énergie est produite, certaines éoliennes se débranchent automatiquement.
Une perte de revenus cependant non négligeable pour les îles… Afin de ne pas voir toute cette énergie se volatiliser, l’archipel tente donc de développer au maximum l’usage de l’électricité sur place.
L’archipel dispose de voitures électlriques depuis tellement longtemps qu’un marché d’occasion s’est développé.Laura Watts,
autrice d’Energy At The End of The World : An Orkney Islands Saga.
Ainsi, près de 2 % de la population dispose aujourd’hui d’une voiture électrique, soit un taux globalement plus élevé que dans le reste de l’Écosse. « L’archipel dispose de voitures électriques depuis tellement longtemps qu’un marché d’occasion s’est développé », souligne Laura Watts.
Et pour ceux qui ne peuvent pas s’offrir ces nouveaux véhicules, le projet ReFlex, qui associe une multitude d’acteurs locaux, cherche à développer le leasing, moins onéreux et plus écoresponsable. Reste à transformer le réseau de chauffage, car « ici, beaucoup de gens achètent encore leurs bouteilles de gaz ou ont une vieille chaudière au fioul », reconnaît Dernis Mediavilla.
Ferries à hydrogène
Mais augmenter la demande en électricité ne fait pas tout. Il y a environ cinq ans, l’archipel a donc décidé de transformer cette abondante énergie verte en un gaz facilement stockable : l’hydrogène. Ce combustible « propre » est produit sur les îles Shapinsay et Eday, grâce à l’électrolyse de l’eau, avant d’être transporté sur l’île principale.
En se promenant sur le port de Kirkwall, la capitale, on peut ainsi apercevoir les deux camions blancs qui contiennent le gaz compressé dans des tubes. À côté d’eux se tient un gigantesque conteneur bleu électrique : ce dernier abrite une pile à combustible, un système permettant de transformer à nouveau l’hydrogène en électricité et en chaleur.
« Nous avons ouvert la boîte de Pandore, de nombreuses perspectives s’offrent à nous désormais », s’émerveille James Walker, chargé du développement de l’hydrogène à l’Emec. Parmi les différents projets à l’œuvre, celui de propulser les ferries reliant les îles entre elles.
Pour le moment, seuls trois navires sont branchés la nuit au port de Kirkwall : « L’électricité produite permet de faire fonctionner les services auxiliaires comme la lumière ou le système informatique des bateaux », résume Jerry Gibson, la jeune technicienne de l’Emec en charge des opérations.
L’hydrogène est également utilisé directement en tant que carburant pour cinq véhicules municipaux. À long terme, il est même question de transformer le terminal pétrolier de l’île de Flotta en un terminal d’hydrogène.
La marche au renouvelable ne compte pas s’arrêter là. Après plusieurs années de tractations, les autorités britanniques ont enfin accepté l’installation d’un nouveau câble sous-marin de 220 MW. À une condition : les Orcadiens doivent produire 135 MW supplémentaires via l’édification de nouvelles fermes éoliennes.
D’où l’émergence de nouveaux projets. « C’est une bonne nouvelle pour les locaux, mais aussi pour le reste du Royaume-Uni. Le pays en aura besoin s’il veut atteindre ses objectifs climatiques », souligne David Hannon. À l’heure de la COP26, tout est effectivement bon à prendre.
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