Parmi les différents modes de financement pour les entreprises, on constate que le financement par les marchés reste aujourd’hui majoritaire, devant l’emprunt bancaire.
Et pour cause : de nombreuses entreprises ont du mal à obtenir des prêts bancaires, surtout en temps de crise. Les banques sont frileuses quand il s’agit de soutenir l’activité économique. Et de toute façon, au regard de leurs besoins en capitaux, les crédits bancaires ne suffiraient pas.
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Les marchés financiers sont également précieux dans au moins deux autres domaines. Pour les matières premières, ils fixent les prix à terme du blé ou des céréales, par exemple, donnant visibilité et sécurité aux producteurs, les protégeant des aléas climatiques et de la spéculation.
Ayant connaissance de ses revenus garantis, un agriculteur peut investir davantage dans son outil de production. Ensuite, les marchés financiers sont essentiels au fonctionnement du système de changes, au gré de l’offre et de la demande, le prix d’échange de chaque monnaie.
Toutefois, le rôle des marchés financiers est perturbé aujourd’hui par l’ultra-financiarisation de l’économie. Nous assistons à un décrochage entre le financement de l’économie réelle et la spéculation. Les profits financiers liés à la spéculation sont de trois à cinq fois plus importants que ceux résultant du financement des activités concrètes.
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Les investisseurs, poussés par la technologie, n’injectent donc plus à long terme de capitaux dans une entreprise, mais à la nanoseconde pour spéculer. Le dessein est d’obtenir une rentabilité maximale et immédiate. Le pouvoir politique doit réguler davantage pour circonscrire ces dérives.
Virginie Monvoisin est enseignante-chercheuse à Grenoble École de Management. Ses travaux portent sur l’économie monétaire, la macroéconomie et le pouvoir.
« Non, ils sont au service des actionnaires »
Disons-le tout de suite : les marchés financiers ne sont plus au service de la croissance économique, mais au profit d’une minorité d’actionnaires qui cherchent une rentabilité excessive. Ils constituent désormais un frein au développement des entreprises et non plus un moteur.
Un seul chiffre permet d’appuyer ce propos : 99 % des transactions enregistrées sur les marchés boursiers concernent aujourd’hui des échanges de titres existants, contre à peine 1 % d’émission de nouvelles actions, source de financement d’une activité.
Actionnaire
Personne physique ou morale qui détient des parts sociales (actions) d’une entreprise. Une action donne des droits à son détenteur (un droit d'associé, un droit pécuniaire, un droit à l'information et un droit préférentiel).
On constate donc que ces institutions ont perdu leur vocation de financement des entreprises (celui-ci se fait à 70 ou 80 % par l’autofinancement et l’endettement) pour s’imposer comme une institution au service des actionnaires qui se réallouent la propriété de ces entreprises.
Un autre phénomène renforce notre constat : depuis quelques années, nous assistons à une accélération des opérations massives de rachat d’actions par les entreprises. En France, les entreprises du CAC 40 ont versé, en 2018, 46,5 milliards d’euros de dividendes et racheté pour 10,9 milliards de leurs propres actions. Soit un total de 57,4 milliards distribués aux actionnaires, selon les calculs des spécialistes de Vernimmen.
Cette somme n’est pas réinjectée en investissements ou en augmentation de salaire. En menant ce type d’opération, les firmes « détruisent » donc du capital acquis par les performances passées, mais elles souhaitent aussi doper le cours de Bourse (en partageant les profits sur moins d’actionnaires). Ce type d’opération de rachat a longtemps été prohibée, au nom du risque de manipulation de la valeur du titre.
Loin de l’image des petits porteurs (commode pour donner l’illusion d’une démocratie actionnariale), l’actionnariat est constitué très majoritairement de fonds de pensions internationaux (américains notamment), d’assureurs (assurance-vie en France) et de quelques riches familles.
Au contraire, les marchés financiers contribuent aujourd’hui au renforcement des inégalités, car les généreuses rémunérations actionnariales ne sont reçues que par les détenteurs d’actions qui sont très largement concentrés parmi les plus riches.
Au point qu’on peut désormais parler de ségrégation : les plus riches développent des modes de consommation déconnectés du reste de la population. In fine, les marchés ont des effets négatifs sur l’économie réelle, que ce soit sur le plan dynamique (moins d’investissement et de croissance) que sur le plan de la répartition des richesses (plus d’inégalités).
Thomas Dallery, docteur en économie, est maître de conférences à l’université du Littoral-Côte d’Opale. Spécialiste du capitalisme financiarisé, il a coécrit l’ouvrage L’Entreprise liquidée. La finance contre l’investissement (Michalon, 2016). Il est membre des Économistes atterrés.