L’essentiel
- La banque Credit Suisse, deuxième banque helvétique, s’est retrouvée à l’automne au cœur de rumeurs de faillites
- Plusieurs indices ont laissé penser un moment à un « défaut » imminent de l’établissement bancaire, en particulier, l’envolée des cours de ses credit default swaps (CDS), des produits dérivés qui permettent à leur émetteur de se protéger d’une éventuelle défaillance.
- Problème, cet instrument entretient ainsi la réalisation de prophéties autoréalisatrices.
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Les Credit Default Swaps, ou CDS, refont parler d’eux. En octobre dernier, les investisseurs ont craint la reproduction d’un scénario à la Lehman Brothers, cette banque d’affaires américaine dont la faillite fin 2008 a précipité la crise financière mondiale. Cette fois, c’est Credit Suisse qui s’est retrouvé au cœur de la tourmente.
Depuis plusieurs années, la situation de l’établissement helvétique suscite des doutes, qui ont fini par déclencher des rumeurs : l’établissement risquait le démantèlement, voire la faillite. Non seulement le cours de Bourse de Credit Suisse a été envoyé par le fond (-55 % depuis le début de l’année), mais les CDS de la banque ont aussi flambé, faisant planer le risque d’une nouvelle crise financière.
L’essentiel
- La banque Credit Suisse, deuxième banque helvétique, s’est retrouvée à l’automne au cœur de rumeurs de faillites
- Plusieurs indices ont laissé penser un moment à un « défaut » imminent de l’établissement bancaire, en particulier, l’envolée des cours de ses credit default swaps (CDS), des produits dérivés qui permettent à leur émetteur de se protéger d’une éventuelle défaillance.
- Problème, cet instrument entretient ainsi la réalisation de prophéties autoréalisatrices.
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Les Credit Default Swaps, ou CDS, refont parler d’eux. En octobre dernier, les investisseurs ont craint la reproduction d’un scénario à la Lehman Brothers, cette banque d’affaires américaine dont la faillite fin 2008 a précipité la crise financière mondiale. Cette fois, c’est Credit Suisse qui s’est retrouvé au cœur de la tourmente.
Depuis plusieurs années, la situation de l’établissement helvétique suscite des doutes, qui ont fini par déclencher des rumeurs : l’établissement risquait le démantèlement, voire la faillite. Non seulement le cours de Bourse de Credit Suisse a été envoyé par le fond (-55 % depuis le début de l’année), mais les CDS de la banque ont aussi flambé, faisant planer le risque d’une nouvelle crise financière.
Un produit dérivé
CDS signifie littéralement « Contrat d’échange sur un (risque de) crédit ». Il fait partie de la famille des produits « dérivés », c’est-à-dire définis en fonction d’un actif de référence, ou sous-jacent (on précise s’il s’agit d’un dérivé action, de crédit, ou de change). Un CDS, comme son nom l’indique, est un dérivé de crédit.
Produit dérivé
Instrument financier qui permet de garantir, pendant une période donnée, le prix d’une matière première, d’une action d’entreprise ou encore d’une devise qui pourra être échangée à l’issue de cette période.
Tous les jours, des banques accordent des prêts à des entreprises et des États, tandis que des investisseurs souscrivent à des émissions obligataires. S’il existe des doutes sur la capacité de l’emprunteur à rembourser, même momentanément, alors le créancier peut vouloir couvrir ce risque de défaut auprès d’une institution financière. Et il le fait en achetant un CDS.
Un CDS agit donc comme une assurance contre le risque d’un « événement de crédit », à savoir le non-remboursement de tout ou partie d’une dette. Celui qui achète cette protection paye une « prime » à celui qui lui vend (qui est donc prêt à assumer le risque de défaut).
La survenance de l’événement déclenche l’exécution du CDS : la créance est transférée au vendeur de protection, qui verse à l’acheteur la valeur du capital de la créance ; il ne reste plus au vendeur qu’à tenter de récupérer ce qu’il peut auprès de l’emprunteur.
La valeur d’un CDS traduit donc en principe la perception par les investisseurs du risque de non-remboursement. Mais cet instrument peut engendrer des prophéties autoréalisatrices : la hausse d’un CDS alimente la crainte sur la situation de l’émetteur, ce qui se pèsera sur son cours de Bourse, renchérira son coût de financement, accroîtra la volonté des investisseurs de se couvrir… favorisant la hausse du CDS.
Prophétie autoréalisatrice
Concept selon lequel les prévisions et les attentes des agents économiques peuvent influencer les événements économiques réels dans le futur ? Par exemple, si les ménages s’attendent à ce que l’économie entre en récession, ils peuvent être amenés à réduire leurs dépenses, et donc, de fait accélérer l’arrivée bien réelle de celle-ci.
Ces dérivés ont été largement utilisés comme outil de spéculation. Ajoutons à cela le fait qu’un CDS est un contrat qui se négocie de gré à gré (on dit aussi OTC, pour over the counter) : contrairement à une Bourse réglementée, il n’était pas prévu de système centralisé et transparent de fixation des prix. L’acheteur de protection fait face à une asymétrie d’information : il n’a pas de vision globale du marché et ignore si celui qui l’a émis a constitué des réserves financières suffisantes.
Malgré tout, acheter des CDS a permis aux banques de réduire la part de fonds propres qu’elles doivent conserver sur leur bilan par rapport aux prêts qu’elles accordent - puisqu’une partie de ces crédits se trouvent couverts. En période d’expansion économique, ils ont largement alimenté le résultat financier des banques, les CDS étant valorisés au prix du marché.
Vendre des CDS s’est avéré tout autant lucratif, surtout en période de croissance où le risque de défaut est faible, d’autant plus que l’activité ne requiert pas de mettre des fonds en réserve pour faire face au risque de défaut : une activité parfaite pour les compagnies d’assurances (qui sont soumises à des règles de provisionnement) et pour les fonds d’investissement, dont les ressources en capitaux propres sont limitées.
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À mesure de l’intérêt croissant qu’ils suscitaient dans les années 2000, les CDS se sont sophistiqués : sont notamment apparus les contrats couvrant des créances d’emprunteurs différents, les CDS sur produits structurés, sur indices et les CDS « à nu », qui n’imposaient pas à l’acheteur de détenir la créance sous-jacente.
Ce dernier avatar a donné naissance à un « aléa moral » majeur : comme si l’on pouvait acheter une assurance incendie sur la maison du voisin - de quoi susciter l’envie d’y mettre soi-même le feu ! Les CDS, qui représentaient un marché de 6 000 milliards de dollars de montant nominal en 2004, en pesaient… 60 000 milliards en 2008.
Aléa moral
Se réfère au fait que les personnes qui sont assurées ont une incitation à prendre des risques plus élevés que ceux qui ne le sont pas, car elles savent que les pertes qu’elles pourraient subir seront couvertes par leur assurance. Par exemple, une personne qui a une assurance auto pourrait être tentée de prendre moins de précautions sur la route, car elle sait que si un accident se produit, sa compagnie d’assurance paiera pour les dommages. Cela peut entraîner une hausse des coûts pour les assureurs et une augmentation des primes d’assurance pour tous les assurés.
Ces dérivés se sont notamment retrouvés au cœur de la crise de la dette souveraine en zone euro entre 2010 et 2012, qui a mis en lumière le cercle vicieux que ces instruments pouvaient créer : la hausse des primes, liée à la perte de confiance croissante dans la capacité de la Grèce à honorer ses dettes, a accéléré la chute de la valeur de la dette du pays et provoqué l’envolée des taux d’intérêt pour ses émissions nouvelles et l’enfonçant un peu plus dans la crise. Le phénomène a contaminé d’autres États comme le Portugal, l’Espagne et l’Irlande, fragilisant l’ensemble du système financier de la zone euro.
Ce risque systémique a poussé les États et les régulateurs à intervenir. Les CDS « à nu » ont été interdits à partir de 2012 au niveau européen pour les titres souverains (obligations d’État), tandis que la création de chambres de compensation a réduit le risque de contrepartie. La compensation présente deux avantages : se substituer à d’éventuelles défaillances et faciliter la centralisation des transactions (et par la même occasion le suivi du marché par les autorités). Les contrats ont également commencé à être standardisés par l’ISDA, l’association professionnelle internationale des swaps et des dérivés.
Le marché s’est assagi : il est passé sous les 10 000 milliards de dollars fin 2017. Mais le risque systémique des CDS n’a pas totalement disparu. La période actuelle, entre crise sanitaire - qui a gelé l’activité de nombreuses sociétés - et crise géopolitique, est particulièrement propice aux grands coups de gouvernail. Dans ce contexte, on ne peut bâtir d’analyse fiable à partir d’un produit dérivé de gré à gré - peu transparent et peu liquide. L’évolution de tels instruments doit donc être interprétée avec prudence.
Lexique
La prime d’un CDS (appelée « spread ») s’exprime en « points de base », ou « pb » (1 pb = 0,01 point de pourcentage), du montant notionnel de la dette sous-jacente : par exemple, un CDS de 250 pb sur une obligation à 7 ans de l’entreprise X de 10 millions d’euros signifie que l’acheteur devra payer 2,5 % de cette somme (250 000 euros) par an pendant 7 ans au vendeur de la protection - à moins qu’un événement ne survienne entre-temps.
Comment détermine-t-on un spread ?
En principe, il doit être égal à la différence entre le taux d’intérêt de la dette de X et un taux de référence - celui d’un actif de très bonne qualité, comme l’obligation d’État allemande (Bund) à 10 ans. Dans notre exemple, on aurait obtenu 250 pb par la différence entre un taux de l’obligation de X de 4,3 % et un taux du Bund à 1,8 %.
Dans le programme de SES
Terminale. « Comment expliquer les crises financières et réguler le système financier ? »