L’essentiel
- De nombreuses actions de militants écologiques ont eu lieu depuis le début de l’automne dans des musées
- Ces personnes engagées veulent mettre les thèmes de leur combat à l’agenda politique
- Face à un possible essoufflement médiatique, il existe un risque de radicalité supplémentaire, et d’une mise à dos de l’opinion publique.
______
Ceci n’est pas une performance artistique. Vendredi 14 octobre, deux jeunes militantes du groupe Just Stop Oil aspergent de soupe la vitre protégeant le tableau Les Tournesols de Van Gogh, dans le musée de la National Gallery de Londres. « Qu’est-ce qui a le plus de valeur ? L’art ou la vie ? » déclarent-elles alors, les mains collées au mur. L’idée est claire : interpeller symboliquement sur l’urgence climatique, en visant un tableau évoquant la nature, sans pour autant endommager l’œuvre.
Des événements similaires ont eu lieu dans divers pays depuis cet été, de l’Italie à la France, en passant par les Pays Bas. Certains s’insurgent avec force contre ces procédés, quand d’autres sympathisent avec la cause défendue.
Gagner en visibilité, faire avancer la cause
La méthode : faire parler de soi, puis prendre la parole. Pour Chloe Bertini, militante italo-guadeloupéenne d’une vingtaine d’années, il s’agit « d’interrompre des moments de divertissement », de « bousculer la monotonie du quotidien ». Mais aussi de souligner un paradoxe : on se soucie davantage d’une peinture, que de notre environnement.
Membre du groupe écologiste Ultima Generazione, Clhoe a peur pour l’avenir de l’humanité. Elle soutient ses camarades quand elles collent leurs mains sur la vitre un célèbre tableau de Botticelli. Elle participe au blocage d’une autoroute. Derrière ces actes, les demandes de ces militants se veulent concrètes (demander l’arrêt des réouvertures de centrales à charbon en Italie par exemple).
Ils appliquent le concept de mise à l’agenda politique, développé par les chercheurs américains Maxwell McCombs et Donald Shaw dans les années 1970 : un processus transformant un problème issu de la sphère privée en un problème public susceptible de faire l’objet d’une décision politique. Différents acteurs (ONGs, entreprises, pouvoirs publics…) entrent alors en conflit ou coopèrent pour faire reculer ou avancer la cause.
Comme Chloe Bertini, bon nombre de militants sont formés à répondre à l’indignation que provoquent leurs actions. Deux d’entre eux se sont retrouvés début novembre sur le plateau de l’émission Touche pas à mon poste, présentée par Cyril Hanouna sur la chaîne C8. Leur explication : s’ils n’avaient pas bloqué une autoroute, ils n’auraient tout simplement pas été invités. Ils ont besoin de défendre leurs idées à l’antenne, pour qu’elles se diffusent dans la population, avec l’espoir que cela débouchera sur des décisions politiques concrètes.
Pour Sylvie Ollitrault, directrice de recherche au CNRS qui s’est exprimée à plusieurs reprises sur ce phénomène, les actions directes non-violentes dans les musées entrent dans le domaine de la "scandalisation" : « Cela n’est pas si nouveau. Il s’agit de mettre en scène un trouble, de créer un scandale en visant des cibles pour dire que l’on est en colère - des entreprises ou l’État par exemple. »
Pour la chercheuse, spécialisée dans le militantisme écologiste, cela va même plus loin et dépasserait le concept de la mise à l’agenda, puisque l’urgence climatique n’est plus un sujet de niche. Le but serait plutôt d’accélérer au maximum le processus de décision politique, d’en faire une priorité, voire de changer la société dans sa globalité. « Mais pour cela, il faut un mouvement de masse. Quelques individus, ce n’est pas suffisant. »
Quand les militants ont « tout tenté »
Quoi qu’il en soit, ces événements ne sont pas isolés. Ils apparaissent dans la continuité de mouvements comme Extinction Rebellion ou Fridays for Future. On considère qu’ils font partie de ce qu’on appelle un répertoire d’action collective.
Ce concept, développé par le chercheur Charles Tilly, définit l’ensemble des modes d’intervention auxquels un groupe peut avoir recours pour faire entendre sa voix. Et ce, selon son histoire, ses ressources, sa situation géographique, ses valeurs. Un groupuscule d’extrême droite aura davantage tendance à user de la violence, qu’une organisation de protection de l’environnement.
Chloe Bertini estime représenter « le flanc radical de la lutte écologique ». L’idée étant de montrer la voie de manière spectaculaire et non-violente, de motiver d’autres militants en profitant de l’énorme potentiel de diffusion médiatique qu’offre Internet. « Polariser [les opinions] n’est pas un problème : l’important c’est qu’on en parle. »
C’est en effet ce qui caractérise ces nouveaux mouvements écologistes. Malgré les risques (amendes, peines de prison, etc.), ils se concentrent quasi exclusivement sur les actions "coup de poing". C’est le cas d’Ultima Generazione, de Dernière Rénovation ou encore de Just Stop Oil, toutes membres du réseau A22 et ayant mené des actions dans des musées. Ce jeune collectif, créé en avril 2022, rassemble des organisations d’une douzaine de pays occidentaux.
De quoi marquer une nette différence avec des ONGs plus anciennes comme Greenpeace ou France Nature Environnement, dans lesquelles cohabite tout type d’actions plus traditionnelles (pétition, manifestation, lobbying…). « C’est que l’on appelle le répertoire conventionnel, explique Sylvie Ollitrault. Celui que l’on exerce en démocratie quand on est en désaccord, sans entrer dans l’illégalité. » Le militantisme peut aller au-delà, prendre la forme d’actions de désobéissance civile « quand les militants estiment qu’ils ont tout tenté et qu’ils ne sont pas entendus, qu’il y a urgence » C’est le choix qu’a fait Chloe : « Aujourd’hui, si on descend dans la rue, il ne se passe rien », justifie-t-elle.
Le risque de l’escalade
Avec le risque que l’effet médiatique se dissipe, de se mettre à dos une partie de la population, de ses propres soutiens, voire de se lancer dans une escalade de radicalité ? Si à l’origine, l’idée n’était pas de détériorer des œuvres d’art, Dernière Rénovation a récemment recouvert de peinture une sculpture de l’artiste Charles Ray, Horse and Rider.
« L’écovandalisme monte d’un cran », a alors tweeté l’actuel ministre de la Culture, Rima Abdul Malak. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qualifiait lui ces actions d’ « écoterrorisme ». Une escalade verbale, avant une réponse répressive plus importante de la part des pouvoirs publics ?
Sylvie Ollitrault s’interroge sur cette stratégie, qui pourrait s’avérer contreproductive, en criminalisant ces actions et en leur permettant paradoxalement de se multiplier. Mais aussi sur l’avenir des militants concernés. « Ils risquent de se retrouver dans un piège, d’être labellisés de cette façon alors qu’ils ont plutôt intérêt à convaincre l’opinion publique. »