Economie
Comment les marchés sont devenus experts en Covid
Sélection abonnésSi les investisseurs ne sont pas tous sortis de la crise un diplôme de virologie en poche, ils ont appris à modéliser les mouvements des marchés à l’apparition des nouveaux variants, comme Omicron, le dernier en date. Ce nouveau paradigme pourrait coûter cher à certains secteurs comme les transports ou le tourisme.
Pierre Garrigues
© HAMILTON/REA
Aux États-Unis, ce 25 novembre, Wall Street digérait la dinde de Thanksgiving – l’une des neuf journées de l’année où la plus grande Bourse du monde reste au repos. Un mois auparavant, le CAC 40 avait battu tous les records : 7.063,40 points. Les marchés financiers jubilaient. Terminés, les déboires de la pandémie ! Oubliés, les variants et leurs crises économiques !
Ni le CAC 40 ni Wall Street n’auraient pu prédire que, le lendemain – le « Black Friday », vendredi noir dont la connotation d’ordinaire mercantile revêt cette année une tout autre signification –, l’OMS déclarerait« source d’inquiétude » le variant Omicron, détecté 15 jours auparavant au Botswana. Que cette nouvelle version du Covid-19 serait plus contagieuse, et potentiellement plus dangereuse, que les précédents variants. Que les investisseurs paniqueraient, que le CAC 40 clôturerait le vendredi 26 novembre à près de -5 %, et que le Dow Jones subirait son recul le plus important de l’année (-2,53 %).
Aux États-Unis, ce 25 novembre, Wall Street digérait la dinde de Thanksgiving – l’une des neuf journées de l’année où la plus grande Bourse du monde reste au repos. Un mois auparavant, le CAC 40 avait battu tous les records : 7.063,40 points. Les marchés financiers jubilaient. Terminés, les déboires de la pandémie ! Oubliés, les variants et leurs crises économiques !
Ni le CAC 40 ni Wall Street n’auraient pu prédire que, le lendemain – le « Black Friday », vendredi noir dont la connotation d’ordinaire mercantile revêt cette année une tout autre signification –, l’OMS déclarerait« source d’inquiétude » le variant Omicron, détecté 15 jours auparavant au Botswana. Que cette nouvelle version du Covid-19 serait plus contagieuse, et potentiellement plus dangereuse, que les précédents variants. Que les investisseurs paniqueraient, que le CAC 40 clôturerait le vendredi 26 novembre à près de -5 %, et que le Dow Jones subirait son recul le plus important de l’année (-2,53 %).
En fait, les marchés avaient prédit que cela arriverait. Ou plutôt : ils y étaient préparés. D’ailleurs, si les résultats du « vendredi noir » constituent la réaction la plus baissière à un variant, ils n’ont rien à voir avec ceux de la première vague, qui avait pris les investisseurs par surprise.
« Les marchés se sont habitués »
Depuis le krach de mars 2020 et la crise économique qui a suivi l’irruption de la pandémie, les marchés financiers ont appris de leurs erreurs. « Les mouvements de marché actuels ne sont pas inédits », commente Pierre Blanchet, responsable Intelligence économique chez Amundi, une société de gestion d'actifs. « Lorsqu’il s’est avéré que le variant Delta était en train de prendre le dessus, qu’il allait créer des problèmes de mobilité, et amener à revoir les perspectives de réouverture, ça a eu un impact à peu près similaire. »
4,75 %
Chute du CAC 40 vendredi 26 novembre. À l’apparition du variant Delta, le 19 juillet, il avait plongé de 2,33%. Lors de la première vague, entre le 18 février et le 18 mars 2020, le CAC 40 avait baissé de 37,2%.
Selon l’expert, les marchés « se sont habitués ». Les investisseurs ont acquis une meilleure compréhension des mécanismes liés au développement des virus, à sa vitesse de propagation, et surtout de la façon dont les acteurs économiques, politiques, et civils réagissent.
« Quand il y avait des problèmes géopolitiques entre l’Iran et la Syrie, tout le monde était devenu un spécialiste de la géopolitique, s’amuse Nicolas Chéron, stratégiste pour Zonebourse.com. Maintenant que les variants font tousser les marchés, tout le monde devient virologue. On n’avait plus vu ça depuis le H5N1, en 2008. »
« Une vraie déconnexion des mondes économique et scientifique »
En somme, sur les marchés, les investisseurs ont intégré dans leurs calculs des données scientifiques. « Tous les investisseurs, qu’ils soient pros ou particuliers, parlent à des médecins et à des spécialistes », assure Nicolas Chéron. Daniel Morris, responsable de la stratégie de marché pour BNP Paribas Assets Management, acquiesce : « Les grands investisseurs, comme les hedge funds, font appel à des spécialistes pour obtenir des informations sur l’évolution de la situation sanitaire. »
Éco-mots
Hedge funds
Fonds d’investissement peu réglementés et mal définis, caractérisés par une forte croissance et une propension à prendre des risques. Une traduction du terme est d’ailleurs « fonds spéculatifs ».
Mais, rappelle Daniel Morris, ce n’est pas pour autant que les salles de marchés se sont remplies d’experts virologues. Mylène Ogliastro peut en attester. Virologue et vice-présidente de la Société française de virologie (SFV), elle explique qu’elle, comme la SFV et son milieu scientifique en général, n’ont « quasiment aucune interaction avec les milieux financiers ».
« J’ai été, de mon côté, contactée au tout début de la première vague par un groupe d’investissement », admet-elle, avant de préciser : « Mais pas par des réseaux formels : c’est mon beau-fils, qui travaillait pour ce groupe, qui m’a téléphoné. » Selon elle subsiste, même après deux ans de pandémie, « une vraie déconnexion des mondes économique et scientifique ».
Des marchés plus à l'écoute de la presse... et des gouvernements
Comment, alors, expliquer que le variant Omicron n’ait pas fait plus mal aux marchés financiers ? Pour Mylène Ogliastro, les investisseurs peuvent plus qu’avant compter sur la presse, qui, depuis le début de la pandémie, ont appris à mieux retranscrire les controverses et les informations scientifiques.
Surtout, estime Daniel Morris, de BNP Paribas, les investisseurs ont appris à attendre les décisions des gouvernements. « Ce sont elles qui ont un effet sur l’offre et la demande, et ce sont ces effets que les marchés connaissent le mieux. » Par exemple, un confinement signifie que les secteurs touristique ou aérien plongeront.
Daniel Morris poursuit : « Si les investisseurs prenaient en compte l’impact du virus au sens médical, les réactions seraient les mêmes : après tout, le taux d’infection est le même d’un continent à l’autre. » Or, le Dow Jones n'a vendredi baissé « que » de 2,53 %, soit deux fois moins que Paris. En cause : non pas un nombre potentiel d'infections plus élevées sur le Vieux Continent, mais bien l'anticipation par les investisseurs de restrictions, plus probables en Europe qu'aux États-Unis.
En 2020, la situation était bien sûr inédite, les investisseurs en terre inconnue. Ils apprenaient l’existence des variants, découvraient le confinement. « Aujourd’hui, l’effet est plus contenu, parce qu’on sait déjà que, a priori, on devrait trouver des vaccins ou bien améliorer ceux qui existent », note Nicolas Chéron. « On sait que les banques centrales sont prêtes à distribuer de l’argent, les gouvernements à mettre en place des plans de relance si besoin. On a déjà toutes les solutions. »
750 milliards d’euros
Montant injecté dans l’économie par la Banque centrale européenne dès le 19 mars 2020.
Des changements sur la manière de modéliser
Les investisseurs se tiennent donc à l’affût de nouvelles informations. Quid de la contagiosité d’Omicron ? Devra-t-on fermer les frontières, limiter les déplacements, mettre en place un confinement total ? Pour cela, ils ne se tournent pas vers le monde scientifique, mais bien vers les instances politiques.
En fait, l’impact qu’Omicron a eu vendredi pourrait n’avoir qu’un rapport ténu à ses caractéristiques – elles restent pour le moment très floues. « Les marchés montent depuis 18 mois », explique Nicolas Chéron. « Tout le monde avait chaussé ses lunettes roses, et lorsque le variant est arrivé, on est passé de la béatitude à la peur. Tout est allé très vite : les indices ont baissé, le pétrole a baissé, le bitcoin a baissé… »
Pierre Blanchet, d’Amundi, rappelle également le contexte de ce vendredi noir : « L’instabilité des marchés, liée à Omicron, a été très nette, mais dans ce contexte très particulier de la période de Thanksgiving et donc de fermeture des marchés américains. »
Est-ce à dire que l’apparition régulière de nouveaux variants ne devrait plus faire trembler les investisseurs ? « Les marchés financiers englobent de façon plus ou moins rationnelle l’intégralité des évènements qui se passent sur la planète », rappelle Pierre Blanchet.
« On a dû intégrer la pandémie, sa volatilité. Un phénomène qui aujourd’hui n’a pas d’équivalent. La pandémie de Covid amène une désynchronisation entre les régions. Quand la mobilité est restreinte en Europe et pas aux États-Unis, cela entraine un décalage dans le cycle économique. Cela a modifié la manière dont nous modélisons. »
Un nouveau paradigme
C’est ce que dit craindre Nicolas Chéron. « Peut-être que les marchés vont rester 3 à 5 % plus bas que ce qu’ils ne devraient être, en intégrant une prime de risque Covid. On va aller moins haut parce qu’on sait qu’un matin on peut se lever avec une news sur le variant. D’anciens investisseurs, soutiens indéfectibles à la hausse des marchés, vont en sortir. »
Les investisseurs ont donc déjà commencé à intégrer à leurs prévisions les cycles d’apparition des variants. Une manière de protéger leurs rendements, qui pourrait coûter cher aux « valeurs Covid », ces titres qui pâtissent le plus de la pandémie.
« Le Covid fait de plus en plus partie de nos vies quotidiennes », illustre Daniel Morris. « Durant le premier confinement, le secteur aérien a chuté. On s’est dit que ce n’était qu’un mauvais moment, que la croissance du secteur allait revenir, que c’était l’opportunité d’acheter pour faire un bénéfice. C’est ce qui s’est passé entre juillet 2020 et septembre février 2021. Puis, il y a eu le variant Delta, et tous ces nouveaux bénéfices ont disparu. Vendredi, le secteur aérien est revenu à son point de départ de juillet. Est-ce que le même investisseur va penser, cette fois-ci, que les bénéfices vont revenir, que c’est une grande opportunité ? Peut-être pas. »
Pour Nicolas Chéron, c’est même « un nouveau paradigme ». « Un nouvel investisseur doit savoir qu’il y a un nouveau fonctionnement, que dès qu’on parlera de nouveau variant, tourisme, transports, aéronautique souffriront. C’est un nouveau facteur de risques sur les marchés qui n’existait pas avant. » Une causalité déjà intégrée par les investisseurs.
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