Science Politique
Avec les réseaux sociaux, les « petits candidats » ont toutes leurs chances... ou pas !
Même à l’ère numérique, il faut de grandes campagnes médiatiques physiques et unifiées pour gagner. Seuls les gros candidats en ont les moyens.
Anne Daubree, Illustration d'Erik Tartrais
Illustration d'un jeune candidat réalisant un selfie devant ses supporters
© Midjourney
Qui se souvient de Marcel Barbu ? « L’hurluberlu », selon les mots du général de Gaulle, son compétiteur. Barbu s’était présenté aux élections présidentielles de 1965, obtenant moins de 2 % des suffrages. Il appartient à la catégorie dite des « petits candidats » : ceux qui concourent à la présidentielle sans moyens ni chances d’être élu.
À première vue, la révolution numérique, internet et les réseaux sociaux pourraient renverser ce rapport de force. Communiquer sur les réseaux sociaux est beaucoup moins onéreux que d’imprimer des tracts…
Le « petit candidat 2.0 » n’a plus besoin de passer par les journalistes – qu’il ne connaît pas – pour accéder à un média. Il est par lui-même un média en ligne et peut s’exprimer, convaincre et gagner.
Pourtant, l’élection présidentielle de 2022 a démenti cette soi-disant révolution : la visibilité en ligne des candidats reflétait exactement leur notoriété déjà établie dans le champ politique et médiatique. C’est ce que montre l’étude1 de deux chercheurs en sciences politiques.
Emmanuel Macron, par exemple, à qui la fonction de président de la République garantit une exposition sans égale, devançait très largement les autres avec 7,5 millions d’abonnés sur Twitter et 4,2 millions sur Facebook. Sur ce réseau social, Marine Le Pen (Rassemblement National) obtenait 1,6 million d’abonnés et Jean-Luc Mélenchon (La France Insoumise), 1,2 million. Très loin derrière, Yannick Jadot (Europe Écologie Les Verts) en comptait 53 989.
Lire aussi > « Enshittification ». Les réseaux sociaux sont-ils destinés à devenir nuls ?
« Cyberdémocratie » et « politique conversationnelle »
Dans les années 1990, l’avènement d’internet a suscité de nombreuses analyses quant à son impact réel sur le champ politique. Certains s’enthousiasmaient, car les technologies de l’information allaient transformer radicalement la démocratie en renforçant la participation directe et active des citoyens au processus démocratique, au détriment des acteurs politiques traditionnels.
Le philosophe Pierre Levy a par exemple théorisé la « cyberdémocratie » dans un ouvrage éponyme. Depuis, les analyses se sont affinées : la révolution n’a pas eu lieu, mais les usages ont effectivement évolué.
Sur internet, les formes politiques prennent une « nature conversationnelle », analyse le sociologue Dominique Cardon dans La Démocratie internet, promesses et limites : ces formes passent par l’individualisation de l’expression, qui apparaît comme un gage de sincérité et dans l’échange, lequel remplace la diffusion verticale de l’information par des acteurs politiques.
Les partis traditionnels se sont vite adaptés et Dominique Cardon pointe un paradoxe cruel : « La politique conversationnelle en ligne ne peut vraiment se déployer à grande échelle qu’avec le développement parallèle d’une communication médiatique centralisée et unifiée. » Le message est clair : les réseaux sociaux sont très loin d’être suffisants.
1. « Élection présidentielle : deux idées fausses à propos des réseaux sociaux », Marie Neihouser et Tristan Haute, The Conversation, 2 février 2022.
- Accueil
- Futur et Tech
- Numérique
Avec les réseaux sociaux, les « petits candidats » ont toutes leurs chances... ou pas !