L'essentiel
- Le 11 novembre, Sam Bankman-Fried le fondateur de la plateforme d'échange de cryptomonnaie FTX a placé l'entreprise en faillite.
- Passée d'une valeur de 32 milliards dollars à zéro en trois jours, c'est l'une des plus impressionnante chute de l'histoire de la finance.
- Cette crise rappelle que, bien qu'elle tienne le discours opposé, la crypto-finance n'est pas aussi éloignée de la finance traditionnelle.
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Après le krach de l’écosystème Terra en mai dernier, c’est une nouvelle secousse de grande magnitude qui ébranle aujourd’hui l’industrie des cryptomonnaies. FTX était jusqu’à la semaine dernière le deuxième "exchange" mondial de crypto derrière Binance. FTX était utilisé par près de 100 000 investisseurs pour acheter ou vendre des crypto-actifs au comptant ou à terme. FTX était encore valorisé à 32 milliards de dollars le 8 novembre dernier. Aujourd'hui, FTX ne vaut plus rien.
Le 11 novembre, son fondateur, Sam Bankman-Fried, a placé la société sous la protection du chapitre 11 du Bankruptcy Code américain, le cadre légal pour opérer le redressement ou la liquidation d’une entreprise incapable d’honorer ses dettes. Un spécialiste des entreprises en perdition, ancien liquidateur d’Enron, a été nommé en urgence à la tête de ce géant des cryptos aux pieds d’argile. Et l’issue semble inéluctable. Faisant face à un mur de dettes estimé entre 10 et 50 milliards de dollars, FTX ne devrait pas pouvoir se relever.
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Les causes et les développements de ce crypto-krach sont révélateurs des similarités entre les nombreuses crises qui secouent l’univers de la finance décentralisée (DeFi) cette année et celles traversées par la finance traditionnelle (TradFi) ces dernières décennies.
Car, contrairement à ce que ses partisans trop zélés veulent faire croire, les processus à l’œuvre dans la DeFi sont parfois très proches de ceux de la TradFi. La chute de FTX peut ainsi être analysée au travers de trois mécanismes caractéristiques des crises de la finance classique.
La faute originelle : de la spéculation pour compte propre non déclarée
Sur les réseaux sociaux et dans les médias ces derniers jours, Sam Bankman-Fried (SBF pour les intimes) a souvent été comparé à Bernard Madoff et la faillite de FTX à la chute d’une pyramide de Ponzi.
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Cette analogie est abusive. Car une pyramide ou chaîne de Ponzi est une escroquerie qui consiste à promettre des rendements élevés à des investisseurs puis à leur verser des intérêts en utilisant les fonds des nouveaux entrants et ainsi de suite jusqu’à la révélation de l’arnaque.
Le seul point commun entre SBF et Madoff est que ce sont tous les deux des escrocs puisqu’il est aujourd’hui établi que le fondateur de FTX a détourné de l’argent de sa société pour, entre autres, opérer des investissements immobiliers et s’octroyer près d’un milliard d’euros de prêts personnels.
Mais la véritable mise en danger de FTX tient à ce que SBF a pratiqué, en le cachant, de la spéculation pour compte propre, c’est-à-dire de l’investissement à haut risque à son seul profit en utilisant les fonds de ses clients.
Concrètement, il a utilisé les dépôts effectués par des investisseurs sur FTX pour financer des activités de trading d’une autre de ses sociétés, Alameda Research.
Ce fonds d’investissement ayant pris des positions perdantes, il a été incapable de renflouer les caisses de FTX au moment où les clients de la plateforme d’échange souhaitaient récupérer leurs mises. Or ces opérations de spéculation pour compte propre qui affectent la solvabilité d’un intermédiaire financier ne sont pas l’apanage des acteurs de la DeFi.
De l’adoption du Glass-Steagall Act en 1933 à son abrogation en 1999, l’histoire de la finance traditionnelle est marquée par cette controverse sur l’opportunité de séparer ou non les activités de dépôt et d’investissement des banques.
Moins de dix ans après la fin de la séparation entre banque d’affaires et de détail, les régulateurs font d’ailleurs marche arrière. Car, dans le sillage de la faillite de Lehman Brothers en 2008, de grands établissements bancaires frôlent l’insolvabilité. En bref, la TradFi n’a pas attendu la DeFi pour faire l’expérience des risques de la spéculation pour compte propre.
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Le déclencheur : un véritable "bank run" sous l’effet de comportements mimétiques
L’effondrement de FTX a été précipité par une cause récurrente des crises bancaires et financières du passé : la ruée vers les guichets ou bank run. Certes Alameda Research était dans le rouge et devait beaucoup (trop) d’argent à FTX.
Mais l’édifice frauduleux bâti par SBF aurait pu tenir encore quelque temps si le média spécialisé CoinDesk n’avait pas publié, le 2 novembre, un article pointant du doigt les liens financiers incestueux entre FTX et Alameda Research, deux sociétés censées n’avoir rien d’autre en commun que leur fondateur. Prenant au sérieux cette information, les utilisateurs de FTX paniquent et opèrent des retraits en masse. Ce faisant, ils adoptent un comportement mimétique et autoréférentiel typique des acteurs des marchés financiers.
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Entre le 2 et le 7 novembre, FTX fait alors face à une fuite incontrôlable des dépôts, l’équivalent de six milliards de dollars de fonds en cryptomonnaies étant retiré par les utilisateurs, jusqu’à ce que la plateforme suspende les retraits au matin du 8 novembre.
Le facteur d’amplification : l’interdépendance des acteurs qui conduit à l’illiquidité
Le troisième et dernier point commun entre ce crypto-krach et les soubresauts vécus par la TradFi, c'est la transformation rapide d’une crise ponctuelle en choc systémique. Car FTX est en passe d’entraîner dans sa chute des pans entiers de l’écosystème des cryptos. Le développement récent le plus inquiétant de cette crise est peut-être l’annonce, jeudi 17 novembre, de la suspension des retraits sur le programme Earn de Gemini, un dispositif de placement rémunéré de fonds. Gemini n’est rien d’autre que le pendant grand public d’un acteur incontournable de l’univers des cryptos, le n°1 mondial du lending (le prêt de cryptos), Genesis.
Entre les deux entités, le circuit suivant était en place : un particulier place des actifs chez Gemini, Gemini les prête à Genesis, des fonds spéculatifs empruntent ces actifs et versent des intérêts à Genesis, qui en verse une part à Gemini, lequel en verse une fraction au particulier à l’origine du dépôt initial. Mais, sous l’effet de l’effondrement de FTX, Genesis ne trouve plus les capitaux nécessaires pour assurer sa part du contrat. Et la crise d’insolvabilité touchant FTX se transforme lentement mais sûrement en une crise de liquidité dont les conséquences pourraient être plus graves encore.