Finance
Crédits immobiliers : faut-il assouplir les règles pour les particuliers ?
Dans un contexte d’inflation et de hausse des taux, les banques sont de plus en plus réticentes à faire des prêts immobiliers. Comment relancer la machine sans multiplier les défauts ?
Laura Makary
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L'essentiel :
- Depuis mars 2023, le taux d'intérêt moyen dépasse désormais les 3 %, contre 1 % en 2021.
- Comme emprunter coûte plus cher, certains ménages y renoncent.
- Le Haut conseil de stabilité financière propose de faire passer l’endettement maximum d’un ménage de 33 % à 35 % de ses revenus, assurance de prêt comprise.
C’est un coup de frein brutal. En seulement une année, de février 2022 à février 2023, la production de nouveaux crédits immobiliers a chuté de 40 %, selon les chiffres de la Banque de France, passant de près de 25 milliards d’euros l’an dernier à 14,6 milliards. Concrètement, les particuliers empruntent de moins en moins pour acheter un logement. Pourquoi ? Première explication : la hausse des taux d’intérêt depuis juillet 2022, alors qu’ils étaient restés remarquablement bas pendant des années.
Éco-mots
Prix de l’argent et du temps. C’est le pourcentage d’une somme empruntée par un emprunteur à un prêteur, fixé lors de la conclusion du contrat en compensation du service rendu.
Selon l’Observatoire Crédit Logement, au mois de mars 2023, le taux moyen dépasse désormais les 3 %, alors qu’il était demeuré proche de 1 % durant toute l’année 2021. « Auparavant, devenir propriétaire et accéder à un crédit ne coûtait presque rien. Les banques prêtaient volontiers car le marché était porteur, avec des prix des biens en hausse. Elles se disaient qu’en cas de pépin, elles pourraient toujours récupérer leur mise en revendant le bien », explique Cécile Roquelaure, directrice des études du courtier Empruntis.
Frilosité et hausse des taux
Problème : avec ce fameux taux d’intérêt en hausse et des prix de l’immobilier en berne, la tendance commence à s’inverser. « C’est logique : plus le taux d’intérêt est élevé, plus vous payez d’intérêts dans votre mensualité et moins vous pouvez emprunter d’argent. Cette perte de pouvoir d’achat immobilier est estimée entre 15 % et 20 %. Typiquement, un ménage modeste risque de ne pas avoir accès au financement de son bien, ou alors il devra faire des concessions sur la surface ou la localisation. Idem pour des personnes souffrant de problèmes de santé, dont l’assurance emprunteur peut coûter très cher. Même pour un couple aisé tenté par une grosse acquisition, certaines banques préfèrent ne pas bloquer un gros montant pour un seul client, parce que l’argent leur coûte cher. Il n’y a donc pas qu’une seule typologie de client touchée par cette évolution », décrypte Cécile Roquelaure. Bilan : beaucoup de ménages reportent leur projet.
Et les banques ont moins envie de prêter, car prêter rapporte moins. Avec l’érosion des prix de l’immobilier, leurs garanties sont moindres. « D’un côté, le coût des ressources qu’elles utilisent pour financer les prêts s’est accru, de l’autre, la rentabilité des nouvelles opérations baisse. Comme n’importe quelle entreprise du secteur privé, elles ralentissent leur activité de prêt », confirme Michel Mouillart, économiste et cofondateur de l’Observatoire Crédit Logement. Le tout dans un contexte économique d’inflation et de perte de pouvoir d’achat déjà handicapant pour les ménages.
Augmenter l’endettement maximal
Comment sortir de ce cercle vicieux ? Le Haut conseil de stabilité financière a déjà proposé de faire passer l’endettement maximum d’un ménage de 33 % à 35 % de ses revenus, assurance de prêt comprise. « On pourrait envisager un assouplissement supplémentaire sur le taux d’effort (ndlr : rapport entre la somme des dépenses liées à l’habitation principale et les revenus du ménage) au-delà de 35 % ou d’allonger la durée maximale du prêt, fixée aujourd’hui à 27 ans. Mais en veillant à ne pas tomber dans un surendettement des ménages », souligne Timothée Waxin, responsable du département Finance de l’école de commerce EMLV. C’est le risque : plus on augmente le taux d’effort, plus le ménage peut emprunter mais plus il est étranglé en cas d’imprévu.
« La Banque de France dit niet, elle ne veut plus aucun assouplissement. Pourtant, ces idées méritent réflexion. Le risque de défaut, malgré les perturbations que l’économie a traversées, reste très bas. Et il existe en France des dispositifs de sécurisation (les cautions accordées par des établissements spécialisés au moment de l’emprunt) extraordinairement efficaces », estime Michel Mouillart. À ce stade, la décision est évidemment avant tout politique.
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Sortir l’assurance du calcul ?
Autre piste de réflexion : sortir l’assurance emprunteur du calcul, afin d’offrir aux ménages un peu plus de marge de manœuvre. Car si la cotisation mensuelle est raisonnable pour les jeunes en bonne santé, il grimpe avec l’âge et peut exploser en cas de lourd dossier médical. Et puis l’emprunteur peut maintenant changer d’assureur quand il veut. « Le montant de cette cotisation est décisif au moment de signer le crédit, alors que le particulier peut en trouver une moins chère à tout moment, c’est absurde », relève Cécile Roquelaure, d’Empruntis.
L’assurance peut représenter de jolis montants. En moyenne, le changement d’assurance de prêt offre une économie de 10 000 euros par crédit, selon l’association UFC Que Choisir. Depuis 2022, les particuliers peuvent challenger leur contrat à tout moment, dès la signature. Cette somme, qui peut faire toute la différence dans un projet immobilier, est actuellement prise en compte dans le fameux taux d’effort.
Fin avril, Élisabeth Borne a promis de « solliciter les banques pour favoriser l’accès aux ménages ». L’évolution du PTZ, le prêt à taux zéro, est notamment en discussion. Autant dire que l’ensemble du secteur, mais aussi les particuliers en plein projet immobilier, sera à l’écoute.
Dans le programme de SES
Première. « Comment les agents économiques se financent-ils ? »