Economie

WallStreetBets, le berceau de la fronde 

SÉRIE - La « saga » GameStop est partie d’une communauté en ligne, « WallStreetBets », où des millions de boursicoteurs se sont créés un univers bien à eux. ["Traders contre geeks, la guerre de Wall Street", épisode 2/4]

Alexis Buisson (À New-York). Illustration de Oriol Vidal
,
Illustration de l'article WallStreetBets, <span class="highlighted">le berceau de la fronde </span>

Pas facile de trouver un moment pour discuter avec Shawn Daumer. Cet agent immobilier de 19 ans, vivant dans l’Indiana, est très sollicité ces jours-ci.

Membre de WallStreetBets (« les paris de Wall Street »), la communauté en ligne d’où est partie la « saga » GameStop, il a gagné 65 000 dollars en misant sur l’envolée de l’action « GME » de la chaîne de magasins de jeux vidéos.

Assez pour susciter l’intérêt des médias. « J’attends une équipe de télévision qui vient tourner un documentaire pour la plateforme de streaming Hulu », confie-t-il quand nous parvenons enfin à parler au téléphone. 

La finance, "amusante et imprévisible"

Timide en personne mais très pointu dans les termes financiers qu’il utilise : Shawn a tout du « geek ». Le jeune homme place son argent en Bourse depuis l’an dernier pour avoir des revenus supplémentaires.

« J’aime les chiffres. La finance n’est pas une science exacte, contrairement à la comptabilité. C’est amusant et imprévisible ». Pour cet amateur, WallStreetBets est une source d’information précieuse.

Avec deux millions de membres avant l’explosion GameStop (contre plus de neuf millions aujourd’hui), ce forum fait partie des milliers de groupes de discussion de la plateforme Reddit.

10255_document.png

Capture d'écran issue du forum Wall Street Bets

Il a été créé en 2012 par Jaime Rogozinski, un amateur de finance qui travaillait alors comme consultant en informatique. À l’époque, le célibataire avait « du temps et de l’argent que je pouvais me permettre de perdre », a-t-il raconté au journal britannique The Guardian, et voulait créer une alternative aux canaux d’information financière établis, comme la chaîne CNBC, utilisés par les professionnels et les « insiders ». 

Une communauté de "dégénérés"

Rapidement, WallStreetBets devient un point de rendez-vous pour les boursicoteurs de Reddit. Loin d’être homogène, il rassemble des amateurs désireux de se faire de l’argent, comme Shawn, mais aussi des traders, des analystes financiers et des investisseurs de renom.

Derrière des pseudos loufoques, ils se partagent anonymement des conseils de trading, avec un langage cru et direct propre à Reddit et de nombreux mèmes, ces images amusantes très virales.

10254_document.png

Capture d'écran issue du forum Wall Street Bets

« Ce n’est pas comme les conseils traditionnels du Wall Street Journal. Ce sont des gens normaux qui donnent leurs avis sur le trading, plutôt que des PDG », reprend Shawn.

WallStreetBets reflète un phénomène plus large: la démocratisation de la finance grâce aux plateformes en ligne. Aujourd’hui, une nouvelle vague de jeunes boursicoteurs, issus de la « Génération Z » (née à la fin des années 1990), se tourne vers les réseaux sociaux comme Reddit, Twitter et les chaines YouTube pour s’informer et faire de l'argent, plutôt que de recourir aux services d’analystes financiers ou de conseillers.

Ma génération est beaucoup plus investie dans le trading. Nous maîtrisons mieux les technologies et il y a moins d’obstacles à l’achat de titres qu’avant grâce à Internet.
Hunter Kahn,

Trader amateur de 20 ans

De nouvelles plateformes d’investissement en ligne, comme Robinhood, née en 2013, ont vu le jour pour répondre à ce désir grandissant.

« Ces plateformes ne facturent pas de commission et permettent d’acheter des fractions d’actions, ce qui en réduit considérablement le prix. Pour cinquante dollars, vous pouvez ainsi participer à une frénésie boursière !, résume Paolo Pasquariello, professeur de finance à l’université du Michigan. Ajoutez à cela le fait que beaucoup de jeunes ont plus de temps libre à cause du Covid-19 et qu’ils ont aussi plus d’argent, comme ils dépensent moins et travaillent toujours, et vous obtenez la recette parfaite pour la saga GameStop ».

Membre de WallStreetBets, qu’il considère comme une « source d’information aussi fiable que la presse financière », Hunter Kahn, 20 ans, fait partie de ceux qui ont misé sur GameStop. Cet étudiant en ingénierie mécanique a commencé à boursicoter en 2019 pour s’offrir une Corvette et impressionner une fille.

Il n’a toujours pas de Corvette, mais ses investissements, entre autres, dans le fabricant de véhicules électriques Tesla et dans le marché du cannabis lui procurent assez de revenus pour couvrir son loyer et ses dépenses du quotidien. « Ma génération est beaucoup plus investie dans le trading. Nous maîtrisons mieux les technologies et il y a moins d’obstacles à l’achat de titres qu’avant grâce à Internet », souligne-t-il. 

GameStop a atterri sur son radar fin 2020, quand des discussions autour du vendeur de jeux vidéo ont repris dans WallStreetBets avec la publication de ses résultats trimestriels.

Parmi les membres qui ont attiré l'attention sur GameStop, on trouve un certain Keith Gill. Loin d’être critique de Wall Street, comme de nombreux autres membres du forum, cet analyste financier travaillait jusqu'à fin janvier pour une compagnie d’assurance américaine.

Il arguait depuis des mois que "GME" était sous-évalué et que l'entreprise avait du potentiel. Michael Burry, investisseur de légende qui a identifié avant tout le monde l’imminence de la crise des subprimes de 2008, était sur la même longueur d'onde.

10253_document.jpg

Micheal Burry (Christian Bale) dans le film The Big Short

Quand GameStop a annoncé l'arrivée de trois nouveaux visages dans son conseil d'administration à la mi-janvier, les "dégénérés", comme se qualifient les membres de WallStreetBets, ont commencé à se ruer dessus en suivant l'avis de Keith Gill et d'autres.

Ce dernier a vu son investissement initial gonfler à près de 50 millions de dollars, le 27 janvier. Hunter Kahn, lui, a engrangé 30 000 dollars en achetant des actions GameStop.

Un pactole qu’il a utilisé pour acheter des consoles et des jeux vidéo pour un hôpital. « On accuse Wall Street de vouloir de se mettre de l’argent plein les poches. Je ne voulais pas reproduire les comportements que l’on dénonce ».

À suivre dans : Traders contre Geeks, la guerre de Wall Street

Épisode 3 : Lost in transactions, ​​​​les fonds d'investissement pris à leur propre jeu ?

Gros plan sur les rouages du "short squeeze", le mécanisme qui a permis aux boursicoteurs de WallStreetBets de faire perdre des millions de dollars à un grand fonds spéculatif.

Relire l’épisode précédent

  1. Accueil
  2. Finance
  3. Bourse et Marchés
  4. WallStreetBets, le berceau de la fronde