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Cryptos et gestion du risque « La faillite de FTX, ça ne m’a fait ni chaud ni froid » Félix, investisseur 

Le crash de la plateforme d’échange créée par Sam Bankman-Fried a provoqué une crise de confiance qui a fait fuir nombre d’investisseurs attirés par la flambée du bitcoin. Mais pas Félix Alleaume. Ce salarié de McDo joint le goût pour cette finance high-tech aux principes plutôt sains d’un boursicoteur à l’ancienne.

Yves Adaken
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© BRITTAINY NEWMAN/NYT-REDUX-REA

Le jour de notre rencontre, en cette fin d’après-midi de décembre, il arrive détendu, vêtu d’un T-shirt noir. N’y voyez pas un hommage à la tenue vestimentaire préférée de Sam Bankman-Fried, le P.-D.G. de la plateforme d’échange de cryptomonnaies FTX, dont la faillite, en novembre dernier, a fait un million de victimes. Félix Alleaume, 23 ans, croit et investit dans la blockchain. Mais là s’arrêtent les points communs avec l’ex-gourou des cryptos.

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Celui que l’on surnomme « SBF » est un brillant diplômé du Massachusetts Institute of Technology (MIT) et sa fortune s’élevait à 16 milliards de dollars juste avant sa chute. Félix, lui, est titulaire d’un bac STMG option Finance et a effectué une année de préparation au mandarin à l’Inalco. Convaincu que « les études, c’est vraiment pas pour [lui] », il enchaîne, depuis, les boulots temporaires. Aujourd’hui équipier à temps plein chez McDonald’s, il consacre en moyenne 40 à 50 % de son salaire à l’investissement dans les cryptos.

Éco-mots

Cryptomonnaie

Actif numérique virtuel, pas une véritable monnaie, qui repose sur la technologie de la blockchain et un protocole informatique crypté. Il permet des transactions sans frais et de manière anonyme.

« Mon rêve : ouvrir ma salle de sport »

« J’habite chez mes parents, ça me permet de mettre de côté et d’investir un peu plus », explique-t-il au café à côté de chez lui, où il nous a donné rendez-vous. « Dans ma situation – un jeune qui n’a pas forcément beaucoup d’argent et qui est d’une famille de la classe moyenne, voire populaire –, on se dit qu’on aimerait bien s’en sortir. Bien sûr qu’il y a l’attrait du gain, mais j’ai toujours aimé l’informatique. »

Un jour, lui qui « bidouillait les PC » a entendu parler des cryptos. C’était au lycée. L’idée de « mettre un petit billet dessus » le titillait, mais il était mineur. L’idée s’impose quelques années plus tard, quand il décide d’arrêter les études. Car le jeune homme a des projets à financer. « Mon rêve, depuis des années, c’est d’ouvrir ma salle de sport. Mais avant ça, j’espère avoir assez d’argent pour acheter une maison à mes parents. Ce que j’ai de plus important, c’est ma famille. »

Son profil n’a rien d’exceptionnel. Selon un sondage KPMG réalisé pour l’Association pour le développement des actifs numériques, 37 % des détenteurs français de bitcoins, ethers et autres NFT ont un revenu annuel inférieur à 18 000 euros.

Son niveau d’investissement, en revanche, est bien supérieur à la moyenne : la très grande majorité des détenteurs, 76 %, y consacrent moins de 10 % de leur épargne. Autre particularité, sa détermination n’a en rien été ébranlée par la chute de FTX. « Quand j’ai appris un matin en me réveillant que le marché avait pris moins 20 % à cause de FTX, ça ne m’a fait ni chaud ni froid, se rappelle-t-il. Je ne me suis pas dit : j’ai perdu de l’argent. Je suis allé à la salle de sport et au travail, j’ai mangé et dormi. »

YouTubeurs formateurs

Il faut dire qu’en à peine un an et demi, Félix a beaucoup appris. Il a fait ses débuts « début avril 2021, au top du marché, quand le bitcoin était à 65 000 dollars. J’ai eu deux semaines de gains et j’ai vite compris le danger, car il y a eu un crash en mai. Puis, ça a repris pour toucher les 69 000 dollars en novembre ». Un plus haut historique – un ATH, comme il dit –, suivi d’une dégringolade qui a ramené le bitcoin, fin décembre, sous les 16 000 dollars.

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La volatilité ne l’a pas découragé. Il a décidé de se former, notamment auprès de deux YouTubeurs français, Hasheur et Crypto Matrix. « J’ai commencé avec ces deux-là pour apprendre les bases. Ils renvoient vers des sources qui permettent d’approfondir ses connaissances : comment fonctionne une blockchain, comment le bitcoin a été créé, par qui, etc. Ensuite, j’ai commencé à m’intéresser seul à certains projets, à me renseigner, pour voir si ça pourrait être une bonne chose d’y investir. » Avec beaucoup de risques au départ.

Éco-mots

Blockchain

Technologie transparente et sécurisée de stockage et de transmission d’informations, qui fonctionne sans organe central de contrôle.

Sa plus grosse opération à ce jour : un projet baptisé STPN. « C’est une application qui rémunérait les gens à marcher. Je sais que c’est incroyable, mais j’arrivais à générer 60 euros tous les jours en marchant 10 minutes. Il fallait acheter un NFT de chaussure, il y avait un tracker GPS et on avait des stats, comme dans un jeu vidéo. Marcher permettait de gagner des jetons. Des centaines de milliers de personnes en parlaient. C’était de la folie furieuse. Je me suis dit : “Je vais risquer 1 000 balles dessus, mais il faut que dans deux mois, j’en sois sorti.” Au bout de trois semaines, j’étais déjà “break even” (à l’équilibre), revenu à mes 1 000 euros d’investissement. Un mois après, je suis sorti avec 3 500 dollars, donc 2 500 dollars de gains. Quelques semaines après, tout s’est crashé. Des gens ont perdu énormément. » A-t-il vraiment compris comment l’appli fonctionnait ? « Non, c’était stupide. À partir de là, j’ai décidé de faire ça sérieusement et j’ai commencé à investir beaucoup. »

En fait, si le crash de FTX l’a laissé aussi serein, c’est qu’il avait déjà connu une crise. En mai 2022, la cryptomonnaie Luna a perdu en une nuit 99,9 % de sa valeur.

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« J’en avais un peu, environ 400 balles, ça a été mon premier coup dur. Je me souviens : j’étais au travail, dans une chocolaterie à l’époque, je finis mon taf, j’ouvre mon téléphone et je vois que tout le monde s’est pris moins 30 % dans la tête. Sur Twitter, c’était l’ébullition, on ne comprenait rien à ce qui se passait. J’en ai tiré les leçons. »

L’esprit de la blockchain

 « J’ai vu des gens exposés à 70 % sur du Luna qui ont perdu des millions. À partir de ce moment-là, j’ai dit : “OK, je diversifie mes investissements et les endroits où je mets mes fonds.” J’en ai aujourd’hui entre cinq et sept. De plus, j’ai sécurisé certains de mes wallets [portefeuilles numériques nécessaires aux transactions, NDLR] avec des hardware wallets [de la société] Ledger. C’est comme si on enterrait quelque part une clé permettant de sécuriser la clé privée de mon wallet. » Ceinture et bretelles, en quelque sorte…

Là encore, Félix se distingue. Deux investisseurs sur trois passent par une plateforme centralisée où ils stockent toutes leurs cryptos, selon le sondage de KPMG. Au risque de les voir bloquées, comme dans le cas de la faillite de FTX. Mais pour Félix, les plateformes centralisées sont à l’opposé de l’esprit de la blockchain, conçue pour éviter le recours à un tiers de confiance et garantir une transparence parfaite. Lui-même n’a recours à ces plateformes que pour échanger ses euros en cryptos.

Son credo à lui, c’est la finance décentralisée. La « defi » (prononcez « di-faille »). C’est là qu’il repère les « protocoles » qui l’intéressent. Il a ainsi misé sur le projet UTK, qui vise à généraliser les paiements en cryptos dans le monde réel. Il a aussi investi sur les projets AAVE et Alpaca, spécialisés dans le lending-borrowing, le prêt en cryptos. Les fonds déposés sont prêtés, mais servent aussi à assurer la liquidité et la sécurité de ces plateformes. On parle de « staking ». Le rendement annuel peut être très conséquent : 13,15 % sur Alpaca, par exemple. L’intérêt du staking, souligne-t-il, c’est qu’« il donne aussi un pouvoir de gouvernance », un droit de vote qui permet « d’avoir son mot à dire sur l’évolution du protocole ».

En attendant le bitcoin à 100 000 dollars

Si tous les placements en cryptos présentent des risques, Félix reste à l’écart des activités les plus hasardeuses, comme le trading de cryptos, surtout quand il est fait avec effet de levier, c’est-à-dire de l’argent emprunté. « Pour faire du trading, dit-il, il faut une formation. Mais même les pros ne sont pas tous en bénéfice. Ce n’est pas moi, avec mes 18 mois d’expérience, qui vais les surpasser. Je laisse ça aux gens qui ont besoin de sensations fortes. »

Il n’a pourtant pas à rougir de ses propres performances. Ayant investi au fil des mois « un petit cinq chiffres » – 10 à 12 000 euros –, il a vu ses gains potentiels atteindre au plus haut 50 % de ce montant. Encore « en positif » avant la chute de FTX, contrairement au marché, il accusait début décembre une perte de 20 à 25 %. Sachant que le bitcoin est, lui, en chute de 65 % depuis son sommet de l’année. Mais comme il n’a pas l’intention de se retirer, sa perte reste virtuelle. Et la crise actuelle des cryptos est loin de l’inquiéter.

« Je vise 2025 pour prendre mes profits. La période est propice aux opportunités. Investir maintenant peut s’avérer payant dans deux-trois ans, quand on sera repartis dans un nouveau cycle haussier. Si tout se passe comme je le prévois, avec les cibles de prix que j’envisage, comme un bitcoin autour des 80 000-100 000 dollars au prochain cycle haussier, je pourrai sortir pour financer mes projets. Je suis conscient que cela peut ne pas arriver. Mais je suis confiant. »