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Comment la mise à jour iOS 14.5 d'Apple a relancé sa guerre avec Facebook
Depuis plusieurs années, ces GAFAM aux marchés et modèles économiques en apparence très différents (l’un vend des appareils hauts de gamme quand l’autre propose des services de plateforme) s’affrontent, à coups de mots, de discours, et d’action en justice.
La mise à jour du système d’Apple iOS 14.5 déployée fin avril 2021 a mis le feu aux poudres en mettant à mal le modèle économique de publicité ciblée de Facebook.
Ce désaccord pourrait être le premier d’une longue série d’affrontements directs. Car ces deux géants cherchent à gagner la compétition technologique de demain. Récit de cette guerre de titans.
Qu’est ce qui différencie Apple de Facebook ? Tout, diriez-vous. Pendant qu’Apple vend des appareils numériques haut de gamme (iPhone, iPad, Mac), Facebook propose des services de messagerie et de réseaux sociaux à travers quatre plateformes : WhatsApp, Messenger, Facebook et Instagram.
Pendant qu’Apple se veut le chantre des libertés individuelles et de la protection de la vie privée, Facebook se félicite d’offrir des services gratuits en utilisant les données personnelles de ses utilisateurs. Apple pèse près de 111 milliards de dollars de chiffre d’affaires (au 1er semestre 2021), Facebook trois fois moins, 26 milliards.
La mise à jour du système d’Apple iOS 14.5 déployée fin avril 2021 a mis le feu aux poudres en mettant à mal le modèle économique de publicité ciblée de Facebook.
Ce désaccord pourrait être le premier d’une longue série d’affrontements directs. Car ces deux géants cherchent à gagner la compétition technologique de demain. Récit de cette guerre de titans.
Qu’est ce qui différencie Apple de Facebook ? Tout, diriez-vous. Pendant qu’Apple vend des appareils numériques haut de gamme (iPhone, iPad, Mac), Facebook propose des services de messagerie et de réseaux sociaux à travers quatre plateformes : WhatsApp, Messenger, Facebook et Instagram.
Pendant qu’Apple se veut le chantre des libertés individuelles et de la protection de la vie privée, Facebook se félicite d’offrir des services gratuits en utilisant les données personnelles de ses utilisateurs. Apple pèse près de 111 milliards de dollars de chiffre d’affaires (au 1er semestre 2021), Facebook trois fois moins, 26 milliards.
En apparence, tout les sépare : le poids économique, les marchés, les stratégies. Mais en cherchant à se diversifier et à maîtriser la technologie de demain, les deux géants s’affrontent, de plus en plus directement.
À lire : Faut-il casser les Gafa ?
Après des années à se lancer des piques à bonne distance, les deux géants ont croisé le fer, pour la première fois, ces derniers mois.
Champ de bataille historique : la confidentialité
Au commencement, le ton était paternaliste. Steve Jobs, le cofondateur d’Apple, avait alors 55 ans. Mark Zuckerberg 26 ans. En 2010, c’était l’ancien, en position de sage, qui se trouvait sur scène, et qui faisait la leçon au jeune Zuckerberg, alors dans l’auditoire.
Apple était déjà un géant qui vendait du “hardware” haut-de-gamme et qui commençait à créer un écosystème en vase clos, en étant à la fois fabricant du produit final numérique, du système d’exploitation, et des services proposés.
Éco-mots
Hardware
De l'anglais "hard", dur, et "ware" pour marchandise, ce terme désigne l'équipement matériel électronique comme un ordinateur ou un téléphone, par opposition au "software" qui peut être dématérialisé (comme un logiciel).
“Notre vision de la confidentialité a toujours été très différente de celle de certains de nos collègues de la Silicon Valley", avait-il commencé, comme pour répondre au cofondateur de Facebook et à sa célèbre phrase : la "vie privée n'est plus une norme sociale".
"La confidentialité signifie que les gens savent pourquoi ils signent - de façon claire et simple, et à plusieurs reprises. Je pense que les gens sont intelligents et que certains veulent partager plus de données que d'autres. Demandez-leur […]. Dites-leur précisément ce que vous allez faire avec leurs données."
Steve Jobs posait, quelques mois avant sa mort, un principe cher à la firme à la pomme : la préservation de la vie privée des utilisateurs, via la protection des données personnelles.
Le cofondateur d’Apple condamnait déjà, sans le désigner, le cœur du modèle économique de Facebook, en se positionnant comme l’entreprise qui ne vend pas toutes les traces que nous laissons sur internet, à savoir, nos habitudes, nos goûts, nos angoisses, nos inclinaisons sexuelles, nos centres d’intérêts.
En 2010, Facebook était un géant en devenir. Il gagnait déjà de l’argent en collectant et compilant ces données d’utilisateurs pour les transformer en publicité ciblée. Ils étaient alors 431 millions d'utilisateurs (ils sont 3,45 milliards aujourd’hui) à être séduits par les services gratuits que le groupe proposait (les réseaux sociaux, les services de messagerie).
Quelques années après ce premier épisode verbal, Apple, qui a fait de la confidentialité son atout majeur, intègre dans ses systèmes cette protection de la vie privée. Ces outils sabrent les revenus publicitaires de Facebook : Safari, le navigateur d’Apple, bloque par défaut les cookies tiers en 2017 et donc la possibilité pour Facebook de pister les internautes.
À lire : Facebook : les États contre-attaquent
Apple aiguise aussi ses mots. En octobre 2018, Tim Cook, le nouveau PDG d’Apple, compare la collecte de données à de la "surveillance" devant le Parlement européen à Bruxelles, sans encore une fois, nommer Facebook.
Il y dénonce un “complexe industriel des données” selon lequel “nos propres informations - celle de tous les jours à ce qu'il y a de plus personnel - sont utilisées comme une arme contre nous avec une efficacité militaire”. La référence à Facebook, alors empêtré dans le scandale de Cambridge Analytica et contraint de présenter ses excuses, ne fait aucun doute.
Cambridge Analytica, l'aspirateur à données de Facebook
Au début de l'année 2018, Facebook a admis avoir mal géré les données de plus de 50 millions d'utilisateurs de Facebook (87 millions réellement impactés) qui avaient été obtenues de manière indue par Cambridge Analytica, une société britannique d’analyse politique, en passant par un quiz publié sur Facebook.
Ces données ont été utilisées pour influencer le vote à l’élection présidentielle américaine de 2016. Cette fuite massive a eu de nombreuses conséquences sur le groupe Facebook : outre des excuses, son PDG Mark Zuckerberg a dû répondre à des questions du Congrès américain, et le gendarme du commerce américain a infligé à Facebook une amende d'un montant historique de 5 milliards de dollars.
Tim Cook va même jusqu’à dire : “En vérité, nous pourrions gagner beaucoup d'argent en monétisant nos clients, s'ils étaient nos produits […]”, comprenez, comme Facebook le fait. “Nous avons choisi de ne pas le faire", ajoutant que son groupe n'avait pas attendu le scandale Cambridge Analytica pour respecter la vie privée de ses utilisateurs.
À lire : Comment reprendre le contrôle sur ses données
Puis Apple, après ces mots, appelle à plus de régulation en janvier 2019 : son dirigeant demande au régulateur américain du commerce de contraindre les revendeurs de données personnelles, dont fait partie Facebook, à plus de transparence.
Dans le même temps, Tim Cook embauche l’ancien employé de Facebook, Sandy Parakilas, devenu un critique acerbe du réseau social. Un pied de nez qui fait enrager Mark Zuckerberg. Ce dernier aurait interdit à ses proches d’utiliser le moindre produit estampillé de la marque ennemie.
Avec l’App Tracking Transparency, la ligne de crête est atteinte
Pendant cette décennie, Facebook encaisse les coups, en silence. Le groupe aux quatre plateformes a besoin du géant Apple et de son App Store, son magasin en ligne d’applications, pour être utilisé par le milliard d’utilisateurs d’iPhone.
Ces derniers sont souvent plus aisés que la moyenne, le groupe Facebook ne peut se passer de leurs données lucratives, jusqu’à cette nouvelle affaire qui cette fois, va le faire réagir.
Puisque le régulateur américain ne change rien, Apple se met à imposer de nouvelles conditions d’accès et d’utilisation de son système.
Pourquoi Apple est-il en position de force ?
La marque à la pomme propose un produit “tout-en-un” qui fonctionne en vase clos en étant à la fois un appareil numérique (un Mac), un système d’exploitation (IoS), un fournisseur de service (comme l’App Store, son magasin en ligne d’applications Apple et applications tierces), et un fournisseur d’applications (TV+, Apple Music, …).
Les appareils Apple sont fabriqués par Apple. Ils ne fonctionnent qu’avec le système d'exploitation d'Apple. Seules les applications d’Apple ou les applications homologuées par Apple sont utilisées.
Les applications tierces doivent payer les commissions demandées par Apple (entre 15 à 30% du montant payé par l’utilisateur) et répondre aux conditions d’Apple pour figurer dans cet Apple store.
Une situation que la Commission européenne vient de qualifier, vendredi 30 avril 2021, “d’écosystème fermé” qui lui permet d’imposer ses conditions à d’autres fournisseurs de service et d’application.
Apple est à la fois juge (en étant un système d’exploitation et un magasin) et partie (la marque propose aussi des services et applications comme TV+, Apple Music concurrentes des applications tierces proposées comme Spotify, Facebook…) ce qui pose des questions d’abus de position dominante qui sont en ce moment jugées en Allemagne, aux Etats-Unis et dans l’Union européenne.
Depuis le 26 avril 2021 pour la France, Apple force les applications tierces, dont Facebook fait partie, à demander aux utilisateurs s’ils sont d’accord pour être pistés. Cette “App Tracking Transparency” d'Apple, ou la demande de consentement pour le suivi publicitaire, avait été d’abord annoncée en juin 2020 avant d’être repoussée de quelques mois. Et cette fois, Facebook va réagir en prenant à partie l’opinion.
"Nous nous opposons à Apple, au nom de la défense des petites entreprises"
Une menace pour l’internet libre et pour toutes ces petites entreprises qui luttent pour se maintenir à flot pendant la pandémie : voilà comment Facebook présente les nouvelles règles de “confidentialité renforcée” d’Apple le 16 décembre 2020 en lançant une grande campagne de communication.
Le groupe achète des pages entières de publicité dans de grands quotidiens américains ( New York Times, le Wall Street Journal et le Washington Post). Son message : “Nous nous opposons à Apple, au nom de la défense des petites entreprises”, il faut y lire : ces petits entrepreneurs qui ne pourront plus utiliser la publicité ciblée pour trouver des clients vont couler.
Facebook ne s’arrête pas là. Il met aussi en ligne un site de témoignages de petits commerçants, et s’appuie sur un chiffre : les publicités non personnalisées généreraient 60 % de ventes en moins que les publicités personnalisées (que permet la récolte de données personnelles). Selon certains sondages, seuls 20% des utilisateurs accepteraient de continuer à se faire pister, un manque à gagner substantiel pour Facebook et toutes les sociétés qui vivent de publicité ciblée.
Mais Apple ne dévie pas de sa trajectoire : le vice-président de l’ingénierie logicielle d’Apple, Craig Federigh, estime qu’il s’agit de “simples déclarations excentriques” et de “tentatives éhontées pour maintenir le statu quo sur l’intrusion dans la vie privée”.
Facebook est contraint de se plier aux nouvelles règles d’Apple. D’autant que cette nouvelle règle n’aurait pas d’impact important sur le chiffre d’affaires du groupe de social media, puisqu'elle concernerait seulement moins de 5 % des 84 milliards de dollars de recettes publicitaires annuelles de Facebook, estime le site d’information américain The Information.
Mais preuve que la ligne de crête semble être atteinte, Facebook invoque le droit de la concurrence, en tâclant que : "Apple se comporte de façon anti-compétitive", fin janvier 2021 lors d'une conférence sur les résultats annuels du groupe. "Apple peut dire qu'ils font ça pour aider les gens mais cela sert clairement leurs intérêts".
Et pour la première fois, Facebook se place sur le terrain judiciaire. Il se joint à une plainte déposée par un groupe de presse allemand et la fédération allemande des publicitaires devant l’autorité de la concurrence en Allemagne pour dénoncer un abus de position dominante d’Apple.
Il apporte aussi son soutien à Epic Games, l’éditeur du jeu vidéo Fortnite, dont le procès en Californie contre Apple a commencé ce lundi 3 mai, en déclarant que “Facebook allait fournir des éléments à la justice montrant que cette interdiction heurte les revenus publicitaires du réseau social”.
Les deux GAFAMs pourraient aussi s’affronter, plus directement, sur d’autres champs de bataille.
Le maître du jeu des réalités virtuelles et augmentées tu seras
Frustré de devoir se plier aux conditions d’Apple, Facebook entend bien être en position de force sur les marchés de demain, comme dans le celui des réalités augmentées (une technologie qui ajoute des informations/éléments au monde réel, comme avec des lunettes connectées) et des réalités virtuelles (une plongée dans un univers totalement fictif).
Ces deux technologies constituent, pour le fondateur de Facebook, “la prochaine plateforme majeure de l'informatique après les smartphones". Le groupe, qui a racheté en 2014 la start-up Oculus spécialisée dans la réalité virtuelle, est devenu leader sur ce marché dont il détient 38% de parts.
Mais il est suivi de près par Apple, qui a racheté l’année dernière NextVR, une start-up spécialisée dans la diffusion d’événements en direct via des appareils de réalité virtuelle. Selon le site Bloomberg, le groupe à la pomme prévoit de mettre sur le marché son premier casque immersif en 2022 qui associerait réalité virtuelle et augmentée. Les deux géants seront donc pour la première fois en concurrence directe.
Sur la plate bande de l’autre, tu marcheras
Plus classiquement, tant Apple que Facebook, en se diversifiant, investissent dans le cœur de métier de leur rival.
Facebook, dont le seul “hardware” vendu est son casque de réalité virtuelle, Quest, serait en train de concevoir une Facebook Watch pour concurrencer l’Apple Watch (qui détient 28% de part de marché de la montre connectée) selon le média américain The Information. La montre connectée version Facebook serait commercialisée dès 2022.
Apple, pour sa part, serait quant à lui sur le point de proposer de nouveaux espaces publicitaires, le cœur du métier de Facebook, relate le quotidien britannique le Financial Times. Sur son magasin en ligne, l’App Store, il est déjà possible de payer pour apparaître dans les premiers résultats de recherche. Il sera bientôt possible d’apparaître sur une liste de suggestions. Pour certains analystes, la création de ce second espace publicitaire, et la mise à mal du modèle de publicité ciblée sont à relier.
Apple chercherait à redevenir un “faiseur de roi : en 2012, si vous étiez mis en vedette par Apple, la valeur de votre entreprise pouvait augmenter de cent millions de dollars. Aujourd’hui, Apple paralyse la publicité ciblée, la conséquence en est que l'App Store redevient le principal point de découverte des applications, et si Apple décide de la façon dont les gens utilisent nos iPhones, alors Apple décide quelles sont les applications les plus populaires", déclarait l'analyste Eric Seufert au site technologique Stratechery en février dernier.
Pour sûr, Facebook fera tout pour que cette interprétation ne devienne réalité. La guerre des géants ne fait que commencer.
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