Lire les premiers épisodes : Argent facile, et pourquoi pas moi ? 1/7 | Bizutage aux pays des devises 2/7 | L'arnaque qui a brisé le boulanger-trader Jérémy 3/7 | Comment Chypre attire les profiteurs de la finance en ligne 4/7
Pour lutter contre les arnaques liées au forex, l'Autorité des marchés financiers (AMF), installée Place de la Bourse, à Paris, s'est longtemps contentée de faire des listes. Elle mentionnaient les plateformes aux noms qui sonnaient anglo-saxons comme Astonforex, Brightfinance ou Colbertcap et dont l’activité était proscrite sur le sol français. Le gendarme tricolore incitait aussi les particuliers à se méfier de certains courtiers agréés à Chypre.
Ces mises en garde rataient leur cible : elles touchaient un public restreint, lecteurs des Echos ou de Mieux Vivre-votre argent, déjà avertis des multiples arnaques possibles sur le marché des devises.
Les vautours du forex, eux, continuaient de dépenser des centaines de milliers d'euros en publicité afin de séduire un très large public. Leurs annonces en ligne fleurissaient partout, y compris sur des sites de médias prestigieux, comme Le Monde ou Le Figaro.
Ces titres de presse "s’abritaient hypocritement derrière les plateformes publicitaires qui gèrent leurs annonces en ligne", tacle Gilles Pouzin, spécialiste en déontologie financière et créateur du site deontofi.com.
Des lois pour faire le ménage dans le forex
La loi "Sapin 2" votée en 2017 donne un premier coup d’arrêt à cette propagande. Elle interdit les publicités pour le forex et les options binaires. Adieu les dispositifs marketing agressifs (voir épisode 2) dans lesquels une blonde au sourire radieux promettait la fortune rapide. Mais l’acte législatif avait une faille : la vente de liens sponsorisés sur les moteurs de recherche est restée autorisée, maintenant une certaine visibilité aux courtiers peu scrupuleux.
L’année suivante, alors que les sommes perdues par les particuliers explosent, l'agence de régulation financière européenne (Esma) serre un peu plus la vis. Ces mesures, déclinées au niveau français, proscrivent les effets de levier supérieurs à 30.
Dès la page d’accueil du site, les courtiers ont désormais l’obligation d’informer les clients des risques qu’ils prennent. La proportion des usagers qui perdent de l’argent doit également être communiquée (voir épisode 3). Enfin, les candidats traders doivent répondre à un questionnaire de soutenabilité. C’est un prérequis pour espérer ouvrir un compte.
Le forex semble donc avoir fait peau neuve. Je décide d'en avoir le coeur net.

Contournement de la législation
Il suffit de quelques minutes de navigation sur le web pour remarquer une plateforme omniprésente, revenant sans cesse en tête des moteurs de recherche : AdmiralMarkets. Elle a manifestement acheté des mots clés. Elle se dit régulée à la fois par la Financial conduct authority (FCA), gage de sérieux, et par le régulateur chypriote (Cysec), ce qui est moins rassurant (voir épisode 4). Elle annonce 79 % de clients en perte. Le questionnaire d’inscription s'ouvre. Je décide de faire sonner l'alarme "candidat à risque”.
- Niveau d'étude : néant
- Revenu : très faible
- Profession : chômeur
Je réponds ensuite à une série de questions. Je décide d’exploser le “stupidomètre”.
- Question : “qu’est-ce que l’effet de levier” ? Réponse : “le rapport dette/PIB.”
- Question : “comment fonctionne l’effet de levier ?” Réponse : “c'est un capital gratuit qu'on peut utiliser pour augmenter les profits".
Bonne surprise, AdmiralMarkets m'informe que je ne suis "malheureusement" pas apte à ouvrir un compte "client professionnel".
La plateforme m’invite toutefois à retenter ma chance. Je retente. Je coche cette fois-ci les bonnes réponses, très faciles à trouver. Ma demande est instantanément acceptée. Le site recquiert quelques justificatifs : pièce d'identité, relevé bancaire, justificatif de domicile, mais pas de bulletin de salaire.
Puis, un certain "Jolan" me contacte.
Effet de levier mirobolant
Il me guide pas-à-pas dans la découverte de l'application. Celle-ci est rapide, fluide, professionnelle. Je note rapidement une bizarrerie. Je peux accéder directement au portail anglais d’AdmiralMarkets, régulé par l’autorité chypriote, tout en conservant la consultation du site en français. Cette version m’autorise à jouer avec un effet de levier de 1/500. Très loin, donc, de la limitation européenne de 1/30, fixée par l’AMF, censée protéger les néo-trader français.
Je réitère l'expérience sur le portail ProRealTime. Les résultats sont identiques. Cette société française est agrée par l'Autorité de contrôle prudentiel et de régulation (ACPR), un acteur beaucoup plus exigeant que la Cyprus Exchange and security Commission. Comme AdmiralMarkets, elle respecte la lettre de la loi. L'esprit, c'est une autre question. La société court après le chaland. Son téléconseiller "Clément" me rappelle deux fois en 24H pour finaliser mon inscription…
Plus étonnant, ma dernière tentative m’amène chez FXCM, un courtier américain qui se revendique comme l’un des leaders en France. Ses grands prix de la “confiance” ou “d’excellence en tradings”, fièrement arborés en page d’accueil, devraient m’inspirer confiance. Mais en se plongeant dans l’historique de cette entreprise, on comprend vite que les labels de régulation et autres signes extérieurs de sérieux sont à considérer avec prudence.
Une condamnation de 7 millions de dollars
Et pour cause : FXCM est l’un des plus anciens courtiers du marché du forex. Il est coté au Nasdaq de la bourse de New York, à l'instar de Google, Apple ou Facebook. Pourtant, la société n’a plus le droit d'opérer aux Etats-Unis depuis 2017 !
Son arnaque mérite d’être détaillée tant elle symbolise les dysfonctionnement du forex et la difficulté des régulateurs à agir.

A travers sa filiale Effex, FXCM joue contre ses clients. Lorsque ceux-ci parient sur le dollar contre le yen, Effex parie sur le yen contre le dollar. Lorsque le client perd, le courtier gagne. Le match est donc truqué.
Contrôlant la plateforme technique, FXCM peut affirmer avec aplomb que l'opération a mal tourné, sans que personne n’ait la moindre possibilité de vérifier. C’est le même scénario qui a justifié les pertes du boulanger Jérémy, délesté de quelque 12 000 euros (voir épisode 3).
La plateforme a été condamnée il y a trois ans à payer une amende de 7 millions de dollars.
En juin 2018, IG Markets a elle aussi été condamnée à 500 000 euros pour les mêmes motifs. Cette honorable maison britannique, cotée à Londres, jouait également contre ses propres clients en leur vendant des options dont elle détenait les contreparties. Ce n'est pas ainsi, bien entendu, qu'un intermédiaire doit gagner sa vie. Il est supposé encaisser des commissions sur les ordres passés, sans prendre position.
Me voilà prévenu. Les tours de vis des régulateurs sont bienvenus mais insuffisants. Les sentiers du forex restent glissants et, en cas de chute, ce sera le précipice, sans garde-fou. Je reviens donc à mon dilemme initial. Comment faire fructifier mon épargne avec une prise de risque raisonnable et un minimum d'excitation ? La réponse se trouve peut-être dans une app-store redoutablement bien conçue, que j'ai sous les yeux depuis déjà un moment.