La ruée vers l’or est éternelle. C’est ce que soufflaient les marchés financiers le 8 mars dernier, après l’annonce des difficultés de la Silicon Valley Bank (SVB). Ce jour-là, la crise de liquidités de la banque régionale a fait craindre une crise bancaire et la valeur des actions a plongé. Le cours de l’or, lui, a bondi , a bondi de 10,6 % en un mois, à plus de 2000 dollars l’once (28,35g).
Cette performance en rappelle d’autres : le prix de l’or avait doublé entre 2008 et 2011, à la suite de la crise, et explosé avant cela dans les années 1970, période d’inflation chronique. L’immobilier peut aussi rassurer : le prix médian des biens vendus aux États-Unis a été multiplié par trois depuis 2000. Quant à l’art, il bat des records (16,5 milliards de dollars en 2022, quatrième plus haut résultat historique).
Sans oublier le bitcoin et l’ether, les deux principales cryptomonnaies, qui font une percée : certes, elles suivent les marchés dans leur chute en 2022, mais elles sont gagnantes en 2023 (+30 % et +13 % en une semaine après le début de la panique bancaire).
Contrer l'inflation
Le point commun de tous ces actifs ? Leur capacité à échapper aux cycles financiers. Ce sont des valeurs refuges, ce qui signifie qu’elles peuvent servir à se couvrir en cas de crise financière ou pour faire le dos rond quand la valeur des actifs financiers baisse brusquement. Elles permettent aussi de maintenir son épargne sur le temps long, contre l’inflation qui en rogne la valeur. En 2023, les deux besoins sont là : aux inquiétudes liées à l’inflation et à la guerre s’ajoutent des secousses financières régulières, liées au redressement des taux directeurs et aux difficultés des banques.
Des travaux universitaires établissent que l’or est fortement décorrélé des marchés financiers, mais moins rentables à long terme : parfaite échappatoire en temps de panique, mais placement peu intéressant. À l’inverse, l’immobilier est plus sensible aux retournements, mais les prix n’ont pas cessé de croître depuis 50 ans (4 % par an aux États-Unis), ce qui en fait un refuge des plus robustes.
« Esprits animaux »
Le succès des valeurs refuges ne repose toutefois pas uniquement sur le gain financier qu’elles assurent. Les périodes de crise affectent la rationalité des acteurs, libérant les « esprits animaux » décrits par John M. Keynes.
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Dans un contexte d’incertitude, l’information est indisponible et l’intuition prévaut, comme l’a montré l’économiste comportemental Daniel Kahneman. C’est là qu’entre en jeu une autre qualité des valeurs refuge : elles sont investies d’une valeur symbolique, qui complète leur attrait financier.
L’immobilier et l’or incarnent la stabilité et la matérialité (on investit « dans la pierre ») ; le bitcoin, imaginé comme une alternative plus démocratique aux banques, constitue, en pleine panique bancaire, une voie parallèle. L’art et le luxe sont aussi des exemples de ce que les économistes Luc Boltanski et Arnaud Esquerre nomment « l’économie de l’enrichissement » : des actifs accompagnés d’un récit qui les rend exceptionnels. Un récit qui fait, lui aussi, office de refuge.
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