Mais dans cette phase de réussite, la Société générale aurait justement manqué l’occasion d’atteindre la dernière marche du succès.
En 1999, elle est au coude-à-coude avec la BNP, sa concurrente de toujours, pour racheter Paribas. Neuf mois plus tard, BNP remporte la bataille. Cette dernière devient BNP Paribas, double de taille et distance à jamais la "Socgen" en devenant la première banque française.
Déçue, la Société générale décide de rebondir en regardant vers l’Orient. L’expansion en Europe de l’Est devient l’un des trois piliers stratégiques de la banque, à côté de sa BFI développée à l’international et de son activité de banque de détail limitée à l’Hexagone.
Sur ce marché très concurrentiel, l’entreprise rouge et noire détient une part d’un peu moins de 10 %. Elle a tout intérêt à développer cette branche à l’international. En 2007, SG devient actionnaire majoritaire de la banque de détail russe Rosbank.
Le pari finit par s’avérer gagnant, puisque la filiale devient bénéficiaire en 2016.
Retraite en Russie
Avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022, la banque est contrainte de quitter le territoire russe. Elle parvient à éviter l’expropriation en revendant sa filiale à Vladimir Potanine, son ancien actionnaire majoritaire.
La décision est « difficile et douloureuse », confesse Frédéric Oudéa, lors de la dernière assemblée générale des actionnaires. Elle entraîne surtout une note salée (3,2 milliards d’euros de pertes) et une stratégie orientale amputée de sa pièce maîtresse.

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Désormais, de l’expansion démarrée au début des années 2000, la banque ne peut plus que cocher deux pays : la République tchèque (Komerční banka) et la Roumanie (BRD Bank).
Si le coup est rude, il est moins grave que l’affaire Kerviel, du nom de ce trader de la Société générale dont le clic fait partir en fumée cinq milliards d’euros, en 2008. Avec Kerviel, c‘est le cœur du réacteur de la banque qui est touché. « Depuis, SG est dans la réparation. Stratégiquement, ça l’a empêchée de se lancer dans d’autres choses », analyse Jean Dermine.
Cet épisode marque surtout le point de départ d’une série de plans de réduction des coûts et de suppression de postes qui n’a jamais cessé depuis. Entre 2012 et 2017, la banque met en place trois plans d’économies pour deux milliards d’euros au total.
En août 2020, elle annonce une nouvelle réduction des coûts d’environ 450 millions d’euros pour 2022-2023. Et la fusion de ses réseaux avec le Crédit du Nord, racheté en 1997, entraînera la suppression de 3 700 postes d’ici 2025. Si cette tendance à l’économie s’observe chez tous les acteurs du secteur bancaire, elle est particulièrement forte chez SG.
PGE = pas de dividendes
Car après 2008, la banque essuie d’autres tempêtes avec, à chaque fois, une partie de ses revenus amputée et une valeur en Bourse qui dégringole.
Lors de la crise de la dette souveraine de 2011, les investisseurs américains ne veulent plus lui prêter de dollars : elle est sauvée par la Banque de France, qui pallie son défaut de liquidités. Lors de la crise sanitaire de 2020, elle est fortement impactée par l’interdiction faite aux entreprises faisant appel au PGE, le Prêt garanti par l’État, de verser des dividendes.
Or les produits financiers qu’elle propose, comme les dérivés actions, reposent justement sur le fait de verser des dividendes. Avec cette interdiction, la valeur de ses produits chute.
Résultat : « Des pertes qui ont affecté significativement les résultats de Société Générale au premier semestre 2020 », résume Nicolas Darbo, associé au cabinet Accuracy. En quelques mois, le titre chute de 45 %.
« Mais dès la fin de l’interdiction, la société remonte la pente. En 2021, la banque signe les meilleurs résultats de l’histoire du groupe », annonce triomphalement son directeur-général Frédéric Oudéa. Mais la remontada est de courte durée, brusquement stoppée… par l’invasion de l’Ukraine.
Le groupe compte désormais sur sa stratégie présentée en mai 2021 pour se sortir de cette énième mauvaise passe. La banque du rugby vise à devenir moins dépendante des soubresauts de la Bourse en réduisant ses activités de marché à risque, et en misant sur le leasing, son offre de location de flotte automobile, futur pilier de son modèle économique.
Après Oudéa, l’OPA ?
Malgré toutes ces initiatives, SG reste « dans le bas du panier » des banques européennes d’un point de vue purement financier, estime Jean Dermine.
Son « price-to-book » (ratio boursier) était de 0,3 début juin 2022, contre près du double pour BNP Paribas. Concrètement, cela signifie que pour 100 euros investis par les actionnaires de la banque, la valeur en Bourse est de 30, ce qui montre « une énorme destruction de valeur. Conséquence : la banque pourrait, en théorie, être la cible d’une OPA », explique le professeur.
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Le départ d’ici mai 2023 de Frédéric Oudéa, le D.-G. qui parvenait depuis près de 15 ans à maintenir la société à flot, pourrait laisser le champ libre à un tel projet. « Cela fait des années que l’on parle de concentration et de restructuration du marché bancaire français et européen », concède Thomas Rocafull, associé chez Sia Partners.
Le pays compte en effet presque autant de grandes banques qu’aux États-Unis, pour une économie et une population bien moins importantes. Mais « jusqu’à présent, cela n’est pas arrivé. Et cela n’arrivera peut-être pas demain », ajoute le spécialiste, estimant que seul un mastodonte pourrait racheter un acteur bancaire aussi important.
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Plus qu’une éventuelle menace de rachat, la banque pourrait faire face à une nouvelle crise : selon le patron de J.P. Morgan, un « ouragan financier » serait sur le point de s’abattre sur l’économie mondiale avec l’inflation et la hausse des taux.
De quoi mettre à l’épreuve la « résilience et la solidité » du modèle d’affaires de la banque vantées par Oudéa lors de la présentation des résultats du premier trimestre 2022.