Economie

Le guide pour redonner des valeurs à notre argent

Finance solidaire

Une méfiance envers la finance domine une partie de l’imaginaire collectif. Dans ce contexte de spéculation et de course à l’argent facile, où placer son épargne, que l’on ait 10 euros ou 100 000 ? Suivez le guide de l’investisseur parfait en quatre étapes.

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Illustration de l'article Le guide pour redonner des valeurs à notre argent

© Biocoop

Céline Constantin, 45 ans, reconvertie depuis peu dans l’économie sociale et solidaire, a opéré un virage radical. “Je ne souhaitais plus soutenir l’exploitation pétrolière, l’une des plus importantes sources d’investissements bancaires. J’ai donc voulu réorienter mon argent vers la finance solidaire”.

Comme elle, 61% des Français considèrent les impacts environnementaux et sociaux dans leurs décisions de placements “importants”, selon un sondage Ifop. Pourtant, la marche est encore longue : seuls 13% des Français connaissent l'existence des placements financiers responsables. Au final, l'épargne solidaire ne représente que 0,25 % de l’épargne totale française !

Le potentiel est pourtant énorme : “l’épargne des Français représente deux fois le PIB français. Comme quoi, les citoyens ont une vraie responsabilité et un rôle à jouer !

Mais ce n’est pas si simple de changer ses habitudes et de frapper à la bonne porte. “Mon agence ne m’a proposé aucun investissement responsable satisfaisant”, se rappelle Céline.

A l’image de son parcours, il n’est pas impossible de faire sa révolution bancaire. Voici les grandes étapes et les bonnes astuces pour franchir le pas. 

1. Réorienter son épargne personnelle via les banques... 

Céline est d’abord partie en quête d’un système bancaire en accord avec ses valeurs. “J’ai pensé naturellement à la NEF”, se rappelle-t-elle. Depuis 1983, cet établissement est l’unique banque française spécialisée dans la “finance solidaire”. L’institution compte 22 000 épargnants pour un total de 315 millions d’euros d’encours.

Éco-mots

Encours

Désigne l'ensemble des montants déposés par les épargnants au sein d'une même institution bancaire.

Ce montant est un “pot commun” dans lequel la banque pioche pour financer les projets. Tous les ans, elle liste et localise l’intégralité des financements auxquels elle a participé.

En nombre de projets financés, notre plus gros bénéficiaire est le réseau de distribution Biocoop. Entre 50 et 75% de leurs boutiques empruntent chez nous”, confie Philippe Pascal, responsable des particuliers à la NEF. 

Malgré sa bonne volonté, Céline a rencontré une série d’obstacles. D’abord, ce n’est pas si simple de jongler avec les différents comptes où se trouvent son argent.

Par exemple, elle n’a finalement pas opté pour la Nef car cette banque ne propose pas de compte-courant, simplement un compte épargne. Elle s’oriente vers le Crédit coopératif, qui offre les deux usages.

Au sein de cette institution, son argent finance des logements à destination des plus démunis et de l’économie sociale et solidaire. “Mais ça manque encore de transparence”, critique-t-elle. Autre limite,  “débloquer mon assurance-vie m’aurait coûté trop cher. J’ai seulement pu réorienter la destination de cet argent vers des causes plus justes”.

2. Être prêt à gagner moins 

Dans la finance solidaire, on préfère en effet prêter à un agriculteur du Jura ou pour la construction d’un parc éolien. Ce choix a un coût : les projets sont moins rentables économiquement et donc moins rémunérateurs pour l'épargnant.

Cela n’a pas été un frein pour Céline : “Bien sûr, j’ai dû poser la question de la rémunération. Mais j’ai rapidement compris que le rendement économique n’était pas prioritaire.” 

Mais qui sont ces gens qui investissent, à faible rendement économique ?

L’épargnant solidaire typique est masculin, il habite en Île-de-France, a 45 ans, et investit en moyenne 4 306€.

Cette typologie, issue d’une étude de Finansol datée de 2014, ignore seulement un point, nouveau dans le marché de la finance solidaire : le crowdfunding. Depuis, des sites comme Lita.co émergent. De nouveaux épargnants solidaires, entre 25 et 30 ans, investissent dès 5 euros. 

Il faut chausser de nouvelles lunettes : si ces placements me rapportent de l’argent mais coûtent à l’environnement, est-ce vraiment une bonne opération économique ?
Céline Constantin

45 ans, reconvertie depuis peu dans l’économie sociale et solidaire

Philippe Pascal, de la NEF, confirme : “la rémunération est symbolique”. Le livret NEF est rémunéré à 0,05% quand celui du Livret A est à 0,75%. Le montant moyen de l’épargne à la NEF se situe entre 14 et 15 000 euros, donc comptez environ 7,5 euros de rémunération contre 112,5 euros pour le livret populaire. 

Au regard de sa faible rémunération, la banque propose d’aller plus loin : faire don - partiellement ou entièrement - de ses intérêts.

Débat

La finance solidaire rapportera-t-elle un jour ?

Arguments pour

Jean-Michel Servet

Jean-Michel Servet

Professeur à l'Institut des Hautes Etudes internationales et du développement à Genève.

  1. En période de crise, la finance solidaire est une épargne protégée, étant très éloignée de la spéculation. Elle garantie donc une rémunération même en période de troubles. C’est déjà arrivé à plusieurs reprises aux Etats-Unis.
  2. Renforcée par les taux d'intérêts bas, la finance classique est au bord de l'explosion. Le risque pour les investisseurs de perdre de l'argent est important.
  3. Solidarité et rendement ne sont par ailleurs pas incompatibles.

Arguments contre

David Vallat

David Vallat

Professeur des universités, Science Po Lyon.

  1. Pécuniairement non. Par essence, la finance solidaire est synonyme de faibles rendements financiers qui attirent donc moins les épargnants.
  2. Mais l’aspect financier est-il le plus important ? Ces placements rapportent collectivement en utilité sociale et en biens communs.
  3. A titre individuel, épargner solidaire donne du sens à ce que l’on fait.

3. Compter sur l’épargne d’entreprise, mais...

Deux tiers des épargnants solidaires passent directement par les dispositifs proposées par leurs entreprises.

L’épargne salariale est en effet disponible dans beaucoup d’établissements, y compris de TPE/PME. Ce sont généralement les services de ressources humaines, ou les services spécialisés quand ils existent, qu’il faut solliciter. 

Depuis 2010, ces entreprises sont obligées de proposer un financement solidaire à leurs salariés. Un épargnant salarié sur dix choisit cette option. Mais les projets financés par ce type d’épargne ne sont pas tous vraiment solidaires. Dans ce produit financier, la réglementation européenne oblige que 90% répondent à des critères dits ESG pour “Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance”, moins exigeante que l’appellation “solidaire” : une entreprise dont le seul fonctionnement est estampillé éthique peut donc profiter de ces épargnes salariales.

Et la fiscalité dans tout ça ?

Comme la finance solidaire est moins rentable, l’Etat a décidé d’inciter ce comportement vertueux en proposant une défiscalisation. Les épargnants solidaires peuvent en profiter. Cela va de l’exonération complète sur les plus-values et sommes investies dans le cadre de l’épargne salariale, à 18% du montant souscrit auprès d’une entreprise solidaire, dans la limite d’un plafond réglementaire. Dans le cadre d’un produit bancaire, la réduction d’impôt s’élève à 66% sur les revenus versés (75% si les revenus répondent aux besoins des plus démunis). Avec la suppression de l’ISF, ces avantages fiscaux ont néanmoins diminué.

4. Supprimer les intermédiaires mais s’informer 

Face aux limites de l'épargne salariale, certains chercheront donc à aller plus loin. La souscription aux parts sociales d’une entreprise reste le moyen le plus efficace d’investir solidaire. C’est sans intermédiaire et ciblé. 120 000 particuliers ont déjà opté pour ce type d’épargne. 

Pour cette souscription, il faut donc directement choisir l’entreprise à financer. Pas facile, toutefois, d’obtenir les bonnes informations. Les labels, comme Finansol, sont alors précieux. “Sans être altermondialistes, nous cherchons à transformer la finance de l’intérieur en la réinsérant dans l’économie réelle avec un impact environnemental, social ou culturel”, martelle Frédéric Tiberghien, son président. 

Faute d'accord de financement auprès des banques traditionnelles, le réseau de distribution Biocoop s'est tourné vers les organismes collectant l'épargne solidaire. © Biocoop

Un comité éthique et indépendant enquête sur les véritables retombées des fonds d’investissement estampillés solidaires. Si les produits financiers propulsent bien des projets à vocation écologiques ou solidaires, l’association appose sa marque. Le label Finansol suggère 60 entreprises sur son site internet mais chacun est bien sûr libre de définir sa crèmerie. C’est le seul moyen de réellement choisir une finalité précise pour son argent.

Ce procédé a toutefois des limites : “l’épargnant français n’aime pas les risques”, analyse Frédéric Tiberghien de Finansol. En effet, rien ne garantit que l’entreprise sera viable ou qu’elle ne fera pas faillite avant de redistribuer de l’argent aux actionnaires solidaires. Les autres solutions, moins efficientes, offrent, quant à elles, des garanties pour retrouver son placement quoi qu’il arrive. Alors, prêt à parier pour la bonne cause ?

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