Cobalt, aluminium, lithium… Les métaux sont indispensables pour la transition énergétique de l’Europe. Problème, l’UE pourrait en manquer, montre une étude menée par des experts de l’université de Louvain, en Belgique. C’est la première fois qu’une projection jusqu’en 2050 se concentre sur l’Europe. Pour l’Éco a interrogé l’autrice principale du rapport et revient sur les grands enjeux.
Pourquoi elle ?
Géologue de formation, Liesbet Gregoir est ingénieure au sein d’une équipe chargée d’évaluer la durabilité des gisements de matériaux à l’université de Louvain, en Belgique. Son expertise en géologie et en économie l’a conduite à travailler chez ArcelorMittal et chez McKinsey. Liesbet Gregoir est l’autrice principale de l’étude « Metals for Clean Energy : Pathways to solving Europe’s raw materials challenge », publiée en avril 2022 et commanditée par Eurométaux (l’association des producteurs et de recycleurs de métaux non ferreux en Europe).
Pour l’Éco. Pourquoi les métaux sont-ils si importants pour la transition énergétique ?
Liesbet Gregoir. Pour décarboner, nous devons obtenir de l’énergie propre via le vent, le soleil, l’eau. Mais pour capter et stocker cette énergie, nous avons besoin d’éoliennes, de panneaux solaires, de batteries, d’hydrogène… Toutes ces technologies nécessitent des métaux (aluminium, lithium, cobalt, silicium, etc.) qu’il faut exploiter, d’autant qu’à l’avenir, l’UE prévoit de fabriquer ces éoliennes, panneaux solaires ou batteries sur son territoire.
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Problème, l’Europe pourrait rencontrer des difficultés pour obtenir les métaux, particulièrement sur les 15 prochaines années et cela ne serait pas sans conséquences sur sa souveraineté.
Où en est-elle aujourd’hui ?
L’Europe les importe largement (de Chine, d’Asie plus globalement). Dans notre étude, nous avons évalué les besoins en différents métaux (silicium, nickel, aluminium, cobalt) nécessaires à la fabrication des technologies (éoliennes, panneaux solaires, voitures électriques). En les additionnant, nous avons pu calculer la quantité de chaque produit dont l’Europe a besoin pour rendre cette transition énergétique possible : 35 fois plus de lithium, 26 fois plus de terres rares, deux fois plus de nickel, 33 % d’aluminium en plus…

Graphique : Besoins mondiaux et européens en technologies d’énergie propre, par décennie évalués en taux de croissance annuel moyen entre 2020 et 2050. (Rapport « Metals for Clean Energy »)
Nous avons tendance à surestimer le potentiel de l’exploitation minière en Europe. Nous ne cherchons pas de nouvelles mines et les produits de base que nous exploitons déjà sont en déclin. D’après nos estimations, l’exploitation sur le continent de toutes les matières premières (cuivre, cobalt, nickel…) devrait même diminuer d’ici à 2030.
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Quel est l’impact de la guerre en Ukraine ?
Les Européens se sont rendu compte du coût de leur dépendance énergétique à l’égard de la Russie, et de leur aveuglement. Quand vous êtes dépendant et que votre partenaire n’est plus fiable, vous vous retrouvez sans ressources.
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L’autonomie stratégique est maintenant prioritaire dans l’agenda des dirigeants politiques. Si nous ne voulons pas remplacer notre dépendance aux combustibles fossiles, par une dépendance aux métaux, l’Europe doit agir maintenant. Sinon, demain, ce ne sera plus de la Russie, mais de la Chine dont on dépendra. Et en cas de litige, notre système énergétique se retrouvera soudainement mis à mal.
L’importation n’est pas un problème en soi : vous pouvez trouver plusieurs partenaires fiables, à condition de ne pas placer tous vos œufs dans le même panier. Pour le zinc par exemple, les perspectives ne sont pas dramatiques. Vous avez beaucoup de fournisseurs potentiels. Pour le lithium, les terres rares ou le cobalt, c’est un défi d’une tout autre ampleur.
L’Europe investit-elle suffisamment pour relever le défi ?
L’UE a de grandes ambitions pour les technologies et a déjà mis de l’argent sur la table (projets de batteries, initiatives en matière d’énergie solaire, feuille de route sur l’énergie éolienne…). Malheureusement, ses investissements sont concentrés sur l’aspect technologique, c’est-à-dire sur la dernière phase du processus.
Les Européens, et c’est regrettable, se concentrent moins sur les indispensables phases en amont : l’exploitation minière et la fabrication du métal. Dans ce domaine, la stratégie politique est confuse et les investissements ne sont pas réalisés. Les dirigeants politiques ont une grande responsabilité et doivent choisir, en toute transparence, la direction à prendre. Cela permettrait aussi d’attirer les investisseurs et de gagner le soutien du public.
L’exploitation minière est souvent vue d’un mauvais œil. Bien sûr, il y a un impact environnemental et un impact social que nous ne devons pas minimiser. Néanmoins, parmi les détracteurs, on entend souvent le discours : « Après avoir extrait du charbon, on veut extraire du lithium. C’est peut-être pire ! »
Dans les faits, il ne faut que 45 à 75 millions de tonnes de métaux pour remplacer… 8 milliards de tonnes de charbon : C’est tout de même plus de 100 fois moins ! Il faut néanmoins veiller à ce que les projets menés sur le lithium, le nickel et le cuivre soient responsables.
Les pénuries et l’augmentation des prix sont-elles inévitables ?
Sans doute. Mais cela dépendra de plusieurs facteurs, parmi lesquels la vitesse à laquelle l’Europe et le monde enclencheront réellement la transition. Nous allons décarboner notre économie et il y a un certain nombre de matières premières pour lesquelles la projection de la demande est aujourd’hui supérieure au potentiel minier, de quoi alimenter une hausse des prix.
Et, du côté de l’offre, l’industrie est très lente. Un certain nombre de projets sont annoncés, mais développer une nouvelle mine prend beaucoup de temps. Il existe un vrai risque que cette lenteur de développement génère des pénuries. Il n’y a pourtant pas d’inquiétude à avoir sur la quantité de métaux dans le sol européen.
En réalité, ce qui encouragerait véritablement les industriels à accélérer sur ces projets, ce serait des prix plus élevés.
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L’autosuffisance européenne est-elle possible ?
En augmentant le nombre et la taille de nos exploitations et avec le recyclage, d’ici 2050, nous pourrions atteindre un niveau d’autosuffisance très élevé. Mais si nous voulons atteindre cet objectif, nous devons commencer à agir dès maintenant.
Nous devons être réalistes, l’Europe n’a pas les mêmes ressources que l’Amérique du Sud, l’Afrique ou le Canada, par exemple. Ces pays possèdent plus de métaux dans le sol et ils sont de meilleure qualité. Nous n’avons pas tous les produits de base, nous devrons nécessairement importer.
Néanmoins, l’Europe a un certain potentiel minier. Et donc même s’il est limité, nous pouvons l’extraire. Nous pourrions fournir 55 % de la demande européenne en lithium d’ici à 2030. Pour les terres rares, ce pourrait aller jusqu’à 80 %. En revanche, sur l’aluminium, ce serait plus compliqué.
Le rôle du recyclage est aussi majeur : entre 40 et 75 % de nos besoins pourraient être couverts en recyclant les métaux. Pour le lithium, nous avons calculé que 75 % pouvaient être recyclés. Résultat, si vous exploitez par exemple les 25 % restants avec vos mines, vous êtes autosuffisants.
Nous ne pouvons pas être totalement indépendants sur tous les minerais, mais nous pourrions l’être beaucoup plus qu’aujourd’hui. Et pour certaines matières premières, nous pourrions vraiment être compétitifs.