Economie
Au lieu de défier TikTok, Meta s’entête dans le métavers
Sélection abonnésFragilisé par la nouvelle politique d’Apple et ses faux pas dans le monde virtuel, l’ex-Facebook licencie et réduit ses investissements hors IA. Les analystes craignent pour la rentabilité et regrettent la magie Zuckerberg des débuts.
Stéphanie Bascou
© © Davide Bonaldo / SOPA Images/
Pour Meta, plus les mois passent et plus 2022 semble être l’année des sombres premières fois : première fois en 18 ans d’existence que Meta annonce un plan social, en licenciant 11 000 personnes (13 % de ses effectifs), le 9 novembre dernier ; première fois que le groupe voit son chiffre d’affaires reculer (de 1 % au deuxième trimestre, de 4 % au troisième trimestre en glissement annuel) ; première fois que le nombre d’utilisateurs actifs quotidiens de Facebook baisse.
Première fois qu’au troisième trimestre, son bénéfice net chute de 52 % et que sa capitalisation boursière fond de près de 600 milliards de dollars sur un an.
Source : rapports financiers Meta Platforms.
En optant pour le licenciement massif, une réduction de ses dépenses et un « changement culturel significatif » qui peut se résumer par « faire mieux avec moins », le P.-D.G. aux désormais 76 000 salariés cherche à rassurer ses investisseurs. Car au sein de la Silicon Valley, les actionnaires de Meta, cotée en Bourse depuis 2012, sont particulièrement inquiets.
Pour Meta, plus les mois passent et plus 2022 semble être l’année des sombres premières fois : première fois en 18 ans d’existence que Meta annonce un plan social, en licenciant 11 000 personnes (13 % de ses effectifs), le 9 novembre dernier ; première fois que le groupe voit son chiffre d’affaires reculer (de 1 % au deuxième trimestre, de 4 % au troisième trimestre en glissement annuel) ; première fois que le nombre d’utilisateurs actifs quotidiens de Facebook baisse.
Première fois qu’au troisième trimestre, son bénéfice net chute de 52 % et que sa capitalisation boursière fond de près de 600 milliards de dollars sur un an.
Source : rapports financiers Meta Platforms.
En optant pour le licenciement massif, une réduction de ses dépenses et un « changement culturel significatif » qui peut se résumer par « faire mieux avec moins », le P.-D.G. aux désormais 76 000 salariés cherche à rassurer ses investisseurs. Car au sein de la Silicon Valley, les actionnaires de Meta, cotée en Bourse depuis 2012, sont particulièrement inquiets.
Cette fois, il n’est pas question d’un énième scandale ou d’une nouvelle réglementation ou action en justice contre Meta. Et cela a peu à voir, comme le laissait entendre Mark Zuckerberg dans son billet de blog, le 9 novembre dernier, avec « le ralentissement macroéconomique » ou la baisse des dépenses publicitaires. S’il y a bien eu un « mécanisme macroéconomique de correction classique du marché qui a fait dévisser de nombreuses entreprises de la tech, la performance financière de Meta reste plus dégradée que la moyenne des titres du Nasdaq », analyse Julien Pillot, maître de conférences en économie à l’Inseec.
La publicité tient bon
Quant à la soi-disant baisse des dépenses publicitaires qui serait liée à la guerre en Ukraine, à l’inflation et à la crainte de la récession, elle ne se vérifie pas non plus en pratique. « Meta a encore encaissé 27 milliards de dollars de publicité au dernier trimestre. Le fait que ce chiffre ait à peine baissé d’une année sur l’autre montre que la publicité numérique est toujours en forte croissance », écrivait l’analyste Ben Thompson chez Stratechery, le 31 octobre dernier.
Non, ce qui inquiète les investisseurs du géant des réseaux sociaux, c’est surtout la rentabilité à long terme du groupe. Car à court terme, Meta, dont le modèle économique repose à 98 % sur la publicité, est toujours un des leaders mondiaux de la publicité en ligne.
Sur ce marché, Facebook, créé en 2004, a d’abord été « en situation de monopole. Il est ensuite passé en position dominante, jusqu’à devenir membre d’un marché plus oligopolistique aux côtés de ses principaux concurrents », analyse Marianne Lumeau, maître de conférences en économie à l’Université de Rennes 1.
Le principe de l’effectuation
Il s’agit d’un concept inventé par la professeure Saras Sarasvathy selon lequel ceux qui arrivent très bien à innover en ligne sont les « effectuaux », et ceux qui y arrivent moins sont les « causaux ». « Imaginez que vous vouliez préparer un dîner. Si vous êtes “causal”, vous allez décider du menu (votre objectif), puis regarder la recette et faire vos courses (vos moyens) », explique Thomas Houy, enseignant-chercheur en management à Télécom Paris. « Si au contraire vous êtes “effectual”, vous allez ouvrir votre frigo et essayer quelque chose. Évidemment, ça ne sera pas terrible. Mais vous allez ajouter d’autres choses et aller de rebond en rebond. Ce schéma s’appelle l’effectuation. À la fin, vous arrivez à un endroit que vous n’auriez jamais imaginé avant. Vous êtes intéressé par les effets de ce que vous produisez, sans préjuger de ce qu’ils deviennent. À ses débuts, quand il a créé Facebook, Mark Zuckerberg était “effectual”. Il est devenu “causal” avec le métavers. »
Fuite des jeunes
Conséquence de cette concurrence accrue, le nombre d’utilisateurs actifs quotidiens stagne sur Facebook, passant de 1 930 milliards à 1 929 milliards, annonçait le groupe en février dernier. Mais surtout, les plus jeunes – les utilisateurs de demain – délaissent les réseaux sociaux de Meta au profit de TikTok.
Selon l’ancienne cadre du groupe Frances Haugen, en 2021, les inscriptions des moins de 18 ans avaient chuté d’un quart en un an sur les cinq marchés les plus importants de Facebook.
Plus récemment, en juillet 2022, une étude de Sensor Tower a montré que les utilisateurs d’Android passaient en moyenne 95 minutes par jour sur TikTok, contre seulement 51 minutes sur Instagram, et 49 minutes sur Facebook – soit deux fois moins. Si le géant de Menlo Park n’a pas confirmé ces chiffres, il a néanmoins modifié Facebook et Instagram pour les faire ressembler davantage à son concurrent en proposant, en 2020, une nouvelle plateforme de vidéos courtes, Reels.
Source : étude Sensor Tower, juillet 2022
Mais ce qui a surtout plombé les recettes publicitaires du groupe, c’est la nouvelle politique d’Apple en matière de transparence. Avec le nouveau système anti-pistage, une partie importante des utilisateurs d’iPhone refuserait de partager ses données personnelles avec des applications : un trésor sur lequel reposait la rente publicitaire de Meta et auquel il n’a plus accès. Cela représenterait un manque à gagner annuel de 10 milliards de dollars.
Triste métavers
Pour surmonter ce problème, Meta a commencé à embaucher et à investir massivement dans des programmes d’Intelligence artificielle (IA) qui permettront, à terme, un meilleur ciblage. « Améliorer notre capacité en IA est à l’origine de la quasi-totalité de la croissance de nos dépenses d’investissement en 2023 », confirmait David Wehner, directeur financier de Meta, le 26 octobre, lors de la conférence téléphonique sur les résultats.
En général, la société a choisi de réduire de près de deux milliards ses dépenses d’investissements, selon un document financier transmis par Meta au gendarme américain des marchés, le 9 novembre dernier. Et c’est justement cet engagement qui inquiète les actionnaires – encore plus que les malheurs du métavers, estime Ben Thompson –, même si le choix stratégique fait par la plateforme ne rassure pas.
Lire aussi > Tout comprendre au métaverse en quatre questions
« Meta rate le court terme au profit du moyen/long terme »
« Nous sommes optimistes sur le long terme », tentait de rassurer Mark Zuckerberg, en juillet dernier. À tel point que le groupe aurait trop délaissé le court terme ? Marianne Lumeau, maître de conférences en économie à l’Université de Rennes 1, explique : « En choisissant de développer le métavers, le groupe mise tout sur cette stratégie de moyen et de long terme, au détriment du court terme. Et finalement, les stratégies innovantes qui seraient appliquées à leur cœur de métier actuel, celui de la publicité et de l’analyse des données personnelles sur les plateformes de Facebook, de WhatsApp, de Messenger et d’Instagram, sont délaissées. Résultat, ils sont en train de se faire dépasser par une autre plateforme, TikTok. Ils n’ont pas assez misé sur la vidéo dont sont particulièrement friands les jeunes, les utilisateurs de demain. Ils n’ont pas développé des algorithmes suffisamment diversifiés ni de nouveaux contenus. »
Facebook, devenu Meta en octobre 2021, a investi en 2022 près de 10 milliards de dollars dans le métavers, un univers dans lequel nos jumeaux numériques évolueront. En 2023, le chiffre pourrait monter à 15 milliards de dollars. Face à tous ces chiffres, « les investisseurs peuvent se dire : voilà une entreprise qui va faire moins de bénéfices et qui va les réinvestir dans quelque chose qui n’en fera peut-être jamais », analyse Julien Pillot.
D’autant que pour l’instant, les avancées de Meta en la matière ne sont pas à la mesure des attentes : les univers sont vides et tristes, pleins de bugs, les équipes qui travaillent à leur développement semblent presque sceptiques… Il faudra plusieurs années pour construire ces mondes, s’est défendu Mark Zuckerberg.
La fin des surprises
Ce choix est « une prise de risque énorme, mais elle engage la survie de l’entreprise à moyen terme. Si j’étais Zuckerberg, je ferais exactement la même chose », tranche Julien Pillot. Car si le métavers finit par exister, il emportera avec lui utilisateurs et annonceurs, qui déserteront les plateformes de Meta comme toutes celles du web 2.0. « Le métavers pourrait être pour Facebook ce qu’ont été les smartphones pour Nokia, le leader incontesté de la téléphonie mobile, qui, en 10 ans, a disparu parce que tout le monde est passé sur smartphone, et qu’il ne maîtrisait pas ce marché-là. »
Mais pour l’enseignant-chercheur en management à Télécom Paris Thomas Houy, la méthode pose question. « Meta affirme que son objectif, c’est le métavers, qu’il y va maintenant. Mais dans l’économie numérique, les succès n’ont jamais été imaginés avant. Ils ont toujours été des surprises, pas des planifications sur du long terme, comme le montre l’histoire de Google, Twitter, LinkedIn, et… Facebook, enfin… au commencement. »
Cet article est extrait de notre numéro sur les conséquences du commerce internationale sur l’environnement, disponible sur notre boutique.
- Accueil
- Futur et Tech
- Numérique
Au lieu de défier TikTok, Meta s’entête dans le métavers