Toujours plus vite. La 1G a démocratisé la téléphonie portable au début des années 1990, la 2G a permis l’envoi d’images. En 2007, la 3G a vu débarquer les applications. Encore plus puissante, la 4G a ouvert le règne de la vidéo sur mobile. Aujourd’hui, l’heure de la 5G a sonné, avec un débit de données multiplié par 10, voire 100, et un délai de latence inférieur au millième de seconde. Mais pour quoi faire ? À quoi bon cette puissance ? Quels usages, quelles promesses ? La 5G est elle une évolution technologique de plus ou une révolution ?
Des véhicules sans chauffeurs
Une règle non écrite veut qu’une technologie s’impose quand les utilisateurs déterminent des usages nouveaux qui deviennent indispensables : les « killApps » (applications dont on ne peut pas se passer). Le SMS, la photo ou le GPS sont des « killApps », des applications disruptives devenues indispensables. Il y aura donc un avant et un après la 5G, car sa puissance promet une floraison de « killApps ».
Avec, d’abord, les transports autonomes, tous les engins possibles qui se dispenseront de conducteurs, de pilotes ou de marins. Les antennes du prochain réseau de télécommunication guideront les véhicules de point en point en analysant en continu les flux de circulation, la signalisation et tous les événements aléatoires possibles, par exemple un piéton surgissant de manière inattendue. Il ne s’agit pas de science-fiction. Les constructeurs procèdent depuis déjà cinq ans à des tests sur les routes américaines. Waymo, une filiale de Google, annonce pour « bientôt » une compagnie de taxis sans chauffeurs à Singapour.
Une technologie de très hautes fréquences

Les communications radioélectriques transitent par des fréquences, divisées en bandes hertziennes. Ces bandes ont chacune une longueur d’onde différente. Plus la fréquence est importante, plus les volumes de communication augmentent. La radio FM exploite des bandes « métriques » à très hautes fréquences comprises entre 30 et 300 MHz. La 5G sera portée sur des bandes millimétriques, entre 30 et 300 GHz (mille fois plus) qui assurent un débit de données jusqu’à 10 Gbit/s, c’est-à-dire de 10 à 100 fois plus que le réseau 4G, avec un délai de latence d’un millième de seconde, garantissant une connexion de facto instantanée.
Problème : plus les volumes transmis augmentent, moins les antennes relais portent loin. Les opérateurs vont devoir déployer une panoplie d’antennes spécifiques reliées par un réseau colossal en fibre optique.
Où en est la France ?
La France a lancé sa procédure d'attribution des fréquences 5G. L'Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) a en effet dévoilé ce 15 juillet une première version de son cahier des charges pour l'attribution des fréquences aux quatre grands opérateurs présents sur le territoire - Orange, SFR, Free et Bouygues Telecom. Le Président de l'Arcep, Sébastien Sorano a reconnu que la France n'était "pas dans les premiers" en Europe mais a assuré qu'elle "n'était pas en retard" non plus. Le "gendarme des télécoms" espère que les grandes villes françaises seront équipées d'ici la fin 2020.
Pas de limite au volume de données
Les experts pronostiquent un boom de la vidéo : tournages de films à 360° et affichage ultrarapide en très haute définition (4K ou 8K), des opérations qui exigent aujourd’hui de s’armer de patience. Selon Stéphane Richard, le président d’Orange, « la 5G permettra d’avoir un gigabit de débit partout. C’est quasi sans limites en termes de volume de données, de latence, c’est-à-dire sans limite pour la vitesse à laquelle on pourra surfer sur Internet et voir des vidéos ».
Autre usage bientôt incontournable, l’objet connecté. En dehors des véhicules autonomes, pratiquement tous les objets ont vocation à devenir connectés, de la laisse du chien à la machine à coudre, en passant par la batterie de cuisine, les oreillers, la tondeuse à gazon, les vêtements et les boîtes de conserve, l’écoute de musique en ligne et la brosse à dents.
Reconnaissons que les objets connectés actuels n’ont pas toujours convaincu. Les consommateurs ne se sont pas rués sur les machines à laver et réfrigérateurs connectés qui existent déjà. Pour le public, il s’agit de gadgets onéreux et inutiles. En revanche, nos smartphones et nos PC actuels, y compris les plus performants, ressembleront vite à de vieilles guimbardes sans la 5G. Les marques peuvent donc se frotter les mains.
L’usine 4.0
Le secteur de la machine-outil en profitera aussi. Toujours selon Stéphane Richard, « la 5G est un réseau qui permettra de connecter les voitures autonomes, les robots qui vont nous opérer dans des blocs opératoires et tant d’autres usages qu’on ne connaît pas encore ».
Avec la 5G, les chirurgiens procèderont à des opérations impensables aujourd’hui. Des armées de robots remplaceront ce qu’il reste d’ouvriers. Des bataillons de machines s’agiteront dans des entrepôts géants sans manutentionnaires. Il ne s’agit pas non plus de science-fiction.
La prochaine usine, l’usine 4.0, abritera des chaînes de montage intégralement automatisées. Chez le constructeur d’automobiles américain Tesla, ou au sein des entrepôts géants d’Amazon, leader de la vente en ligne, des centaines de milliers d’appareils travaillent déjà jour et nuit sans protester sur la dureté des cadences, la faiblesse des salaires ou le manque de vacances…
Assorties de modules d’intelligence artificielle auto-apprenante, plus ces machines seront utilisées, mieux elles rempliront leurs tâches. Elles pourront même prendre des initiatives et suggérer des solutions.
Un impact économique majeur
Plusieurs pays comme la Corée du Sud, les Etats-Unis, l'Espagne ou encore la Finlande ont déjà commencé à équiper leurs réseaux depuis le début de l'année 2019. Selon l’industriel suédois Ericsson, en 2023, 20 % de la population mondiale sera raccordée à la 5G.
Une étude conduite par le cabinet britannique IHS Markit annonce des chiffres stupéfiants : d’ici 2035, la 5G permettra à l’économie mondiale de faire un bond de 12 300 milliards de dollars et de créer 22 millions d’emplois. La France profitera d’un apport de 85 milliards de dollars et de 400 000 emplois.
20 %
De la population pourraient être raccordés à la 5G d’ici 2023, selon l’industriel suédois Ericsson.
Il reste encore un point à régler : la sécurité. Si des mafieux profitant des performances du réseau 5G arrivent à pénétrer les défenses informatiques, on peut craindre le pire : blocage des transports, chantage sur les industriels et les particuliers et menaces en tout genre. Une fois de plus… ce n’est pas de la science-fiction.
« Les meilleurs imposeront leur modèle partout »
Deux questions à Jean-Luc Lemmens, directeur du pôle Télécoms d’IDATE DigiWorld, le principal centre de réflexion européen dédié au secteur des télécommunications. Il occupe une position stratégique privilégiée pour observer la bascule vers le prochain réseau 5G.
La 5G, une évolution ou une révolution ?
J.L. L. : Chaque évolution du réseau permet de nouveaux services, ce sont les utilisateurs qui inventent les usages et font le succès de la technologie. Aujourd’hui, nous savons que la 5G va transformer en profondeur des pans entiers de l’économie et, par conséquent, notre vie quotidienne. La 5G donnera naissance aux véhicules autonomes capables de rouler, de tourner, de doubler et, bien sûr, de freiner et de s’arrêter seuls et en toute sécurité. Tout le monde comprend le bouleversement que signifient des convois de camions ou d’automobiles sans chauffeurs.
Quels usages impacteront directement le grand public ?
J.L. L. : Avec la démultiplication des débits et à la contraction du délai de latence, il sera beaucoup plus simple d’exposer en direct des vidéos en très haute définition sur YouTube ou sur un réseau social. C’est déjà possible, mais l’exercice est long et fastidieux. Avec la 5G, il suffira de trois clics. Mais surtout, les terminaux deviendront des modems grand public qui risquent de reléguer les box et les antennes satellites au rayon des souvenirs.
Encore une fois, les usages conditionnent le marché. Les jeunes, par exemple, sont beaucoup plus intéressés par la vidéo à la demande (VoD ou SVoD) que par la télévision traditionnelle. Avec la 5G, cette tendance sera prépondérante. Les opérateurs de télévision et de télécommunication seront obligés de s’adapter et de proposer des formules commerciales nouvelles.
Arcep
Surnommée "gendarme des télécoms", l'Arcep est une autorité administrative indépendante qui "assure la connectivité du territoire, la compétitivité et la concurrence effectives et loyales entre les opérateurs, au bénéfice des utilisateurs finaux.”