L’intelligence artificielle ouvre la voie à un enseignement personnalisé et à une meilleure inclusion des élèves aux besoins spécifiques. C’est une EdTech, une technologie au service de l’éducation.
Direction Grenoble. Lia, élève de CE1, révise son cours d’algèbre grâce à Adaptiv’Math. Elle compte les billes contenues dans deux paniers, gagne des étoiles grâce à ses bonnes réponses et prend confiance dans sa progression.
Cette application est éditée par EvidenceB, une start-up parisienne. Son cofondateur, Thierry de Vulpillières, explique : « Nous conjuguons les sciences cognitives et l’intelligence artificielle pour analyser en temps réel le parcours de progression de l’élève. L’application cherche à identifier le moment où ce parcours se brise et propose à l’élève un apprentissage adapté à sa façon d’apprendre. »
Les applications d’enseignement incorporant de l’IA s’inspirent de notre méthode naturelle d’apprentissage : en expérimentant. « Elle réagit différemment selon qu’elle se trouve face à un élève qui aime les challenges ou face à celui que la compétition rebute », précise Gérard Giraudon, président du cluster EducAzur.
Le retard décelé plus vite
EvidenceB a également créé une application d’apprentissage du français baptisée Adaptiv’Langue.
Professeur de lettres au lycée Paul-Valéry, à Paris, Ahmed El Nahtawy l’utilise auprès de ses élèves depuis la rentrée 2020. Pour lui, l’application constitue « un bon outil complémentaire » surtout parce qu’elle propose un tableau de bord du suivi de la progression.
« Je perçois une avancée ou une difficulté en une à deux semaines, contre au moins trois semaines sans cet outil et je peux donc plus rapidement adapter ma méthode d’apprentissage », s’exclame-t-il.
L’algorithme aide aussi l’enseignant à définir de petits groupes d’élèves ayant des profils d’apprentissage communs. « L’IA aide à identifier plus tôt et de manière plus précise un changement de comportement de l’étudiant, il essaye alors de relancer son attention », décrit Rémi Venant, maître de conférences à l’université du Mans.
Six applications testées en France
Adaptiv’Langue est désormais mise à la disposition des professeurs de toute l’Île-de-France, portée par le soutien du conseil régional.
« Ce type d’application constitue un outil intéressant dans le cadre de la transformation numérique de l’enseignement. Il est important de soutenir leur création en France pour éviter de ne se retrouver qu’avec des applications d’origine étrangère sur le marché de l’enseignement aidé par l’IA », explique Bernard Giry, directeur des systèmes d’information et transformation numérique pour la région Île-de-France.
« S’intéresser à ce type d’application, c’est important, car on est voué à s’appuyer de plus en plus sur le numérique pour enseigner », souligne Ahmed El Nahtawy.
C’est en tout cas, effectivement, la volonté de l’Éducation nationale. Elle a débloqué une enveloppe de 16 millions d’euros sur la période 2019-2024 dans le cadre d’un partenariat d’innovation (P2IA) visant à soutenir la création d’applications d’enseignement des mathématiques et du français au primaire, incorporant de l’intelligence artificielle.

Adaptiv’Math, comme Kaligo, fait partie des six applications testées dans les écoles françaises dans ce cadre. « Il n’est pas question de remplacer, mais d’assister l’enseignant », glisse Audran Le Baron, à la tête de la direction du numérique pour l’éducation.
« L’IA va donner un autre regard à l’enseignant, l’inciter à aller voir un étudiant plus qu’un autre », abonde Rémi Venant. Qui met toutefois en garde : « L’enseignant ne doit pas uniquement se focaliser sur ce que l’application dit, il reste irremplaçable dans sa capacité à percevoir et à prendre en compte les émotions des élèves. » « L’IA est un instrument au service du professeur, le pilote qui définit une trajectoire pour chaque élève », résume Gérard Giraudon.
Les élèves français sont encouragés à apprendre avec l’intelligence artificielle. Ils vont aussi devoir apprendre sur l’IA pour la comprendre.
Enseigner la distance éthique
Au lycée parisien Paul-Valéry, les jeunes ont fait la connaissance du robot AlphAI. Ils assistent également à des conférences. Les prémices d’un projet de plus grande ampleur : ce lycée accueillera, en 2025, le premier campus dédié à l’intelligence artificielle, composé d’un espace de formation et de recherche, d’un autre de coworking et d’un incubateur de start-up.
« Notre but, c’est que les élèves disposent des compétences nécessaires à la compréhension du monde de demain. Ils doivent savoir utiliser l’IA, mais aussi la mettre à distance sur un plan éthique. La comprendre leur permettra d’avoir une utilisation intelligente et non aveugle de celle-ci », précise Françoise Sturbaut, la proviseure.
« L’intelligence artificielle va provoquer une transformation majeure du monde du travail. Pour en tirer parti et pour que ces jeunes deviennent des citoyens éclairés sur le sujet, l’enseignement a un rôle à jouer », ajoute Audran Le Baron. Un MOOC a été créé, en partenariat avec l’Inria, pour former les professeurs.
C’est aussi la mission de Margarida Romero, enseignante-chercheuse au laboratoire Innovation et numérique pour l’éducation à l’Université Côte d’Azur. Elle forme de futurs professeurs aux enjeux éducatifs de l’intelligence artificielle.
« Cela fait peur ! Les futurs enseignants sont souvent réticents, car ils perçoivent l’IA comme trop complexe. Mais il faut absolument dépasser cela, ils doivent être capables d’éduquer les élèves sur l’IA, car justement, la représentation de l’intelligence artificielle qu’ont les élèves est très faussée. Leur manque de culture numérique et informatique les rend vulnérables parce qu’ils ne savent pas comment les algorithmes de représentation fonctionnent réellement. Ils n’en perçoivent pas les biais. Il faut les pousser à devenir créateurs et décideurs du monde numérique, pas seulement consommateurs », poursuit-elle.
C’est là tout l’enjeu de l’éducation au numérique, y compris à l’intelligence artificielle.