Economie
Le président de la Fed, Jerome Powell, est-il l'homme le plus puissant du monde économique ?
Sélection abonnésJerome Powell, président de la Réserve fédérale américaine, la banque centrale des États-Unis, est régulièrement qualifié de maître du monde. À tort ou à raison ?
Stéphanie Bascou
© AL DRAGO/NYT-REDUX-REA
Tout le monde ne connaît pas Jerome Powell, mais peu de gens ignorent ce qu'est la Réserve fédérale américaine. Chargée de réguler l'activité bancaire, la banque centrale des États-Unis (Fed) définit également la politique monétaire d'un des pays les plus puissants du monde économique.
À sa tête donc, se trouve depuis 2018 un homme au visage calme et aux cheveux grisonnants qui apparaît, à la manière d’un porte-parole, après chaque réunion du comité des gouverneurs. Jerome Powell, c’est cette voix aux intonations parfois professorales qui rend des comptes-rendus, répond principalement aux sollicitations des médias et s’exprime au nom de la Fed.
Bien qu'il occupe une fonction souvent mal comprise, (trois quart des Américains ne savent pas ou peu ce que fait la Fed), on dit de lui qu’il pourrait faire plonger ou flamber les marchés financiers. Il lui a d'ailleurs suffi d'un mot – « transitoire » – pour faire la Une des journaux économique du monde entier.
Tout le monde ne connaît pas Jerome Powell, mais peu de gens ignorent ce qu'est la Réserve fédérale américaine. Chargée de réguler l'activité bancaire, la banque centrale des États-Unis (Fed) définit également la politique monétaire d'un des pays les plus puissants du monde économique.
À sa tête donc, se trouve depuis 2018 un homme au visage calme et aux cheveux grisonnants qui apparaît, à la manière d’un porte-parole, après chaque réunion du comité des gouverneurs. Jerome Powell, c’est cette voix aux intonations parfois professorales qui rend des comptes-rendus, répond principalement aux sollicitations des médias et s’exprime au nom de la Fed.
Bien qu'il occupe une fonction souvent mal comprise, (trois quart des Américains ne savent pas ou peu ce que fait la Fed), on dit de lui qu’il pourrait faire plonger ou flamber les marchés financiers. Il lui a d'ailleurs suffi d'un mot – « transitoire » – pour faire la Une des journaux économique du monde entier.
Éco-mots
Double objectif de la Fed
Contrairement à la Banque centrale européenne, qui a pour seule mission la stabilité des prix (maintenir une cible d'inflation à 2%), une double mission guide la Fed dans ses décisions de politique monétaire. Elle doit « promouvoir l'objectif d'un emploi maximum et des prix stables », en privilégiant des taux bas.
Des décisions prises en comité
Jerome Powell est pourtant loin de décider seul, rappelle Christophe Blot, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) : « Dans les banques centrales, ce n'est souvent pas un homme ou une femme, mais un comité, qui décide.»
Aux États-Unis, ce comité, que l'on appelle le FOMC (Federal Open Market Committee) est composé de 12 membres. Aux côtés de Jerome Powell, on trouve quatre membres des banques centrales régionales, un de la banque centrale de New York, et six gouverneurs.
Pour prendre des décisions, le FOMC se réunit et discute toutes les six semaines. En amont, Jerome Powell exerce un pouvoir considérable en fixant l'ordre du jour et en décidant « de ce qu'il convient de soumettre au vote et des questions qu'il convient de ralentir ou d'accélérer », écrit le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz dans une tribune du Guardian. Mais une fois la réunion commencée, les différents membres conversent jusqu’à aboutir à une proposition de politique monétaire. Le processus peut durer plusieurs jours, à l'issue desquels les membres votent pour ou contre cette proposition.
Or, dans l’histoire de la politique monétaire américaine, « il n'y a jamais eu des “votes contre” qui renversent la proposition, même s’il peut y avoir des oppositions au sein du comité », détaille Christophe Blot.
Le prétendu « maître du monde » doit donc composer avec ses acolytes, mais pas seulement. Il peut aussi faire l’objet de pression de la part du pouvoir politique américain. En théorie, cela ne devrait pas être le cas. Créée en 1913 par le président Wilson après la panique financière de 1907, la banque centrale américaine est, de par sa structure et son organisation, indépendante du pouvoir politique – même si certains de ses membres sont nommés par le président des États-Unis et confirmés par le Sénat américain.
La Fed, c’est :
- Sept gouverneurs désignés par le président des Etats-Unis pour 14 ans, une durée censée garantir leur indépendance, qui composent un conseil des gouverneurs et qui votent lors du FOMC ; dont un président et un vice-président désignés pour quatre ans. Jérôme Powell a été désigné par Barack Obama comme gouverneur en 2011. Il a ensuite été choisi par Donald Trump en 2017 comme président du FOMC, avant d’être reconduit pour une nouvelle durée de 4 ans par Joe Biden le 22 novembre 2021. La démocrate Lael Brainard a été désignée comme vice-présidente.
- Douze représentants des douze banques régionales (Atlanta, Boston, Chicago, Dallas, Cleveland, New York, San Francisco, Richmond, Philadelphie, Kansas City, Minneapolis et Saint-Louis). Ils participent aux réunions du comité (FOMC), mais seuls quatre d'entre eux peuvent y voter. Ils sont les seuls et uniques actionnaires de la Fed.
- Une institution indépendante politiquement : elle ne rend des comptes à aucune institution financière ou politique ou ne sert aucun intérêt privé selon les statuts, le Reserve federal act. Mais elle doit rendre deux fois par an un rapport sur l’état de l’économie au Congrès américain, qui auditionne à cette occasion le président de la Fed.
- Une institution indépendante financièrement. Elle ne reçoit aucune subvention publique, et a ses propres ressources. Ses recettes sont reversées au Trésor américain.
Cette indépendance doit lui permettre de prendre des décisions extrêmement difficiles, à l’image de celle prise par Paul Volker, président de la Fed de 1979 à 1987, qui décida, en plein choc pétrolier, d’augmenter les taux d’intérêts pendant plus de dix ans pour enrayer l’inflation, entraînant une récession importante et… une immense impopularité. Même si la décision de Volker coûtera au démocrate Jimmy Carter sa réélection, l’ancien président reconnaîtra que « c'était la bonne chose à faire ».
Sous Trump, Powell humilié
Si les statuts garantissent une forme d’indépendance à la Fed et à son président, la pratique reste plus nuancée, à l’image de Jerome Powell qui a dû composer avec des pressions politiques intenses de Donald Trump.
En 2018, la Fed décide d’augmenter à quatre reprises les taux d'intérêt, après des années de baisse. Son but est alors d’éviter une surchauffe de l'économie. La hausse déclenche le courroux de Donald Trump, qui lui demande – à plusieurs reprises et sans succès – de baisser les taux d’intérêts. Trump ira jusqu’à traiter Powell qu’il a nommé quelques mois plus tôt « d'ennemi de l'État » et de « raté ». Le président de la Fed est cette fois affublé du titre de celui qui a « le job le plus humiliant d’Amérique ».
Poussé à la démission, Powell ne cède pas et supporte les insultes de la Maison Blanche en silence. Pouvait-il être limogé ? La constitution américaine ne l’interdit pas, mais cela ne s’est jamais produit en raison d’une tradition de respect de l’indépendance de la Fed.
Pour Christophe Blot de l'OFCE, « des travaux ont montré que les pressions politiques de Trump ont pu influencer l'orientation de la politique monétaire. Si Powell n’a finalement pas été congédié, on a pu influencer les décisions qu’il a prises. C'est donc en quelque sorte une remise en cause de son indépendance ».
Le mur des intérêts économiques
À côté de la pression politique, la toute puissance de Powell et de la Fed est-elle limitée par des intérêts financiers ? La question se posait déjà en 2017 lorsque Donald Trump choisit Jerome Powell pour remplacer Janet Yellen, la précédente présidente de la Fed. Pour les milieux financiers, il s’agit d’une bonne nouvelle, car « un des leurs » va prendre la tête de la banque centrale.
S’il n’est pas économiste, comme son homologue à la tête de la BCE Christine Lagarde, Powell fait bien partie du monde de la finance. Ancien avocat d’affaires, le sexagénaire a travaillé dans l'une des plus grandes sociétés de capital-investissement du monde, le groupe Carlyle. Extrêmement riche, il serait à la tête d’une fortune d’au moins 19,7 millions de dollars, selon le Washington Post. Pour le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, il s'agit d’un « avocat soucieux de Wall Street » et donc des intérêts de la bourse.
« En étant passés par la finance, ces banquiers centraux ne sont-ils pas amenés à privilégier, du moins de manière implicite, les intérêts du système financier ? », s’interroge Christophe Blot, économiste à l’OFCE. Un article de recherche publié il y a quelques années a montré, détaille-t-il, que les personnalités au sein de ces comités de politique monétaire qui avaient un passé dans une banque ou dans le système financier, étaient moins enclines à prendre des décisions de réglementations du système financier.
« C’est une autre forme de ce qu’on appelle ‘revolving doors’, vous passez d’un système à un autre et vous n’allez pas du coup finalement pénaliser la main qui vous a nourri pendant plusieurs années avant », développe-t-il.
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Revolving doors (ou porte tambour)
Phénomène de rotation de personnel entre un rôle de législateur et régulateur d'une part et un poste dans l'industrie affecté par ces mêmes législation et régulation (donc avec suspicion de conflit d'intérêt) d'autre part. Une relation malsaine peut alors se développer entre le secteur privé et le gouvernement, basé sur l'allocation de privilèges réciproques au détriment de l'intérêt de la nation.
La Fed, une banque aux super-pouvoirs
Finalement, plus que son président, c’est la banque centrale elle-même qui apparaît comme l’institution la plus puissante des États-Unis et au-delà. Le marché financier américain étant le plus important au monde, et le dollar la première devise mondiale, les interventions de la Fed n'influencent pas seulement la politique économique de la première puissance mondiale, mais bien l'ensemble de l’économie globale.
Concrètement, cela signifie que huit fois par an, la Fed cherche à obtenir une inflation faible et un emploi stable. Pour ce faire, elle décide de tourner dans un sens ou dans l’autre un bouton qui fixe un taux d’intérêt particulier : le taux d’intérêt à très court terme. Ce taux ne concerne que le système financier.
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Taux directeurs des banques centrales
Taux d'intérêt au jour le jour fixés par la banque centrale d'un pays ou d'une union monétaire, et qui permettent à celle-ci de réguler l'activité économique. Les taux ont un effet direct sur les taux de prêt aux ménages et aux entreprises. En effet, les banques commerciales répercutent sur leurs prêts le coût qu'elles ont dû payer pour obtenir de la monnaie banque centrale. Des taux faibles favorisent l'activité économique et le crédit, mais peuvent entraîner une hausse des prix et la création de bulles.
« Plus précisément, la Fed fixe une cible, explique Christophe Blot, c’est comme si elle disait : je voudrais que le taux très court terme soit de tel niveau. » Ce taux va alors servir de référence pour tous les besoins de liquidités pour des durées de 24 h au sein du système financier. Or, baisser ou augmenter ce taux d’intérêt va influencer l’ensemble des autres taux à plus longs termes par des mécanismes plus ou moins directs.
La Fed peut aussi prendre des mesures de soutien de l’économie, en pratiquant ce qu’on appelle des achats d’actifs. Après la crise financière de 2008, la banque centrale ne pouvait plus agir sur le levier des taux d’intérêt car ils étaient proches de zéro.
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Achat d'actif par les banques centrales (quantitative easing)
Acquisition à grande échelle d’obligations et d’autres actifs financiers de l’État (comme les obligations) par les banques centrales. C'est un financement indirect des dépenses des États pour encourager l'activité économique et l’inflation.
« Pour continuer à influencer les taux à 10, 20 ou 30 ans, la Fed achète des obligations émises par le Trésor américain à 10 ans, 20 ans, ou 30 ans. Elle influence alors l’offre et la demande de ce type d’actifs, ce qui joue sur les taux d’intérêt à ces horizons là. L’ensemble des conditions de financements des agents aux États-Unis est ainsi touché : le Trésor américain, les entreprises, les ménages. C’est en cela qu'elle détermine une partie importante de la politique économique américaine », résume Christophe Blot.
Et ce n’est pas tout. Traditionnellement, la Fed ne se servait que des taux d’intérêt. Mais avec la crise financière de 2008, puis la crise sanitaire, l'institution a déclenché une série d'actions qui dépassent de loin tout ce que la banque centrale a jamais fait dans son histoire. Elle a ainsi « mis sur le marché en six semaines l’équivalent de ce qui a été fait durant dix ans après la crise financière de 2008 », critique Georges Ugeux, l'ancien vice-président de la bourse de New York, une énorme somme qui n’a pas pu atteindre l’économie réelle, déplore-t-il.
La banque centrale pourrait aller plus loin. La lutte contre le changement climatique a, pendant longtemps, été considérée par Powell comme hors de son champ d’action. Or depuis que Powell a été désigné pour un nouveau mandat de quatre ans à la tête de la Fed, la lutte « contre l'évolution des risques liés au changement climatique » est désormais devenue une priorité. De quoi élargir encore le champ d’action de la Fed et de son président, et alimenter … les suspicions de sa toute puissance.