Pour analyser cette question, il convient de s’intéresser à la spécificité du cas SVB, qui se distingue des banques traditionnelles de bien des façons. La Silicon Valley Bank est ce qu’on appelle une “community bank”, une banque locale, et n'est donc pas soumise aux mêmes règles que les grandes banques américaines, comme Goldman Sachs. « La SVB s’est positionnée dans une zone de risque sur laquelle les banques traditionnelles ne vont pas, explique Estelle Brack, docteur en sciences économiques, monnaie, banque et finance et fondatrice d’une société de conseil pour les institutions financières. C’est donc beaucoup plus risqué en situation de retournement économique. »
Pourquoi la SVB a fait faillite
Avant l’arrivée de Donald Trump au pouvoir en 2017, toute banque qui gérait plus de 50 milliards d’actifs était sujette au contrôle de la FED et des organismes financiers américains. L’ancien président des Etats-Unis a modifié ce plafond de 50 à 250 milliards de dollars, et la SVB a tout fait pour ne pas le dépasser. « Cette faillite ne serait pas arrivée si la législation n’avait pas changé, car SVB garantissait les liquidités grâce aux obligations du trésor américain. Alors qu’il y a cinq ans elles étaient achetées à taux négatif, elles sont aujourd’hui autour de 3,80 dollars à 10 ans, les obligations valent entre 20 et 30% de moins », explique un banquier privé.
Pour Bérangère Dubus, dirigeante de FI Courtage et secrétaire générale de l’UIC-syndicat des courtiers en crédits, la SVB est entièrement responsable de son effondrement. « Elle est passée sous les radars qui obligent les banques à avoir des liquidités en cas de problèmes, une banque est en danger quand elle investit massivement sur certains marchés », poursuit la dirigeante. Car il est d’usage de ne pas prendre position sur un seul secteur afin de répartir les risques. Par exemple, avant la crise des subprimes en 2008, les banques avaient tout misé sur l’immobilier. Et lorsque celui-ci s'est effondré, le reste de l’économie a été entraîné dans sa chute.
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Les autorités n’ont pas réellement sauvé la SVB
Si la FED a jugé judicieux d’assurer le bait-out de la SVB, cela ne signifie pas que la banque va pouvoir continuer de fonctionner. « Les autorités ne sauvent pas les actionnaires, qui vont vraisemblablement perdre toute leur mise », avance Estelle Brack. « Le grand public pense qu’on injecte des liquidités et qu'on permet tout aux banques, alors que de plus en plus de garanties leur sont demandées, explique un banquier privé. Ce n’est pas un chèque en blanc. »
Bail-out
Expression utilisée pour décrire une intervention de l'État ou de la banque centrale visant à sauver une banque en difficulté financière, par exemle lorsqu'elle rencontre des problèmes de liquidité ou d'insolvabilité. L'État ou la banque centrale fournit alors des fonds pour aider la banque en difficulté à se recapitaliser ou à se refinancer. Cela peut prendre la forme d'un prêt ou d'une injection de capital. Les bailouts bancaires sont controversés car ils peuvent être considérés comme des renflouementspour des institutions financières qui ont pris des risques excessifs. Cependant, l'alternative, c'est-à-dire la faillite d'une grande banque, pourrait causer des dommages économiques importants et une crise financière généralisée (too big too fail).
À titre d’exemple, Banco Popular, une banque espagnole, a fait faillite en 2017. Le système européen s'est mis en place, les épargnants n’ont pas perdu leur argent, et les clients ont été répartis entre deux banques différentes. En revanche, les actionnaires qui étaient responsables de la politique de la banque ont tout perdu.
« Il n’y a pas de risque d’aléa moral car les fonds propres demandés sont gigantesques. En voyant ce qu’il s’est passé à Banco Popular, les banques prennent moins de risques », poursuit le professionnel. En effet, aujourd’hui, 40% des compromis de vente échouent à cause d’un refus bancaire.
La garantie des dépôts n’encourage pas le risque
En effet, la législation très stricte en matière bancaire bride les envies de risque. Il existe un ensemble de règlements prudentiels de fonctionnement, qui n’ont eu de cesse d'être renforcés depuis 1988 et les accords internationaux dits “Bâle 1”. « L’idée est d’obliger les banques à mettre de côté pour garantir la faillite de certains de leurs clients qui ne pourraient pas rembourser leurs prêts », analyse Estelle Brack.
« Protéger les épargnants ne revient pas à protéger les banques. Ces dirigeants n’ont aucune considération pour les petits emprunteurs, ce n’est pas le risque que les épargnants ne puissent pas retirer leur argent qui influence leur attitude. En revanche, si, par exemple, les autorités mettaient en place une interdiction d’aller sur les marchés pendant 10 ans en cas d’abus, cela les ferait réfléchir avant d’agir », propose la syndicaliste Bérangère Dubu.
D'autres considèrent que le bail-out systématique encourage tout de même certaines activités risquées. « La SVB a joué sur deux tableaux, en profitant d’un système de garantie tout en se comportant comme un fond d’investissement, qui normalement n’est pas garanti », analyse Estelle Brack, qui pense vraisemblable le fait que les régulateurs américains limitent davantage les activités des banques à l’avenir, afin d’éviter que le cas SVB ne se reproduise.
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Le sauvetage en cas de faillite souvent indispensable
Questionner les conséquences d’un sauvetage bancaire est légitime, mais ce dernier s’avère souvent indispensable. « Dès lors qu’on est obligé d’avoir son salaire déposé en banque, d'emprunter en banque et qu’il existe un plafond de détention d’espèce, encore heureux que l’Etat garantisse les dépôts », revendique Bérangère Dubus.
La faillite n'implique pas seulement l’argent des épargnants. « On est sur un secteur très particulier : la tech. Il y a un aspect politique : il génère une grande partie du PIB des Etats-Unis et emploie beaucoup de monde », souligne Estelle Brack. Cela explique également la prudence de la FED : laisser tomber la SVB aurait pu entraîner l’explosion de la bulle tech, déjà bien secouée tout au long de l'année 2022 sur les marchés.
Et au-delà des épargnants et des entreprises, c'est l’économie au sens large qui était menacée. « Laisser les banques courir leur propre risque peut entraîner un effet domino et un effondrement du secteur bancaire total, un Lehman Brothers bis, alerte Jean-François Degait, conseiller en gestion privé. Est-ce que c’est sain ou malsain de le faire ? Personne ne peut le dire actuellement. Globalement, c’est quand même mieux d’éviter un défaut à une entreprise plutôt que de la laisser couler. »
Too big to fail
(Trop gros pour faire faillite). Expression utilisée en finance pour décrire une situation dans laquelle un établissement est si grand et si important pour l'économie qu'il ne peut pas faire faillite sans causer des dommages économiques importants. Le cas de Lehman Brothers en 2008 en est l'exemple le plus connu. Sa faillite a eu des répercussions très importantes sur les marchés financiers et l'ensemble de l'économie mondiale durant plusieurs années.