Les vieux journaux qui ont réussi la transition
« Ennemi du peuple ». Depuis son élection, Donald Trump n’a pas de mots assez durs contre le New York Times et ce sont peut-être ces attaques qui font que le quotidien de référence new-yorkais ne s’est jamais aussi bien porté.
En 2019, le cumul d’abonnés "papier" et "numérique" a atteint un nouveau record de 4,9 millions, dont 500 000 hors des États-Unis. Le journal, qui emploie 1 700 journalistes, vise les 10 millions d’abonnés d’ici 2025. Le succès du titre s’explique par la pratique d’un journalisme exigeant, des efforts déjà anciens en matière de transition numérique, un vaste marché anglophone et une capacité d’investissement importante. En 2018, le New York Times a engrangé 1,54 milliard d’euros de revenus.
En France, le journal Le Monde tente de suivre le même exemple, avec plus de 260 000 abonnés en ligne revendiqués à la fin de l’année 2019 et près de 500 journalistes. Tout en publiant 14 % d’articles en moins entre 2018 et 2019, le journal a pourtant réussi à faire grimper de 11 % l’audience de son site et les ventes de son journal.
Mais comme l’explique Jean-Michel De Marchi, rédacteur en chef de mind Media, lettre spécialisée sur l’économie des médias « Le Monde peut être comparé au New York Times dans le modèle, le Freemium, et dans l’objectif affiché, la transition numérique au service d’un journalisme de qualité. Cela dit, le New York Times à plusieurs années d’avance. »
Outre-Manche, le modèle du Guardian fait figure d’exception dans le paysage des grands médias. Entièrement gratuit dans sa version numérique, la pérennité du journal et de sa rédaction de 750 à 800 journalistes n’est assurée que par les dons et la publicité. Le média revendique 655 000 soutiens réguliers chaque mois et 300 000 dons ponctuels en 2019. Les revenus issus du numérique (108,6 millions de livres) ont même dépassé ceux du journal papier (107,5 millions de livres) en 2018.
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Ces pure players qui explosent
Créé en 2008, le média d’investigation Mediapart, ancré à gauche, a misé sur le modèle de l’abonnement sans publicité lorsque beaucoup de médias ne croyaient qu’à l’information gratuite. Onze ans plus tard, le site cumule plus de 150 000 abonnés et une cinquantaine de journalistes.
Pour Arnaud Mercier, professeur d’information-communication à l’Université Paris 2 Panthéon-Assas, la force du modèle de Mediapart, c’est “la chasse aux scoops”. Lors de l’anniversaire du journal en 2019, le fondateur et directeur Edwy Plenel, décrivait le pure player comme « une presse qui soit non seulement au service du droit de savoir du public et de sa liberté de dire ». Le pure player est aussi devenu une machine à cash : en 2018, le site a dégagé un résultat net de près de deux millions d’euros.
Mais le dernier succès en date n’est pas Mediapart. Né en 2016, Brut a la particularité de ne s’être lancé qu’en vidéo sur les réseaux sociaux. Mélange de vidéos montées et de lives, il vise une audience jeune, les Millennials, à travers des thématiques partagées au-delà de nos frontières : la diversité, l’environnement, le droit des femmes…
« Brut ne cherche pas à ressasser en boucle les mauvaises nouvelles. Aux opinions, nous préférons l’engagement. Nous mettons en lumière ceux qui se montrent acteurs du changement », expliquait son PDG, Guillaume Lacroix, dans un communiqué lors de sa levée de fonds de 40 millions d’euros, en octobre 2019. Pour le moment, la star des réseaux sociaux n’est rentable qu’en France grâce à plusieurs partenariats dont un avec Franceinfo, et au native advertising. Le principe ? Un studio totalement séparé de la rédaction produit des vidéos sponsorisées.
Mais le média ne cesse de se développer et a déjà ouvert des bureaux au Royaume-Uni, en Inde, au Japon, en Chine, au Mexique, en Espagne ou encore aux États-Unis. S’il gagne son pari, ce sera une véritable success-story à la française.
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Ceux qui ont dit non…
Les journaux papier ne sont pas morts. Avec ses 340 176 exemplaires écoulés en moyenne chaque mercredi en 2018, Le Canard enchaîné a encore de quoi faire pâlir d’envie bon nombre de titres de presse. L’hebdomadaire satirique spécialisé dans l’enquête ne dispose pourtant ni de version numérique, ni de publicité, ni de présence sur les réseaux sociaux à l’exception d’un compte Twitter. Le palmipède peut compter sur ses révélations, de l’affaire Bettencourt à l’affaire Fillon, pour fidéliser son lectorat. Le plus vieux journal satirique français disposait en 2018 de 128 millions d’euros de réserve. De quoi assurer son indépendance.
Autre exception, Le Un : pour son fondateur, Éric Fottorino, « la crise de la presse est une crise de contenus ». Avec plus de 30 000 exemplaires vendus par numéro, Le Un a construit sa communauté de lecteurs sur un choix éditorial audacieux : ne traiter qu’un seul thème par semaine avec des intellectuels. « J’avais l’intuition que nous étions submergés par un flux ininterrompu d’informations », se souvient l’ancien directeur du Monde.
Fort de ce succès, l’entrepreneur-journaliste a lancé les revues America et Zadig. Mais les paris réussis sont rares à l’heure du numérique et possibles uniquement grâce à des structures légères, agiles, composées au plus d’une dizaine de salariés.