
Cet article est extrait de notre magazine consacré aux super-pouvoirs économiques des politiques. À retrouver en kiosque et en ligne.
Quand la toute première version du système d’exploitation Windows est sortie, en 1985, elle n’intégrait qu’un seul jeu, Reversi. Un damier basique de 64 cases où poser ses pièces pour prendre celles de l’adversaire.
Avec le rachat de l’éditeur de jeux vidéo Activision Blizzard, annoncé début 2022, Microsoft s’apprête à devenir la troisième plus grande entreprise du jeu vidéo au monde, derrière le Chinois Tencent et le Japonais Sony.
Un groupe qui doit son succès à Word ou Excel, d’austères outils bureautiques, contrôle désormais l’univers guerrier hyper-réaliste de Call of Duty, un best-seller mondial ou de l’addictif et coloré Candy Crush.
La présentation des résultats du deuxième trimestre 2022, fin janvier (l’année fiscale de Microsoft court de juillet à juin), a été un triomphe pour le P.-D.G. du groupe, Satya Nadella.
Depuis qu’il a pris les rênes de l’entreprise, en 2014, il l’a métamorphosée. À l’époque, Microsoft tirait près de 70 % de ses revenus de la vente des licences Windows et de la suite bureautique Office. Une rente qui était grignotée par l’essor du système d’exploitation Linux et les alternatives gratuites LibreOffice ou Google Docs.
Par ailleurs, avec l’iPhone, Apple faisait basculer le numérique vers le mobile, tandis qu’Amazon et Facebook se constituaient des trésors de données sur leurs utilisateurs. L’acronyme GAFA s’est composé sans Microsoft.
En 2020, grâce à la demande accrue par les confinements, la part de marché de Microsoft dans le cloud IaaS (Infrastructure as a Service, soit l’offre basique, hébergement-sécurité) a crû deux fois plus vite que celle du leader Amazon, selon le cabinet Gartner.
Sur l’année fiscale 2021, 55 % du chiffre d’affaires dépendait des services cloud. C’est le nouvel eldorado de la tech, là où le groupe fait ses plus fortes marges. Entre 2014 et 2021, son bénéfice net a augmenté de 60 % et son action de plus de 80 %. Ce qui fait de Microsoft la troisième entreprise la plus riche du monde, derrière la compagnie pétrolière Saudi Aramco et Apple.
Le jeu vidéo préfigure le métavers
Pourquoi Satya Nadella mise-t-il sur le jeu vidéo, qui pesait un peu moins de 10 % du chiffre d’affaires 2021 ?
Il a procédé, dès 2014, à l’acquisition des studios Mojang, créateurs de Minecraft. En 2018, il a racheté Ninja Theory (Kung Fu Chaos), Playground Games (Forza Motorsport), Obsidian Entertainment (Pillars of Eternity), ou encore inXile Entertainment (Wasteland). En 2020, il s’est offert ZeniMax Media, propriétaire de Fallout et de The Elder Scrolls.
Avec Blizzard, Microsoft contrôlera une trentaine de studios. « Le jeu vidéo, quels que soient les supports, est aujourd’hui la catégorie la plus dynamique et excitante des loisirs et il jouera un rôle clé dans le développement des plateformes métavers », a expliqué le P.-D.G. en annonçant le dernier rachat.
Il ne s’agit donc pas de relancer la guerre des consoles, alors que la Xbox se vend moins que la PlayStation (Sony) ou que les Nintendo. L’enjeu, c’est encore l’énorme marché du cloud, qui devrait exploser avec le métavers. Les jeux vidéo préfigurent les interactions qui auront lieu dans cet univers virtuel. Il faudra une architecture cloud de plus en plus structurée pour gérer la quantité infinie de données qu’il va générer.
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Cela dit, Microsoft n’a-t-il pas payé trop cher ? Le prix de 68,7 milliards de dollars en fait l’acquisition la plus chère de l’histoire de la tech. Microsoft est riche, mais la somme représente tout de même la moitié de ses réserves de cash.

Et Activision Blizzard, empêtré dans un scandale de harcèlement sexuel, est réputé assez peu créatif en matière de nouvelles licences. « Son rachat surprise par Microsoft ressemble à un geste réflexe de défense contre Sony », soupçonne un spécialiste du site d’analyses financières The Motley Fool.
Sony s’apprête en effet à sortir une formule d’abonnement similaire au Game Pass de Microsoft, qui permet de jouer en ligne. En février, le Japonais a racheté Bungie (Destiny 2) pour enrichir son catalogue.
Sony domine toujours
Dans le secteur du jeu, Microsoft reste un challengeur par rapport à Sony. En revanche, il est dans le viseur des régulateurs américains, qui s’inquiètent de l’emprise croissante des titans de la tech.

Selon les chiffres du cabinet Dealogic révélés par CNBC, Amazon, Facebook et Google ont procédé à un nombre record de rachats d’entreprises en 2021. Microsoft détient la palme, avec 56 acquisitions. La plus importante est Nuance Communications, une entreprise de reconnaissance vocale.
Microsoft investit tous azimuts, par exemple dans le véhicule autonome. Notons sa prédilection pour les réseaux sociaux, qui pourraient rapprocher le groupe des particuliers, alors que son chiffre d’affaires, lui, dépend surtout des entreprises. Il a racheté LinkedIn en 2016, mais a raté TikTok (2020) et Discord (2021).
« Le capitalisme sans la concurrence, c’est de l’exploitation », dénonçait Joe Biden l’été dernier en renforçant la législation anti-trust. Les emplettes de Microsoft sont donc scrutées de près. Mais le plus grand danger ne vient sans doute pas de là. « Il y a un risque que d’autres grandes entreprises de la tech se mettent à investir dans le jeu vidéo. Elles pourraient tout bouleverser », confiait fin 2020 au Guardian Phil Spencer, le responsable de la Xbox.
La grande crainte de Microsoft ? C’est toujours d’être mis hors jeu par les GAFA.