« Tout au long de la période de la crise du covid-19, la tech a joué un rôle de valeur refuge, et la SVB, comme d’autres banques du secteur, ont vu les capitaux affluer, explique le sociologue Olivier Alexandre, chargé de recherche au CNRS (Centre Internet et Société), ces capitaux ont été en grande partie placés sous la forme d’obligations, réputées sûres. L’annonce de la remontée des taux directeurs par la Federal Reserve a provoqué d’importants mouvements de cotations-décotations, caractéristiques du trading à haute fréquence. Les mécanismes qui ont provoqué la chute de la SVB ne sont pas donc pas foncièrement atypiques. »
Ce qui l’est plus, c’est la vitesse à laquelle les événements se sont enchainés. Le lendemain de l’annonce d’une augmentation de capital pour compenser les pertes liées à la vente d’obligations, le titre de la SBV perd plus de 60% dans la journée du 9 mars 2023. La vitesse et l’ampleur de la panique semble prendre tout le monde de court.
"Rumor has it" : du "bank-run" au "bank-sprint"
« The revolution will not be televised » annonçait Gill Scott Heron en 1970. Les mécanismes de la chute de la SVB ne lui donnent peut-être pas tort et c’est l’autre fait marquant des vingt-quatre premières heures de cette déroute bancaire : c’est à bas bruit, derrière leurs écrans, que les clients de la banque se sont mis à retirer massivement leur argent et à vendre leurs placements. Des opérations menées à coups de « swipe » depuis leurs applications bancaires mobiles, à tel point que certains n’hésitent pas à parler de « swipe crash ». Une frénésie de courte durée : le 10 mars, les transferts numériques sont bloqués, faisant apparaitre devant les établissements concernés des files de clients venus retirer leurs fonds, dans la plus pure tradition des faillites bancaires.
Quelle mouche a piqué ces clients anxieux ? De nombreux articles ont pointé du doigt le rôle joué par les réseaux sociaux dans la propagation des rumeurs concernant le danger qui planait sur la SVB. Ces derniers auraient pris une telle importance que Patrick McHenry, président républicain d’une commission parlementaire sur les services financiers, a parlé de « la première panique bancaire alimentée par Twitter ».
« Il faut distinguer deux mouvements sur les réseaux » précise Olivier Alexandre. « Le premier, que l’on peut qualifier de « communautaire », a vu de gros investisseurs communiquer entre eux sur les événements en cours sur des réseaux fermés mais avec une très grande réactivité de type Whatsapp, Signal, Slack etc. Leur but était de trouver une solution auprès des régulateurs, de façon collective. Est ensuite apparue une position plus individualiste, comme celle du fondateur de Paypal et détenteur du Founders Fund Peter Thiel, qui a appelé ses investisseurs à retirer leurs acompte, accélérant ainsi le mouvement de panique. »
« À ma connaissance il n’y a pas eu de rumeurs non identifiées. » commente Nicolas Vanderbiest, fondateur de l’agence Saper Vedere et spécialiste de l’e-reputation. « Il semblerait que ce soit Byrne Hobart, via sa newsletter « The Diff » spécialisée dans l’information dans le secteur de la finance et des technologies puis via Twitter, un des plus puissants réseaux par sa volumétrie, qui ait signalé parmi les premiers le risque que représentait la SVB ».
Il faut toutefois se méfier de l’idée selon laquelle tout serait parti d’un « one prolific dude » ("un seul mec prolifique") visionnaire. Pour Nicolas Vanderbiest comme pour Olivier Alexandre, la conjoncture et la communication défaillante de la SVB (comme du Crédit Suisse) ont suffi à créer la panique : les réseaux sociaux n’ont fait que l’accélérer et l’intensifier.
Paranoïa ou réaction rationnelle face au risque ?
Les déposants ont-ils agi irrationnellement en s’alarmant au premier tweet ? Nicolas Vanderbiest nuance : « Pour ces acteurs, l’accès à l’information est une question de survie. Une fois la rumeur lancée, personne n’a envie d’être le dernier à sortir son argent, ceux qui s'en sortent bien sont ceux qui vont vite. C’est une sorte d’illustration grandeur nature de la théorie des jeux. Face à cette contrainte, la seule solution revient à se baser sur le comportement des autres. »
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« La finance comportementale, qui étudie les biais dans les comportements individuels sur les marchés financiers, fait état d’une très forte aversion aux pertes qui est plutôt rationnelle et ne correspond donc pas à du mimétisme irréfléchi, estime Yamina Tadjeddine Fourneyron, professeure de sciences économiques à l’Université de Lorraine. En revanche, ce que le rôle des réseaux sociaux nous montre dans ce cas précis, c’est la façon dont une communauté entière implose. C’est parce que certains ont agi individuellement pour sauver leur mise que toute la sociabilité inhérente à la Silicon Valley s’est effondrée. »
Une sociabilité dont la SVB constituait d’ailleurs le point nodal. « D’habitude les banques professionnelles s’adossent à des réseaux bien installés et peu mobiles, comme les grandes écoles, les grandes familles, des institutions reconnues, rappelle Olivier Alexandre. Dans l’univers de la Silicon Valley, les phénomènes de confiance se font plutôt par des réseaux d’interconnaissance, via la garantie d’un intermédiaire, rôle qu’a d’ailleurs joué la SVB en plus de ses activités bancaires. Les enjeux de réputation sont donc cruciaux, et tout le monde est très perméable aux rumeurs. Ce qui se passe sur les réseaux sociaux n’est que l’émanation d’une sociabilité propre à ce milieu. »
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