Economie
Devenir trader en ligne, le rêve et les pièges 6/7 | Les nouvelles technos au service des perdants
[Devenir trader en ligne, le rêve et les pièges 6/7] Je décide de fuir ce milieu interlope pour revenir aux actions, une sorte de jeu vidéo qui rapporte, dans lequel on peut se lancer sans formalité. Les applications et autres technologies rendent accessibles le trading. Au risque d'en ressortir sans chemise.
Erwan Seznec (texte) Simon Geliot (illustration)
© DR
Lire les premiers épisodes : Argent facile, et pourquoi pas moi ? 1/7 | Bizutage aux pays des devises 2/7 | L'arnaque qui a brisé le boulanger-trader Jérémy 3/7 | Comment Chypre attire les profiteurs de la finance en ligne 4/7 | Trading en ligne : des filets de protection troués 5/7
Lorsqu'on vous dit "placement en actions", vous pensez sans doute au Gripsec de Gringotts, le gobelin conseiller-clientèle de Harry Potter, penché sur un livre de comptes plus lourd que lui, 100% fiable et rébarbatif. Vous avez doublement tort.
D’abord, les actions ne sont pas fiables. Tous les quatre ans en moyenne (2001, 2008, 2011, 2016, 2020) les marchés dévissent. Si elles attirent encore des investisseurs, c'est parce que rien ne vaut leur rentabilité sur le long terme.
L’Institut de l’épargne immobilière et foncière (IEIF) a fait les comptes dans une étude publiée au printemps dernier. Sur quarante ans, de 1979 à 2019, le taux de rendement annuel des actions a dépassé 13%. Contre toute attente, elles rapportent plus que les toiles de maître, dont le rendement calculé sur 350 ans est assez décevant : 1,5% par an, selon une étude parue dans le journal de la Société de statistique de Paris.
Arrivant sur le marché en 1665, il valait mieux acheter des titres de Saint-Gobain que des tableaux de Vermeer.
Quant au côté rébarbatif, il appartient au passé. Pour investir aujourd'hui, il n'est plus nécessaire d'annoter Les Echos au crayon à papier puis de passer un télex à sa banque. Des applications sur smartphone font le job.
Les fintech vous glissent dans la peau d'un trader
Leur apparition est un phénomène mondial, désigné sous le nom de "fintech", contraction de "finance" et "technologie". Prenez des réseaux toujours plus rapides et des paiements en ligne vraiment sécurisés, ajouter les progrès des interfaces web et des smartphones plus puissants que le PC de base d'il y a cinq ans : vous obtenez l'éclosion de centaines de start-up de fintech.
Elles viennent challenger les institutions financières installées depuis des lustres dans le paysage, avec des portails accessibles aux communs des mortels. Il y a quelques années seulement, personne ne pouvait acheter une action sans passer par un processus assez décourageant.
Il fallait prendre rendez-vous à sa banque, ouvrir un plan d'épargne en actions (PEA), fournir des justificatifs, puis se familiariser avec une application maison austère à souhait, conçue pour passer quelques ordres par semaines. Rien à voir avec les produits des nouveaux entrants. Eux jouent plutôt la carte de la salle de marché virtuelle connectée aux marchés en temps réel.
Etoro, mauvais cavalier
Etoro, par exemple, qui dépense beaucoup en publicité, fait tout pour glisser le client dans la peau d'un trader. Son portail offre des indices journaliers ou mensuels assez facile à lire, avec des noms de sociétés assortie de gros boutons "vendre" ou "acheter". On peut même regarder ce que font les autres et combien ils ont gagné. La plateforme multi-joueurs n'est pas loin, le tout sans abonnement.
L'ouverture d'un compte de démonstration est gratuite et il n'y a "pas de commissions sur les actions", promet la page de garde. Rapidement, toutefois, une signal d'alarme clignote. Etoro est régulé à Chypre, avec un siège social à Limassol. Mauvais signe tant cet île européenne est un paradis pour arnaqueurs (lire notre épisode 4).
Un petit détour par les "conditions générales" s'impose. Tout de suite, le contenu est moins drôle et nettement moins didactique. Tout est en anglais, ce qui est contraire au droit de la consommation.
Un jargon qui tranche avec la facilité d’utilisation
Etoro ne prend pas de commissions sur les actions mais prélève des frais sur absolument tout le reste : frais de dépôt, frais de garde, frais de retrait, frais de change (tout est en dollar) et même des frais d'inactivité ! Petite simulation : en déposant 1000€ chez Etoro pendant un mois puis en le retirant, sans réaliser la moindre opération, je récupèrerais un peu moins de 900€. Le conditionnel est de rigueur car les tarifs, particulièrement obscurs, sont exprimés en "PIP", ou pourcentage en point.
Passé l'ouverture du compte de démonstration, la complexité de la bourse surgit très vite. Il suffisait, paraît-il, d'acheter un titre, d'attendre qu'il monte et de le revendre pour empocher une plus-value. En réalité, le client se retrouve face à l'équivalent d'un menu chinois sans traduction :
CFD ? Futures ? Bear, Gap, Swing ? Absaar ? "Appel de couverture? " "Ordre au marché lié avec un ordre stop et une limite" ?! [Voir notre lexique ci-dessous, NDLR]
De quoi s'y perdre, et peut-être même y perdre la vie. Le 12 juin 2020, Alexandre E. Kearns, 20 ans, étudiant à l'université du Nebraska et client de la plateforme Robinhood (non disponible en France), s'est suicidé. Spéculant depuis l'épidémie de Covid, il pensait avoir perdu 720.000 dollars en utilisant des "contracts for difference" à effets de levier (lire notre épisode 2). Il a préféré mettre fin à ses jours afin de protéger ses proches d'éventuelles poursuites.
Lire l'épisode suivant : Spéculateurs de tous les pays, unissez-vous [7/7]
Les mots clés du trading en ligne
C'est ce qu'on appelle un dérivé. Calqué sur le cours d'une valeur quelconque (blé, action ou devise) il permet de spéculer avec beaucoup de souplesse, en utilisant un effet de levier et en vendant ou achetant à découvert. Opérer à découvert consiste à vendre, par exemple, 1000 actions de la société ABC à 150€, à la date du 31 mars. Le jour dit, si l’action de la société vaut 130€, vous achetez et revendez les titres avec un bénéfice de 20X(150€-130€), soit 20.000€, correspondant à la différence - d'où le nom - entre votre option et le cours réel. Un CFD est passé entre deux contractants, qui se mettent d'accord sur la date à laquelle la transaction est dénouée.
Sur le principe, ils sont proches des CFD, mais avec deux nuances très importantes. Il n'est pas question d'un accord entre deux personnes. Le future s'achète sur des marchés régulés et dotés d'une chambre de compensation qui centralise des milliers de transactions, avec une date d'expiration déjà fixée. Les sommes en jeu sont plus importantes que pour les CFD.
Se dit d'un marché orienté à la baisse, par opposition au marché "bull", orienté à la hausse. Les "ours" donnent leurs coups de griffe de haut en bas, alors que les taureaux balancent leurs coups de cornes de bas en haut.
De l'anglais vide, ou manque. Désigne une différence de prix qui se crée pendant une absence de cotation. Par exemple, un catastrophe aérienne impliquant Boeing survient un samedi soir, alors que la bourse est fermée. Le lundi matin, l'action Boeing repart bien en dessous de la valeur de clôture du vendredi soir. Il y a aussi des mini-gaps en séance, quand la journée est agitée. Certains traders montent des tactiques dans l'espoir d'en profiter.
Désigne une tactique de trading à très court terme (quelques jours), sans s'embarrasser de lectures de bilan et d'analyse des fondamentaux économiques.
Un des milliers d'acronymes de la bourse. "Action à bons de souscription et/ou d'acquisition d'actions remboursables". Concrètement, c'est une action que l'émetteur peut racheter facilement.
C'est une notion très importante. Lorsque vous faites des opérations en bourse avec effet de levier, il y a des gagnants et des perdants. Vient fatalement un moment où ces derniers sont appelés à couvrir leurs engagements, s'ils veulent continuer à spéculer. C'est l'appel de couverture. S'ils n'y arrivent pas, game-over et début des ennuis...
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