L’Union européenne travaille actuellement sur un projet de réglementation du marché des crypto-actifs : Mica (Markets in crypto-assets). Ce projet législatif vise à harmoniser les règles des pays européens sur le secteur des cryptos, mais il est controversé.

Ferghane Azihari, Directeur général de l’Académie libre des sciences humaines, auteur du livre “Les écologistes contre la modernité - Le Procès de Prométhée”.
“Il faut préférer l’auto-régulation et sanctionner les escrocs”.
Harmoniser, pour les plateformes d’échange, les règles qui permettent d’échanger et d’acheter les cryptos n’est pas forcément utile.
Il y a en Europe une sorte de consensus sur l’idée que pour qu’une industrie fonctionne bien à l’intérieur d’un marché commun, il faudrait nécessairement une législation unique. Ce n’est pas mon avis. Pendant très longtemps, l’intégration économique européenne a reposé sur ce qu’on appelait la “reconnaissance mutuelle des normes”. C’est un modèle d’intégration économique très particulier, où chaque État est libre d’édicter sa propre législation.
En revanche, chacun s’interdit de discriminer les produits en provenance d’un autre État membre au motif qu’il n’a pas la même législation. Et c’est finalement le consommateur qui a le dernier mot, en choisissant par exemple d’utiliser les produits de telle plate-forme enregistrée en Estonie plutôt que telle plate-forme enregistrée en France.
Pour moi, cette concurrence législative se suffit à elle-même pour permettre à chacun de bénéficier de produits des services de plateforme en fonction des standards qu’il juge les plus pertinents.
Une harmonisation n’est pas forcément nécessaire pour qu’une industrie fonctionne à l’échelle européenne. Généralement, on harmonise pour réduire la concurrence entre législations nationales. Mais cette réduction de concurrence prive les entreprises et les consommateurs de la liberté de s’affilier au régime législatif de leur choix.
En vérité, la question n’est pas tellement : pour ou contre la régulation. Il faut, bien sûr, des barrières d’ordre public traditionnelles, comme l’interdiction d’arnaquer, et des règles pour l’ensemble des acteurs. Mais cela ne passe pas forcément par une réglementation centralisée.
Aujourd’hui, le projet Mica n’est pas assez adapté aux réalités du secteur. Le législateur est déconnecté des besoins du terrain et ne sait jamais réellement quelle est la règle optimale qui doit s’appliquer pour tel ou tel acteur.
Il est peut-être plus judicieux de croire en un processus d’autorégulation des acteurs, certes laborieux, avec un grand nombre d’essais, d’erreurs, de tâtonnements. Cela impliquerait la société civile, en encourageant les acteurs cryptos à former des associations professionnelles qui imposent des standards ambitieux et qui appliquent ces standards au sein de ces associations pour en faire ensuite un argument commercial.
Ce processus de tâtonnement est le prix à payer pour une régulation qui va répondre véritablement aux besoins des entreprises et des clients du secteur des crypto-actifs.
Il y a fort à parier que derrière cette réglementation se cache en fait une volonté de corseter l’industrie innovante au maximum pour l’étouffer, et pour protéger le monopole bancaire (banques centrales et banques commerciales), très hostiles au secteur crypto-actifs, car ils y voient une concurrence déplaisante.

Aurore Lalucq, économiste et députée européenne chargée du projet de réglementation européenne Mica.
“Il faut mettre en place des règles, qui sont quasiment absentes dans ce secteur”.
Le récent crash des cryptos nous rappelle l’importance et l’urgence de mettre en œuvre une régulation des crypto-actifs pour mieux protéger les consommateurs. Ce secteur, qui attire de plus en plus d’utilisateurs, n’est quasiment pas réglementé : c’est un véritable Far West qu’il est urgent de faire rentrer dans l’État de droit.
Les crypto-actifs sont avant tout des actifs financiers. Ils doivent être soumis aux mêmes règles élémentaires que celles du secteur financier : que ce soit en matière d’assurance, de fonds propres, de compétences (règles prudentielles).
Il y a aussi un certain nombre d’obligations visant à protéger le consommateur comme la best execution (fournir un actif au meilleur prix) ou la lutte contre les manipulations de marché. Enfin, des règles pour assurer la stabilité financière et lutter contre un certain nombre de pratiques illégales comme le blanchiment d’argent ou le financement du terrorisme.
La France, en avance sur le sujet, a créé le régime PSAN (prestataire de services sur actifs numériques), encadré par l’Autorité des marchés financiers (AMF) afin de réguler le secteur des crypto-actifs. Le problème c’est que ce régime comporte en réalité deux standards :
- L’agrément, qui impose un fort niveau de réglementations, notamment en matière de protection du consommateur ; mais qui reste optionnel. Pour l’heure aucune plateforme crypto ne l’a reçu.
- L’enregistrement, qui est obligatoire si la plateforme souhaite se livrer à un certain nombre de pratiques commerciales comme le démarchage ; mais le niveau d’exigence est très faible : quelques vérifications concernant l’honorabilité, la compétence et des dispositifs basiques de lutte contre le blanchiment, rien de plus.
En résumé, la réglementation forte est optionnelle et la réglementation faible qui n’en est pas une, est obligatoire. Cherchez l’erreur.
Par ailleurs, quand vous regardez la réalité, de gros acteurs comme “Binance” ont pu fonctionner jusqu’à présent sans enregistrement sur le territoire français.
L’autre problème de ce statut est que personne, parmi le grand public, ne fait la différence entre les deux. Il est alors facile, pour un grand nombre d’acteurs, de jouer sur cette confusion entre agrément et enregistrement alors que ça n’a rien à voir en matière d’obligations.
Ce double standard donne l’illusion que tout est réglementé, or ce n’est pas le cas. Il faut adopter un seul cadre clair et précis. C’est le but du projet Mica : harmoniser les règles dans l’Union et concevoir un véritable cadre, qui se rapprocherait de celui de la finance traditionnelle.
La plupart des lobbys de la crypto me disent qu’imposer une législation stricte ferait émerger des géants chinois ou américains qui ne subiraient pas ces lois. Mais si de gros acteurs européens avaient dû émerger, ce serait déjà le cas, puisque la réglementation était quasiment inexistante. La plupart des protagonistes du secteur sont d’ailleurs enregistrés dans des paradis fiscaux, ce qui en dit long sur leur philosophie.
J’entends aussi que le cadre juridique que nous souhaitons mettre en place tuerait l’innovation européenne. Toutes les innovations ne sont pas bonnes par nature ! Dans le cas présent, nous parlons quand même d’actifs financiers hautement spéculatifs et hyper polluants, dont on a vu ces derniers jours les risques qu’ils pouvaient faire peser sur des consommateurs pas toujours informés. Sans parler des arnaques, pyramides de ponzi et autres braquages qui se multiplient ces derniers temps. Il est donc crucial de remettre un peu d’ordre dans ce secteur en adoptant une régulation au plus vite.