Economie
Pandora Papers : petit guide de la parfaite évasion fiscale
Sélection abonnésLes « Pandora Papers » viennent de mettre en lumière l'ampleur de l'évasion fiscale, et incriminent nombre de célébrités et personnalités politiques. Comment les ultrariches s'y prennent-ils pour optimiser leur imposition à l'étranger ?

© Vanessa Carvalho/ZUMA/REA
Cet article, écrit sous un angle humoristique, n'a pas vocation à inciter à l'évasion fiscale, mais vise à permettre d'en comprendre les mécanismes, facilement accessibles. Bonne lecture !
Vous avez appris l’existence de votre grande-tante Gilberte en même temps que le contenu de son testament, qui vous légue à vous seul, chanceux héritier, un mirobolant pactole.
Chouette, vous réjouissez-vous. Mais après une petite pensée pour cette énigmatique et fortunée tantine (paix à son âme), vous déchantez rapidement. Car les taux d'imposition français ne sont pas tendres avec les ultrariches. Vous êtes cependant un grand lecteur de Pour L'Éco, incollable sur les mécanismes fiscaux, et une idée vous vient immédiatement à l’esprit : et si, à l’instar de Tony Blair, Dominique Strauss-Kahn ou Shakira, vous pratiquiez l’évasion fiscale ?
À lire > Niches, évasion, optimisation, fraude fiscale : les clés pour les différencier
Rien de mal à cela : cette semaine encore, les Pandora Papers révélaient que la pratique est largement répandue, y-compris en France (quoique certains des Français figurant sur la liste des évadés fiscaux établie par l’ICIJ résident officiellement à l’étranger).
Cet article, écrit sous un angle humoristique, n'a pas vocation à inciter à l'évasion fiscale, mais vise à permettre d'en comprendre les mécanismes, facilement accessibles. Bonne lecture !
Vous avez appris l’existence de votre grande-tante Gilberte en même temps que le contenu de son testament, qui vous légue à vous seul, chanceux héritier, un mirobolant pactole.
Chouette, vous réjouissez-vous. Mais après une petite pensée pour cette énigmatique et fortunée tantine (paix à son âme), vous déchantez rapidement. Car les taux d'imposition français ne sont pas tendres avec les ultrariches. Vous êtes cependant un grand lecteur de Pour L'Éco, incollable sur les mécanismes fiscaux, et une idée vous vient immédiatement à l’esprit : et si, à l’instar de Tony Blair, Dominique Strauss-Kahn ou Shakira, vous pratiquiez l’évasion fiscale ?
À lire > Niches, évasion, optimisation, fraude fiscale : les clés pour les différencier
Rien de mal à cela : cette semaine encore, les Pandora Papers révélaient que la pratique est largement répandue, y-compris en France (quoique certains des Français figurant sur la liste des évadés fiscaux établie par l’ICIJ résident officiellement à l’étranger).
Surtout, l’évasion fiscale n’est pas, stricto sensu, illégale – c’est la fraude qui l’est. De votre côté, vous ne souhaitez qu’optimiser votre fiscalité. La différence est de taille : celle de l’épaisseur d’un mur de prison, écrivait le travailliste britannique Denis Healey.
Cabinets d'initiés spécialisés
Plusieurs options s’offrent à vous. Vous pouvez, bien sûr, vous lancer seul dans la grande aventure de l’optimisation fiscale offshore. Mais, en tant que nouveau millionnaire, vous ne disposez malheureusement pas du réseau bancaire des vieilles fortunes.
Difficile de viser la Suisse, par exemple, où les banques n’acceptent généralement d’aider que les clients parrainés par d’autres fraudeurs. Une précaution qui leur permet d’éviter quelques désagréments (un agent du fisc ou un journaliste infiltré, au hasard).
Il est temps de contacter un cabinet spécialisé. Comme ceux dont sont issus les documents des Pandora Papers. Leurs noms ne vous disent rien : Trident Trust, DadLaw, SFM, Alcogal, Il Shin… Ils ne sont connus que des initiés de la finance et sont installés dans des pays que, pour le moment, vous avez du mal à placer sur une carte… Mais qui concentrent les efforts de ceux qui luttent contre la fraude offshore : les paradis fiscaux.
Éco-mots
Paradis fiscal
Pays ou territoire ou la fiscalité est extrêmement attractive, voire nulle. La plupart pratiquent également le secret bancaire, qui met les résidents à l’abri relatif de la surveillance internationale. En retour, les paradis fiscaux touchent des commissions sur les transactions réalisées.
Lors de votre premier rendez-vous téléphonique avec le cabinet, plusieurs mots vous font tiquer : société-écran. Shell company. Société offshore. Vous n’êtes pas en train de me demander de faire quelque chose d’illégal, au moins ? Non, n’ayez crainte, vous rassure l’avocat au bout du fil : les sociétés offshore sont complètement légales.
C’est une zone grise, car, c’est vrai, elles servent souvent à dissimuler des activités opaques, et à créer des comptes en banque échappant à l’attention du fisc… Mais n'importe quel particulier peut en créer une depuis son ordinateur en quelques clics.
On ira tous au paradis (fiscal)
Première question : où créer la vôtre ? Plusieurs facteurs sont à prendre en compte. D’abord, la fiscalité en place dans le pays. Tant qu’à faire, autant choisir un endroit où les impôts avoisinent les 0 %.
Éco-mots
Société offshore
Les sociétés extraterritoriales sont enregistrées à l’étranger, hors du pays de résidence de leur propriétaire. Contrairement à une filiale d’entreprise, elles ne réalisent aucune activité économique dans leur pays de domicile.
Il paraît sage, avertit l’avocat, d’éviter les paradis fiscaux cités sur la « liste noire » française : les Samoa américaines, les Fidji, Guam, les Palaos, Panama, le Samoa, Trinité-et-Tobago, les îles Vierges américaines et le Vanuatu.
Les pays « blacklistés » peuvent faire l’objet de sanctions économiques, comme le gel des fonds européens. Anguilla, la Dominique et les Seychelles viennent quant à elle d’être retirées de cette liste, du fait de leur engagement à produire des réformes pour coopérer avec l’Europe.
À lire > Pandora Papers : l’Union européenne lutte-t-elle vraiment contre les paradis fiscaux ?
Ne pas apparaître dans les papiers
Il s’agit désormais de créer la société la plus opaque possible. Le but : éviter qu'on ne remonte jusqu'à vous, et les contrôles fiscaux intempestifs. C'est là que se situe la zone grise car la frontière entre la légalité et l'illégalité d'une société offshore réside dans leur transparence.
Si les avantages qu'elle confère à son bénéficiaire sont considérés comme injustifiés par les autorités fiscales, ces dernières peuvent appliquer des sanctions : ce qui ne sera pas possible si votre nom n'apparaît pas sur les papiers de la société, ou n'est pas directement impliqué dans les transactions.
Chacun sa méthode. Prenez l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair, par exemple : en 2017, son épouse et lui-même ont économisé 340 000 livres sterling (380 000 euros) de taxes à l’achat d’un immeuble victorien dans un quartier chic de Londres.
Au lieu d’acquérir directement le bâtiment, ils ont acheté les parts de la société offshore qui le possédait, Romanstone International Limited, à un ministre du Bahreïn. Pour les autorités britanniques, l’immeuble a toujours le même propriétaire (la société) : il n’y a dès lors pas lieu pour Tony Blair de payer les frais de mutation logiquement exigés pour toute vente immobilière en Grande-Bretagne. Tenez vous bien : en soi, c'est parfaitement légal.
À lire > Impôts : jouer sur le civisme des contribuables limite l'évasion fiscale
La difference entre l'évasion fiscale et la fraude fiscale est ténue comme l'épaisseur d'un mur de prison.Denis Healey,
ancien ministre des Finances britannique.
Trust, société-écran... L'embarras du choix
Vous pouvez préférer dans le même ordre d’idée un « trust », un acte juridique par lequel vous transférez la propriété et la gestion de biens ou de fonds à une autre entité, située sur un territoire offshore, bien entendu.
Vous marcheriez ainsi sur les traces médiévales des chevaliers croisés (qui ont les premiers employé ces trusts pour faire fructifier leurs possessions lorsqu’ils partaient guerroyer), mais également du président équatorien Guillermo Lasso, dont les trusts du Dakota du Sud prospèrent depuis quatre ans, d’après les Pandora Papers.
C'est le même principe qu'une société-écran : dans le cas de cette dernière, un prête-nom pourra être placé à la tête d'une compagnie offshore dont vous êtes l'actionnaire, et auquel vous transférez vos bénéfices, vos biens, ou vos fonds.
Ce genre de manœuvres vous coûtera entre 2 000 et 25 000 dollars (de 1 730 à 21 600 euros). Une coquette somme, mais relativement abordable, et surtout rentable dès lors que les sommes à extrader sont conséquentes. Sans compter qu'une société-écran ou un trust peuvent être opérationnels en moins de 48 heures.
Et qu’en est-il des « actions au porteur » ? Les Panama Papers avaient révélé l’ampleur de l’évasion fiscale permise par ces titres dont la société émettrice ne connaît pas l’identité du porteur ; sous la pression notamment de l’OCDE, elles ont aujourd’hui quasiment complètement disparu.
Sous leur forme classique, « mobile », les paradis fiscaux les ont tous interdites. Les pays de l’OCDE ont été plus lents à réagir, mais les actions au porteur ont été supprimées en France le 1er novembre 2019, sauf pour les sociétés cotées en Bourse.
Jusqu'à 3 millions d'euros d'amende
Le mieux, conclut l’avocat, c’est encore de recourir à un montage financier international. C’est la meilleure manière de brouiller les pistes. L’ancien ministre de l’Économie Jérôme Cahuzac, par exemple, avait transféré son compte bancaire à Singapour, aidé d’une société seychelloise administrée depuis les Îles Samoa !
Son avocat, Philippe Houman, assurait en 2018, après que son procès en appel a confirmé sa condamnation : « Je comprends que le schéma que vous avez devant les yeux laisse perplexe, mais il n'y a rien de très compliqué ».
Une petite minute : condamnation ? Je croyais que tout ceci était légal ? Sur ce point, l’avocat est plus hésitant. Il y a des montages financiers légaux, bien sûr, mais celui de Jérôme Cahuzac ne l'était pas. La ligne est ténue. Tant qu’on ne vous attrape pas, tout est légal. C’est un jeu du chat et de la souris. L’important, c’est qu’on ne remonte pas jusqu’à vous.
Et sinon ? Sinon la facture peut s'avérer autrement plus salée : jusqu'à 3 000 000 d’euros d’amende, et sept ans de prison, si la fraude fiscale a été réalisée grâce à « l'ouverture de comptes ou à la souscription de contrats auprès d'organismes établis à l'étranger » ou « l'interposition de personnes ou d'organismes écran établis à l'étranger ».
Tout cela va trop loin pour vous. Vous raccrochez, et foncez sur Internet. Existe-t-il d’autres méthodes, vraiment légales, cette fois, d’optimisation fiscale ?
Oui, bien sûr : l’investissement immobilier, par exemple, propose des dispositifs de défiscalisation comme la loi Pinel, la loi Censi-Bouvard ou encore la loi Malraux, qui vous garantiront réductions d’impôts et déductions fiscales. Vous n'êtes pas satisfait ? Aucun problème : la France comptait en 2021 pas moins de 475 niches fiscales, pour un cout total pour l'État de 85,9 milliards d'euros d'exonération d'impôts (d'après les prévisions du projet de loi Finances 2021).
De tels dispositifs sont accessibles via des placements financiers spécifiques. Un contribuable français pourra ainsi exploiter la loi Girardin et investir en Outre-mer afin de bénéficier d'une réduction d'impôt. Bref, pas besoin d’aller voir ailleurs pour optimiser !
Un grand merci à Lison Rehbinder, chargée de plaidoyer Financement du développement au sein de l'ONG CCFD-Terre Solidaire, Mona Barake, chercheuse à l'EU Tax Observatory et Zayda Manatta, directrice du secrétariat du Forum mondial sur la transparence et l'échange d'informations à des fins fiscales, pour leur aide précieuse.