Premièrement, il est tout à fait commun de s’endetter, chaque pays étant endetté auprès d’autres pays. Une dette est soutenable si la croissance reste soutenue et si la confiance auprès des créditeurs à rembourser leurs dus est stable.
Une croissance du PIB soutenue permet de dégager des revenus continus et qui seront utilisés pour rembourser la dette. Si l’activité économique ralentit et que la dette s’alourdit, les revenus ne suivront pas le montant d’endettement, au risque de manquer d’argent pour honorer ses engagements.
Deuxièmement, la confiance des investisseurs dans la capacité à rembourser est aussi un facteur très important. Elle se répercute dans le taux d’intérêt. Si celui-ci est bas, cela veut dire que le risque de prêter de l’argent auprès d’un État est faible. Au contraire, si le taux d’intérêt est haut, les marchés estiment qu’il est risqué de prêter de l’argent à un État. En conséquence, l’intérêt demandé sera plus élevé, pour mieux rémunérer le risque entrepris. Emprunter coûtera donc plus cher à cet État.
La confiance des marchés est en partie liée aux notes attribuées par les agences de notation. Plus cette note baisse, plus les investisseurs sont réticents à octroyer des prêts. Les États mal notés ont donc plus de mal à s’endetter car les prêteurs de fonds ne veulent plus leur prêter. La soutenabilité de la dette est remise en cause et le risque de non-remboursement est grandissant.
Il y a une autre variable à prendre en compte : la force de la monnaie.
Rembourser en roubles ?
Les sanctions économiques des pays occidentaux administrés contre le Kremlin, comme le gel des actifs russes ou l’exclusion de la Russie de la messagerie interbancaire SWIFT, ont fait reculer la valeur du rouble.
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Au 10 mars, il faut 140 roubles pour un dollar. C'était 60 roubles pour un dollar avant la pandémie, début 2020.
Dans un décret paru le 8 mars, Vladimir Poutine autorise Moscou à rembourser ses créanciers internationaux en rouble plutôt qu’en devises étrangères. Le président russe est loin d’apprécier ces sanctions, on peut considérer ce décret comme une riposte contre les pays occidentaux. Les marchés voient dans cette action un risque calculé de non-remboursement des dettes russes.
La baisse de la note de la dette russe a une conséquence directe : les investisseurs ne veulent plus prêter d’argent à la Russie. Le taux d’intérêt russe est passé de 9,5 % à 20 %. Il devient très cher de s’endetter pour la Russie.
La menace d’embargo du gaz et du pétrole russe conjuguée aux autres sanctions économiques pèsent sur la croissance, très dépendante de ses matières premières.
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Une croissance atone ne permettra pas de rembourser une dette qui devient de plus en plus chère et la question de l’insoutenabilité de la dette russe se pose.
Un scénario qui rappelle l’épisode de 1998
La Russie a déjà connu ce scénario de « faillite » en 1998. Cette crise de la dette russe faisait suite au choc mondial de la crise asiatique et au basculement d’un système soviétique à un système libéral.
Très dépendante des exportations de matières premières, la Russie connaît à l’époque de grandes difficultés. La baisse du cours du rouble pointe le manque de compétitivité des produits russes.
La situation budgétaire russe (moins de recettes, plus de dépenses) est critique. Le pays procède à de nouveaux prêts. Les taux d’intérêt augmentent et sont mal vus par les marchés. Ces derniers n’ont plus confiance en l’État russe dans sa capacité à rembourser.
La fuite de capitaux qui s’ensuit se traduit par l’effondrement de la valeur des obligations russes et la faillite des grandes banques russes qui avaient toutes spéculé sur ces titres. Le gouvernement de Boris Eltsine (président russe de l’époque) réagit en dévaluant le rouble et en déclarant le pays en défaut de paiement sur sa dette.
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La croissance économique revint en 1999 grâce à la remontée du cours du pétrole. La dévaluation opérée un an auparavant porte ses fruits et rend le pays compétitif à l’international.
La différence majeure avec la situation actuelle, est que la Russie n’est pas un pays surendetté comme elle l’était à l’époque. Sa dette représente environ 20 % de son PIB en ce début 2022. C'est peu. À titre de comparaison, la dette française s'élève à environ 116 % actuellement.
Le Kremlin s’était préparé à d’éventuelles sanctions depuis l’annexion de la Crimée en 2014. Le pays possède aujourd'hui une importante réserve de devises étrangères (et réserve d’or) à hauteur de 630 milliards de dollars. Près d’un tiers de ces réserves sont en euros (équivalent à 200 milliards de dollars), 16% des avoirs russes sont libellés en dollars.
Mais plus de la moitié de ces avoirs russes (euro + dollars) sont gelés à cause des sanctions économiques et ne peuvent donc être vendus pour soutenir le cours du rouble.
Les exportations russes qui deviennent moins chères du fait de la dépréciation du rouble sont bloquées car les pays occidentaux limitent au maximum le commerce avec la Russie. Dans le même temps les importations, dont la Russie dépend en partie sur les produits alimentaires, deviennent dans le même temps beaucoup plus chères. Le Kremlin se retrouve dans l’impasse.
Des sanctions qui n’auront pas de conséquences sur le conflit
Des épisodes similaires de défaut de paiement en temps de paix ont déjà eu lieu, par exemple au Brésil et en Argentine au début des années 80. Mais les conséquences d’un défaut de paiement dans un contexte de guerre sont encore floues.
Cet éventuel défaut n’aura en tout cas pas d’impact systémique sur le système financier international, la dette extérieure russe ne représentant « que 39 milliards de dollars » rassure Christophe Destais, directeur adjoint du CEPII.
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Quant à la question de la trajectoire du conflit, le directeur adjoint du CEPII confie que cela n’aura pas d’impact réel. Les soldats russes sont payés en roubles, et donc le chef du Kremlin peut se procurer sa monnaie nationale auprès de la banque centrale russe ou même en augmentant les impôts auprès des ménages russes. Ce n’est donc pas un défaut de paiement qui fera flancher Vladimir Poutine.