Economie
Le surendettement des ménages est-il un risque pour l'économie ?
Bien que le nombre des familles surendettées soit à son plus bas niveau depuis la fin des années 1990, les institutions de régulation appellent les banques à limiter l'accès aux crédits pour les populations les plus à risque. A juste titre ?
Cathy Dogon
Si Victor Hugo est souvent représenté la main à la poche, comme c’était la tradition à l’époque, son contemporain, Honoré de Balzac, ne la pose, lui, que par dessus sa chemise, signe prémonitoire de l’état de ses finances.
© Pour l'Eco
Au pire moment de sa vie, Balzac, a accumulé jusqu’à l’équivalent de 750 000 euros de dettes. Les recettes qu’il percevait à l’époque, du fait de sa relative notoriété, ne lui ont pas permis de financer son train de vie flamboyant. Pire, il a traîné ses dettes jusqu’à sa mort, incapable de rembourser à ceux qui lui prêtaient, malgré de nombreuses tentatives.
Comme Balzac en 1831, 134 365 familles se sont retrouvées dans l’incapacité de payer leurs créanciers en 2019. L’encours du surendettement représente aujourd'hui six milliards d’euros. C’est le chiffre le plus bas depuis la fin des années 90 et pourtant les banques ont été appelées à plus de prudence en décembre. Elles redoutent une propagation au reste de l’économie en cas de non-remboursement massif des créances.
N'attendons pas de voir surgir des problèmes de remboursement ou une crise financière : il serait trop tard pour agir.La Banque de France, lundi 3 février.
Loin des dépenses faramineuses de notre cher Honoré, le montant médian de surendettement s’élève aujourd’hui à 18 952 euros. Le crédit à la consommation constitue le premier risque de surendettement, mais sa part diminue. Il laisse place aux dettes immobilières, qui dépassent désormais le tiers des motifs de surendettement.
L’Observatoire des crédits aux ménages a donc tiré la sonnette d’alarme en décembre dernier. Sur le million de ménages à avoir signé un prêt immobilier en 2019, 20% ont bénéficié de ce qu’on pourrait appeler un laxisme bancaire. Les banques auraient outrepassé les recommandations du Haut Conseil de stabilité financière (HCSF). Pour éviter le surendettement - les familles ne pouvant plus rembourser leurs créances - le HCSF rappelle que les crédits ne doivent pas dépasser 33% des revenus (c’est le taux d’endettement), sur 25 ans maximum. La Banque de France nuance : les banques peuvent faire preuve de souplesse pour 15% de leurs dossiers, en priorité pour les primo accédants à la propriété.
Ne pas confondre :
Endettement et surendettement
Chaque consommateur souscrivant à un crédit (immobilier ou à la consommation) s’endette. Il est redevable au tiers qui a avancé l’argent pour lui. La dette des ménages représente en 2019, 1 302 milliards d’euros, soit 60% du PIB. En revanche si ce consommateur accumule trop de dettes, qu’il ne peut plus rembourser, c’est le défaut de paiement. La Banque de France intervient à ce moment-là. En déposant un dossier, et selon le verdict de l’institution, il est officiellement surendetté et peut prétendre à une liquidation personnelle ou à l’effacement de ses dettes.
Pour Stéphane Tourte, directeur des particuliers à la Banque de France, “Le surendettement est difficilement prévisible. Il peut être lié à la faiblesse des revenus ou à des accidents de vie comme un divorce ou la survenue d’une invalidité (5,7% des surendettés, ndlr), par exemple. Néanmoins, 81 000 nouveaux cas de surendettement pour l’année 2019 est un chiffre en baisse significative et continue chaque année depuis 2014.” Comme le chômage à partir d’un certain seuil, le nombre de surendettés est raisonnable, résiduel et finalement difficilement compressible.
Le surendettement touche aussi la population active. 35% des surendettés ont une activité professionnelle.
Un surendetté sur deux vit sous le seuil de pauvreté monétaire : 1 042 euros par mois et par personne, revenus et aides compris, suffisent seulement à couvrir les charges courantes (alimentation, loyer, électricité, assurances, etc…). Ceux-ci n’ont aucune capacité de remboursement, selon les barèmes de la Banque de France.
Quand un ménage est caractérisé comme surendetté, la Banque de France peut lui venir en aide. Dans 7 cas sur 10, elle écrase les taux d’intérêt et parvient à rééchelonner les dettes des particuliers sur sept ans. Elle établit des priorités : sont d’abord remboursés les dettes de logement, puis les dettes publiques, les charges courantes, les établissements de crédit et en dernier lieu les dettes familiales.
Dans d’autres cas, extrêmes, la Banque de France efface complètement les dettes, soit 1,8 milliard d’euros en 2019. Les différents créanciers doivent alors définitivement renoncer à être remboursés - un risque dont ils se prémunissent grâce aux taux d'intérêt ou des assurances impayés. L’Etat a lui-même tiré un trait sur 88 millions d’euros de rentrées fiscales l’année dernière.
Balzac n’a pas bénéficié de l’aide de la Banque de France. La lutte contre le surendettement ne date que de 1989 et l'avènement des crédits à la consommation post-Trente Glorieuses. A la fin de sa vie, l’écrivain était finalement entretenu par plusieurs de ses amis. Marié sur le tard à une riche Russe, il a laissé à sa veuve une dette de plus de 300 000 euros, qu’elle a mis un point d’honneur à rembourser intégralement.
Un risque d’engrenage pour l’économie
Les taux bas pratiqués dernièrement par la Banque centrale européenne rendent le crédit sexy aux yeux des particuliers. La production de crédit aux particuliers français a progressé de +7%. C’est deux fois plus rapide qu’ailleurs dans la zone euro. A terme, la Banque de France pourrait craindre une explosion d’une bulle du crédit immobilier. Car plus il y a de crédits contractés, plus il y a de risques d’impayés.
“Une contraction de l’activité économique ou une hausse des taux d’intérêt pourraient fragiliser la solvabilité des entreprises, les ménages et les institutions financières qui les financent” peut-on lire dans la dernière évaluation des risques bi-annuelle de la Banque de France.
Les familles, étranglées par leurs crédits, ne pourraient plus rembourser les entreprises pour leurs services. S’en suivrait une consommation en berne. Et l’Etat ne pourrait pas sauver la situation.
La Banque de France poursuivait dans son communiqué : “Le niveau élevé de la dette publique [limiterait] les marges de manœuvre budgétaires des administrations publiques françaises”.
L’avertissement de décembre doit être pris au sérieux par les établissements de crédits sinon les institutions de régulation bancaire pourraient passer à la sanction.