Economie

Droits voisins : tout comprendre à la condamnation de Google pour abus de position dominante 

Le moteur de recherche a été condamné le 13 juillet par l’Autorité de la concurrence française à une amende de 500 millions d’euros pour abus de position dominante dans les négociations menées avec les éditeurs et les agences de presse concernant les droits voisins. À quoi servent les droits voisins ? En quoi cette condamnation est-elle exceptionnelle ? On vous explique tout en cinq questions. 

Manon Touchard
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Illustration de l'article Droits voisins : tout comprendre à la condamnation de Google pour abus de position dominante 

© pixabay

Sur Google Actualités, plus aucun extrait d'articles de presse, mais seulement une liste de liens hypertextes reprenant des titres parfois très vagues. Depuis 2019, les mordus d'information ont pu remarquer un changement radical de l'interface : plus de quoi donner envie au lecteur de cliquer pour lire l'article.

Pour cette raison, les agences de presse et les éditeurs ont trainé Google en justice. Le 13 juillet dernier, l'Autorité de la concurrence a rendu son verdict : le moteur de recherche est condamné à verser 500 millions d'euros d'amende pour délibérément et systématiquement entraver les droits voisins. 

Qu’est-ce qu’un droit voisin ?

Les droits voisins désignent les droits qui gravitent autour du droit d’auteur et font donc partie de la grande famille des droits de la propriété intellectuelle. Ils ont vocation à protéger les personnes qui participent à la création d’une œuvre sans en être les créateurs.

Ils concernent donc les producteurs, les artistes interprètes et plus récemment les agences de presse et les publications de presse. Leur importance progresse à l’heure où le numérique permet de faire circuler de plus en plus de contenu rapidement.

Les droits voisins sont composés d’un droit moral — nul ne peut changer l’œuvre ou son interprétation sans autorisation — qui est perpétuel, inaliénable et héréditaire, et d’un droit patrimonial qui permet à l’artiste de toucher des revenus pour la reproduction, l’échange, la mise à disposition ou la location de son œuvre. Ce dernier est souvent limité dans le temps.

Dans le cadre d’un article de presse, les droits voisins assurent le monopole aux éditeurs de presse pendant 2 ans, délai au-delà duquel le législateur a considéré l’information obsolète. En comparaison, les producteurs en bénéficient pendant 5 ans. Le droit d’auteur s’applique, quant à lui, 70 ans après la mort de l’auteur pour une œuvre littéraire. 

En quoi Google est-il concerné par les droits voisins ?

Les droits voisins ont été reconnus en France en 1985 dans le cadre de la loi Lang. Le 17 avril 2019, la directive européenne 2019/790 étendant les droits voisins aux agences et aux publications de presse est entrée en vigueur. La directive a été transposée dans le droit français trois mois plus tard, le 24 juillet 2019 (loi transposition 2019-775).

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Transposer une loi

En France, le droit européen prime sur le droit français mais pour qu’une directive européenne puisse être appliquée en France elle doit être transposée dans le droit français, c’est-à-dire qu’elle doit faire l’objet d’une loi française.

La loi oblige dorénavant les agrégateurs de contenus et d’informations, comme Google Actualités, à rémunérer les éditeurs de presse dans le cas où ils utiliseraient des photos, des vidéos ou des parties rédigées de l’article sur leur page d’accueil. La loi admet deux exceptions : les hyperliens et les courts textes descriptifs des pages webs affichés dans la page de résultats d'un moteur de recherche, appelés snippets.

Google n’a donc pas l’obligation de rémunérer les éditeurs et agences de presse pour l’utilisation des liens hypertextes ni la publication sur la page d’accueil d’une synthèse originale de l’article rédigée par les équipes-mêmes de Google.

Pourquoi l’entreprise a-t-elle été condamnée ?

Une première décision de l’Autorité de la concurrence française assortie de mesures conservatoires avait été rendue le 9 avril 2020 au motif que « le comportement de Google relève d’une stratégie délibérée, élaborée et systématique de non-respect ». La décision avait été confirmée par la Cour d’appel de Paris en octobre 2020. Depuis, l’Autorité de la concurrence a estimé que Google n’avait pas pris les mesures nécessaires et a donc condamné l’entreprise à verser une amende de 500 millions d’euros au trésor public français.

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Mesures conservatoires

Elles créent des obligations avant qu’un jugement (ou une décision) soit rendu. 

En effet, après l’entrée en vigueur de la directive européenne, Google avait décidé de ne plus afficher les extraits d’articles, les photos ou les vidéos associées sauf si les éditeurs lui en donnaient l’autorisation à titre gratuit. Dans le cas contraire, Google se refusait donc à payer les droits voisins en n’affichant que les liens hypertextes vers les articles. L’entreprise estimait que l’agrégateur rémunérait les éditeurs et agences de presse en leur offrant un trafic et une visibilité importante.

Cette décision avait alors fait craindre à beaucoup d’éditeurs et d’agences de presse une perte de visibilité en cas de refus de leur part, et une perte de revenu substantielle en cas d’acceptation.

Les snippets : un point encore litigieux

Depuis avril 2020, Google a entamé de nouvelles négociations afin de trouver une entente en accord avec les exigences de l’Autorité de la concurrence. Mais le point des snippets reste encore litigieux. Les éditeurs et les agences de presse ont tout intérêt à ce que le lecteur utilisant l’agrégateur de contenu clique sur le lien proposé.

De son côté, Google n’a pour seul intérêt que l’utilisation de son agrégateur et ne souhaite donc pas investir dans une intelligence artificielle coûteuse lui permettant d’afficher des synthèses d’articles ni de payer des droits voisins pour l’utilisation d’une partie de l’article sur la page d’accueil de son agrégateur.

En quoi est-ce une décision historique ?

L’amende reçue par Google est la plus élevée jamais demandée par l’Autorité de la concurrence française. Elle est la première au titre des droits voisins applicables aux éditeurs et agences de presse.

La dureté de la sanction ainsi que la rapidité de la transposition de la loi sont un marqueur important de l’intérêt du législateur face à l’urgence économique de la presse française. Depuis plusieurs années la presse est en grande difficulté financière et l’essor du numérique a renforcé cette fragilité.

En 2018, 52 % des éditeurs déclaraient à Reuters vouloir faire des abonnements leur source principale de revenu, mais en 2020, seuls 10 % des utilisateurs payaient pour un abonnement en ligne. D'après Bérénice Ferrand, avocate en droit d'auteur, les droits voisins jouent donc le rôle d’un « abonnement déguisé » que paierait Google, venant pallier le défaut d’abonnements réels et représente une source de revenus non négligeable.

Une telle amende, qui représente plus du double de celles auxquelles Google avait été précédemment condamné, permet de rétablir l’équilibre de la balance des intérêts, explique-t-elle. La décision a remis l’entreprise à sa juste place dans les discussions et la pousse à être un acteur de bonne foi face aux éditeurs de presse à qui est donné un plus gros pouvoir de négociation. 

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Balance des intérêts

Elle fait référence à un équilibre entre l’intérêt du public d’une part et celui des auteurs et titulaires de droits voisins d’autre part.

Quels sont les recours de Google pour ne pas payer l’amende ? 

Aux dires de Marie-Hélène Fiabiani et Bérénice Ferrand, avocates en droit d’auteur, il est très probable que Google fasse appel devant la cour d’appel de Paris. En effet, l’entreprise a déclaré dans un récent communiqué de presse que la sanction était « disproportionnée eu égard aux efforts de négociation » entamés depuis avril 2020. Si elle fait appel, l'entreprise peut demander un sursis d'exécution, c'est-à-dire une suspension de la sanction jusqu’à sa validation ou son annulation.

Dans le même temps, Google aurait intérêt à se rapprocher des syndicats de presse français pour entamer de nouvelles négociations et trouver un nouvel accord correspondant aux attentes de l’Autorité de la concurrence. 

Si la cour d’appel venait à confirmer la décision, Google pourrait se pourvoir en cassation et in fine, tenter de porter l’affaire devant les juridictions européennes au motif d’un procès inéquitable. 

Enfin, si la décision venait à être confirmée par les différentes instances, Google devra alors s’acquitter du montant de l’amende. En cas de refus, l’État français pourrait avoir recours à un huissier pour saisir le montant sur les comptes de Google France.

Néanmoins, il est peu probable que les comptes de Google France soient provisionnés à hauteur de 500 millions d’euros. L’État français aurait alors plus de mal à saisir l’argent sur les comptes de Google Irlande, mais encore plus sur ceux de Google California, sans la coopération de l’entreprise.

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