Deux milliards de bouches de plus à nourrir dans 30 ans : c’est un minimum, d’après les prévisions démographiques de l’ONU. Est-ce possible avec le système agricole et alimentaire actuel ? Sans doute pas, à en croire nombre d’observateurs. « Les pratiques largement répandues de l’agriculture industrielle conventionnelle n’ont pas d’avenir », écrivait déjà en 2013 le juriste belge Olivier De Schutter, alors rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation.
Si ce système n’évolue pas, une personne sur trois n’aura pas accès à une « alimentation saine, durable et équilibrée » en 2050, estime l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). « C’est s’adapter ou mourir ! », tranche Gérard-François Dumont, professeur en géographie humaine à Paris.
Les hommes vont être confrontés à deux évolutions majeures et simultanées : l’accroissement démographique et le réchauffement climatique.
Isabelle Duquesne, ingénieure en agriculture et responsable du programme Agriculture et alimentation au Comité français pour la solidarité internationale (CFSI) estime, elle aussi, que l’agriculture de 2020 est inadaptée à ces défis. « Le système actuel privilégie la monoculture, consomme beaucoup d’énergie et de produits de synthèse. Cette agriculture intensive, qui utilise 70 % des ressources agricoles, ne produit pourtant que 30 % de la nourriture mondiale », souligne-t-elle.
Rééquilibrage obligatoire
Pour nourrir l’ensemble de la population, ce sont à la fois la répartition des volumes produits sur terre et leur nature qu’il va falloir faire évoluer.
À ce jour, la quantité de nourriture produite suffirait à nourrir tout le monde, mais elle demeure inégalement répartie sur la planète. Il y aura donc tout un rééquilibrage à mener. La lutte contre le gaspillage est incontournable. En 2011, la FAO soulignait qu’au moins 30 % de la nourriture produite finissait jetée, décomposée.
Les habitudes alimentaires aussi devront changer. Les régimes devront être moins riches en viande, contenir moins de produits d’origine animale, faire la part belle aux céréales, légumes secs et lentilles, tous riches en minéraux, fibres, protéines et vitamines.
« Passer d’un régime carnivore à un régime végétarien, c’est diviser par quatre sa ponction sur les productions alimentaires mondiales », souligne l’économiste Bruno Parmentier. Il faut au moins 4 kilos de céréales pour produire 1 kilo de viande de poulet, 6 kilos pour 1 kilo de viande de porc et 12 kilos de céréales pour 1 kilo de bœuf.

Agro-écologie, agro-foresterie, permaculture
Pourra-t-on se passer des cultures OGM ? A priori oui, puisque les gains de rendements ne sont pas significatifs, selon une étude publiée dès 2009 par l’Union of Concerned Scientists. D’ailleurs, les travaux menés dans l’Hérault par une équipe de l’Inra ont montré que l’agroforesterie engendre des gains de productivité supérieurs.
« Les pratiques de l’agriculture industrielle conventionnelle n’ont pas d’avenir », estime Olivier De Schutter. Universitaires, militants, politiques sont aujourd’hui nombreux à prôner un modèle agricole basé sur l’agro-écologie, l’agro-foresterie et la permaculture. « Depuis 50 ans, on se méfie de la nature, maintenant il va falloir l’écouter. Arrêter de vouloir maîtriser les micro-organismes qui peuplent les sols », s’insurge Bruno Parmentier.
Le milieu agricole ne manque pas d’inventivité. En France, comme à l’étranger, les initiatives se multiplient pour tester des solutions : diversification des variétés cultivées, élevage de poissons herbivores (carpes, tilapias), production de farines d’insectes pour nourrir les animaux d’élevage…
En 2050, la population mondiale vivra en majorité en ville. L’agriculture urbaine, qui s’appuie notamment sur l’hydroponie et l’aéroponie, est déjà en plein essor. Des projets de fermes gratte-ciel sont même déjà à l’étude !
La deuxième vie des coquilles d'œufs
Trois questions à Raphaël Haumont, enseignant-chercheur en physico-chimie des matériaux et dirigeant de la chaire « Cuisine du Futur » à l’université Paris-Sud.
Pour l’Éco : Quelles innovations culinaires face à l’accroissement de la population ?
R. Haumont : Adoptons une cuisine plus durable, plus responsable et surtout, gaspillons moins ! Quel dommage de jeter la peau des oranges, alors que l’on pourrait en extraire un super-gélifiant pour de la confiture, des huiles essentielles qui serviraient d’arôme naturel… On peut faire des cuillères biodégradables avec des fibres de carottes, donner une seconde vie aux coquilles d’œufs et en faire des contenants solides et biodégradables, etc.
Citez-nous un aliment très prometteur.
Les algues ont un énorme potentiel, elles poussent vite, peuvent facilement être cultivées en bio, sont une bonne source de protéines et se cuisinent de mille façons. Je ne parle pas seulement de la spiruline, dont le goût est fort, il y a aussi le kombu, le kanten…
Un menu pour 2050 ?
80 % de produits d’origine végétale et 20 % de produits d’origine animale, mais plein de nouvelles textures et saveurs et donc toujours parfaitement gourmand ! Il y a tout un monde végétal (herbes, fruits, légumes) avec lequel on peut vraiment s’amuser en cuisine.