Les États-Unis l’ont confirmé le 15 décembre : la Réserve fédérale américaine (Fed) s’apprête à rehausser ses taux directeurs dès 2022 et à diminuer ses achats d’obligations. En cause ? La menace d'une inflation qui dure, au détriment de la stabilité des prix. Cette dernière doit être maintenue par les banques centrales, or les prix ont flambé de 6,8 % sur un an aux États-Unis et de 5,1 % au Royaume-Uni.
Afin de contrer cette inflation, les banques centrales peuvent user d’un outil de politique monétaire conventionnelle : le taux directeur. Pour une banque centrale, relever ce taux revient à augmenter le taux d’intérêt des prêts qu’elle accorde aux banques commerciales, en échange de titres mis en garantie.
Cette hausse se répercute ensuite sur les prêts proposés par les banques commerciales à leurs clients. Le coût du crédit devient plus élevé pour les ménages et les entreprises : ils empruntent moins, donc consomment moins et investissent moins. L’activité ralentit, les prix redescendent, l’inflation s'atténue.
Inflation
Dans une économie de marché, les prix des biens et des services peuvent varier. Certains augmentent, d’autres diminuent. On parle d’inflation lorsqu’il y a une hausse des prix généralisée et non pas seulement de certains produits. Il en résulte que vous pouvez acheter moins de biens et de services pour un euro. Inversement, un euro vaut moins qu’avant. L‘inflation est donc une perte de pouvoir d’achat de la monnaie.
Pour autant, la décision britannique a surpris les acteurs économiques, qui s'attendaient à un taux rehaussé début 2022 et non dès la fin 2021 – le temps de mesurer les effets du variant Omicron sur l’économie. La BoE justifie cette mesure par un marché de l’emploi qui se porte bien. Aux États-Unis aussi, la forte reprise économique justifie, elle aussi, une hausse des taux directeurs. Ces mesures témoignent de la crainte des États de ne pas contrôler l’inflation et d’entrer dans une spirale inflationniste.
À lire Inflation aux États-Unis. La théorie monétaire moderne s’est-elle fourvoyée ?
Spirale inflationniste
Cercle vicieux où l’inflation s’amplifie sous l’effet d’un enchaînement entre l’augmentation des prix et celle des salaires (d’où son autre nom de spirale « prix-salaires »). En effet, si les salariés demandent une revalorisation de leurs salaires, les profits des entreprises vont diminuer, ce qui va les inciter à augmenter le prix de leurs produits (on répercute les hausses de salaire).
La BCE plus prudente
L’Union européenne préfère ne pas encore emprunter ce chemin. Le 16 décembre la présidente de la BCE a expliqué que la hausse des taux directeurs en 2022 semble « très improbable ». Estimant que l’économie de la zone euro est encore « en train de se remettre » et décrivant l’incertitude liée au variant Omicron, Christine Lagarde a annoncé une réduction « progressive » des achats de titres, « sans transition brutale ». La fin du programme de soutien est prévue pour mars 2022.
Avant la pandémie, la zone euro disposait déjà d’un programme de rachats d’actifs, l’APP (Asset Purchase Programme), équivalent à 20 milliards d’euros par mois. Ces mesures de politique monétaire non conventionnelles sont en place depuis la crise économique de 2008 et sont un levier d’action pour les banques centrales, dont le taux directeur est déjà au plus bas.
Ces achats massifs de titres effectués par la banque centrale permettent d’augmenter la liquidité en circulation et de faire baisser les taux d’intérêt. C’est une manière d’agir indirectement contre le risque de déflation et de ralentissement de la croissance.
Lire aussi L’inflation n’effraie plus la BCE, elle change sa politique monétaire
Banque centrale
Institution financière dont le rôle est d’orienter la politique monétaire et de change, et de contrôler les banques et la création monétaire. Elle assure la stabilité du système monétaire et financier en assurant le rôle de prêteur de dernier ressort.
« Instabilité financière latente »
« Cet outil a été réactivé pendant la pandémie, car il s’est avéré très pratique », constate Yamina Tadjeddine, professeure de sciences économiques à l’université de Lorraine et chercheuse au Bureau d'écnomie théorique et appliquée. En 2020, l’économie de la zone euro souffre de la pandémie. Pour la maintenir à flot, la BCE décide le 18 mars 2020 de mettre en place un programme exceptionnel : le PEPP (Pandemic Emergency Purchase Programme). Au total, il représente 1 850 milliards d’euros jusqu’en 2022, soit 70 milliards d’euros injectés chaque mois par la BCE.
« Cela a été un soulagement pour les États, car les institutions financières achetaient automatiquement les obligations, sachant que la BCE pourrait racheter ensuite les titres de dette des États », détaille l’enseignante. Ces mesures ont permis, par exemple, de soutenir les politiques de subventions massives mises en place en France. Elles ont aussi permis de « réduire les tensions sur les marchés de dette souveraine des pays les plus fragiles comme l’Italie, l’Espagne, le Portugal et la Grèce », note l’économiste Christophe Blot dans la revue de l’OFCE, publiée en février.
Mais ces mesures ne peuvent pas durer éternellement. « Elles ont été un soutien aux États, mais entraînent la création de beaucoup de liquidité, participant ainsi à créer une instabilité financière latente », rappelle la professeure de sciences économiques Yamina Tadjeddine.
La BCE ralentira son programme au cours de l’année 2022. Au deuxième trimestre, le montant du PEPP descendra à 40 milliards d’euros, puis à 30 au troisième trimestre et enfin à 20 milliards d’euros au quatrième trimestre, soit le montant du programme d’avant-crise. « La BCE envoie un message aux États pour leur signaler la fin progressive du ‘quoi qu’il en coûte’ », explique Yamina Tadjeddine.
Lire aussi Les taux directeurs, leviers décisifs pour accompagner l’économie
En Chiffres
1 850
Soit, en milliards d’euros ce que représente le PEPP (Pandemic Emergency Purchase Programme). Ce programme exceptionnel, mené par la Banque centrale européenne a été décidé en mars 2020 pour venir en aide à l’économie de la zone euro face à la pandémie de Covid-19.
« Ces politiques monétaires qui devaient être exceptionnelles après 2008 sont devenues permanentes, l’idée de désengagement n’est pas nouvelle », poursuit la chercheuse. La pandémie est en effet arrivée au moment où les États-Unis craignaient une reprise de l’inflation. Ayant retrouvé une économie d’avant-crise sanitaire, le pays juge donc que le moment est venu de revenir à une politique monétaire plus conventionnelle.
Quant à la zone euro ? Elle n’est elle jamais vraiment sortie de l’eau depuis 2010, malgré une croissance estimée à 4,2 % en 2022 (et une inflation estimée à 3,2 %. Mais la période reste incertaine pour les banques centrales, et les vagues d’épidémie successives et le variant Omicron compliquent les prévisions.