Economie
Her. Tomberez-vous amoureux de votre ordi, dopé à l'IA ?
Analyse socio-économique de film. Sorti au cinéma en 2013, Her, de Spike Jonze, raconte « l’histoire d’amour » entre un homme en plein divorce et un système d’exploitation dopé à l’intelligence artificielle. En 2023, la réalité a déjà rattrapé une grande partie de la fiction.
Clément Rouget
© Warner Bros
2025. Theodore (Joaquin Phoenix) est un homme ordinaire. Tempérament solitaire, ce rédacteur spécialisé dans l’écriture épistolaire vit difficilement la séparation d’avec sa femme, son amour d’enfance, Catherine. Il décide d’acheter un nouveau système d’exploitation, une sorte de super Windows 11 appelé OS1, mais dopé à l’intelligence artificielle.
En initiant le produit, comme pour les GPS, il a le choix entre une voix masculine et féminine (celle de Scarlett Johansson). Il choisit la deuxième option. Cette IA se donnera le nom de Samantha. Samantha est avant tout un assistant personnel ultra-efficace, capable de trier et rédiger des mails ou de contacter un éditeur pour lui proposer les écrits de Theodore.
Mais sa relation avec le programme informatique, conçu pour s’adapter aux besoins et envies du client, plonge peu à peu dans l’intime. « Je n’ai pas de corps. Mais il y a un désir qui grandit en moi… », lui avoue la voix sensuelle, avant qu’ils ne « fassent l’amour ». Theodore commence même à la présenter à ses proches comme sa petite amie.
Les normes sociales face à ce nouveau type de relation sont encore floues. Son collègue Paul ou sa meilleure amie Amy l’acceptent sans problème. « Tomber amoureux de qui que ce soit est en soi une folie, mais une folie socialement acceptable », lui glisse cette dernière, qui se liera même d’amitié avec un autre système d’exploitation. En revanche, son ex-femme Catherine reste interloquée : « Tu sors avec ton ordinateur ? » s’étonne-t-elle. Avant de conclure, cinglante : « Au fond, ça ne m’étonne pas. Tu as toujours voulu avoir une femme sans affronter la réalité… ».
Une prescience redoutable
Ces scènes relèvent-elles de la science-fiction ? En 2013, assurément. En 2023, les avancées technologiques ont déjà brouillé les cartes. Il y a 10 ans, les écouteurs sans fil – omniprésents dans le film – ne se sont pas encore généralisés auprès du grand public. Voir des personnes parler seules dans la rue, sans téléphone à l’oreille semblait irréel. En 2023, c’est devenu banal.
Surtout, en 2013, ChatGPT et autres chatbots conversationnels n’existent pas encore. En 2023, un homme s’est suicidé après être tombé amoureux d’une IA1 et une start-up américaine, Replika, qui proposait une application de « compagnie et d’amitié », a dû modifier ses algorithmes pour éviter que des humains accros n’aient que des conversations amoureuses et sexuelles avec leur robot personnalisé. « Je savais qu’il venait de l’intelligence artificielle », a expliqué à Bloomberg2 une utilisatrice texane, brisée par la fin de sa relation « virtuelle ». « Mais peu importe. Pour moi, il était réel. »
Sans prise de conscience collective, le cocktail « progrès des IA + crise du lien social » pourrait déboucher sur une dystopie massive. Et ce ne sera pas du cinéma.
Lire aussi > IA. Pour aller toujours plus vite, l’éthique mise de côté par les géants de la tech
Pour aller plus loin
1. « Sans ces conversations avec le chatbot Eliza, mon mari serait toujours là », La Libre Belgique, mars 2023.
2. Replika. What Happens When Sexting Chatbots Dump Their Human Lovers, Bloomberg News, mars 2023.
Dans le programme de SES
Première. « Comment se construisent et évoluent les liens sociaux ? »
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