Economie
OnlyFans : comment le réseau social phare du porno s’est saboté économiquement
Une semaine après avoir interdit la diffusion de contenu « sexuellement explicite » sur son réseau social, OnlyFans est revenu sur sa décision. Ce revirement brutal a rompu la relation de confiance entre la communauté d’acteurs et actrices porno et la plateforme, de quoi mettre en danger son business model.
Elena Garcia
© Represented by ZUMA Press, Inc./
« Ma principale source de revenu est morte. Vous n’avez aucune idée du nombre d’heures que j’ai pleuré. »
Quand l’entreprise britannique OnlyFans a annoncé au cœur du mois d’août qu’à partir du 1er octobre 2020 le partage de contenu pornographique, pourtant son activité principale, allait être interdit sur la plateforme, c’est la stupeur chez les travailleuses du sexe, comme McKatenz, une jeune Étatsunienne utilisatrice du réseau, qui monétisent leurs vidéos et photos sur la plateforme de financement participatif, sorte de Patreon du porno.
Face aux protestations des créatrices et créateurs de contenus auxquels peuvent s'abonner mensuellement leurs fans et à la menace sur sa survie économique, la plateforme est finalement revenue sur cette décision et a décidé de la « suspendre ».
Si OnlyFans n’a jamais mentionné explicitement le mot pornographie dans ses communiqués ou dans sa publicité, en quelques années, la plateforme s’est imposée comme réseau social phare du porno. Cette activité lui a permis un essor économique rapide, non sans poser aussi des problèmes de développement, en particulier avec ses investisseurs et partenaires financiers, d’où l’imbroglio de l’été.
Son fondateur et patron, Tim Stockely, a déclaré dans une interview accordée au Financial Times que la décision initiale de bannir le contenu pornographique sur le réseau social avait été prise suite à la pression « des banques », notamment Mastercard, qui a annoncé qu’à partir d’octobre 2021, ses clients dont les activités commerciales incluent des contenus à caractère sexuel, devront vérifier l’âge et l’identité des personnes mettant en ligne ces contenus, ainsi que celle des personnes apparaissant.
La pornographie, une entrave pour les investisseurs
OnlyFans, comme d’autres plateformes de streaming pornographique, dépend totalement des sociétés privées de paiement en ligne, dont Visa, Mastercard ou Paypal, intermédiaires entre les clients et la plateforme. Leur pouvoir sur les entreprises de commerce en ligne est telle que le blocage de leur service de paiement peut entraîner une baisse considérable du nombre de paiements en ligne.
Ces services intermédiaires ne veulent pas être associés aux entreprises pornographiques, car elles sont souvent accusées de ne pas modérer le type de contenu diffusé. C’est notamment le cas d’OnlyFans, qui selon une enquête de la BBC « a une certaine "tolérance" pour les comptes publiant du contenu illégal », dont de la pédopornographie et des vidéos de viols.
Des accusations graves qui ont soumis la plateforme à de fortes pressions de certains établissements bancaires. Dans l’interview accordée au Financial Times, Tim Stockely mentionne notamment la Bank of New York Mellon, qui aurait rejeté tout paiement en provenance de la plateforme et JPMorgan Chase, qui « ferme brutalement les comptes de travailleurs et travailleuses du sexe, ou de toute entreprise qui les soutient » souligne-t-il.
Pourtant en pleine croissance, l'entreprise a également du mal à attirer des investisseurs : certains fonds interdisent tout simplement les investissements dans des contenus pour adulte tandis que d’autres craignent que la plateforme n’attire jamais suffisamment de recettes publicitaires en raison de son activité et des difficultés pour les marques de s’y associer.
Les abonnements, clé de la réussite
Ce n’est pourtant pas la mauvaise santé économique d’OnlyFans qui refroidit les banques et les détenteurs de capitaux. Le chiffre d’affaires de l’entreprise britannique a augmenté de 553 % au cours de l’année précédante selon le Financial Times, et aujourd’hui la plateforme a dégagé 1,2 milliard de dollars de recettes nettes, selon Axios.
Cette réussite s’explique par un modèle économique basé sur les abonnements. Chaque créateur possède un compte privé, où il poste un contenu qui est exclusivement réservé à ses fans. Pour visualiser ce contenu, chaque fan paye un abonnement mensuel compris entre 5 et 50 dollars. En échange, OnlyFans prend 20 % de commission sur chaque abonnement.
Le site, qui est passé de 20 millions d’utilisateurs avant la pandémie de Covid-19 à 130 millions aujourd’hui, compte actuellement plus de 2 millions de créateurs qui ont gagné 3,2 milliards de dollars grâce aux abonnements de fans.
Absence de considération
Si les créateurs pourront finalement continuer à poster des clips vidéo et des photos à connotation explicitement sexuelles, le changement d’avis radical des dirigeants d’OnlyFans a indigné la communauté d’actrices et d’acteurs pornographiques. Nombreux à en tirer la majorité de leurs revenus, ils vivent désormais avec la menace que tout s’arrête brutalement.
Ils critiquent aussi le manque de reconnaissance de leur activité, pourtant essentielle dans la création de valeur d’OnlyFans, par les dirigeants de la plateforme.
« Depuis quelques jours, [les dirigeants d'OnlyFans] veulent se montrer solidaires avec la communauté de travailleurs et travailleuses du sexe alors que depuis cinq ans, ils n’avaient jamais parlé de nous !, explique indignée Khalamité, créatrice de contenu pour adultes sur OnlyFans. Ils ne mettent pas du tout en valeur les actrices. »
« La décision d’OnlyFans est un bon exemple de l’hypocrisie générale et de l’oppression des travailleuses du sexe. D’un côté, on nous utilise parce que tout le monde aime nos services, de l’autre, une fois que la plateforme a assez de succès, on nous censure et on nous jette », a notamment dénoncé sur Twitter le Syndicat du travail sexuel.
Les cryptomonnaies comme alternatives ?
La plateforme aura fort à faire pour retrouver la confiance de toutes les parties prenantes. L’image de l’entreprise est ressortie durablement écornée par l’épisode, tant autant auprès des abonnés que des créateurs. « OnlyFans mérite de perdre le monopole, ainsi que le respect (et l’amour) dont il jouissait autrefois pour traiter ses créateurs comme du bétail », a répondu à la marque un usager sur Twitter.
« Le problème est que même si on reste, on n’a plus confiance en eux », lâche Khalamité.
Éco-mots
Partie prenante
Acteur, individuel ou collectif (groupe ou organisation), activement ou passivement concerné par une décision ou un projet ; c’est-à-dire dont les intérêts peuvent être affectés positivement ou négativement à la suite de son exécution (ou de sa non-exécution).
Au-delà du risque de voir partir des créateurs de contenu et leurs abonnés de la plateforme, l’entreprise n’a toujours pas communiqué sur la façon dont elle envisage de répondre à la problématique des paiements en ligne, face aux politiques des grandes entreprises bancaires.
« Il est évident que les cryptomonnaies, avec leur système de paiement décentralisé, vont être la solution », a pronostiqué à l’AFP l’actrice britannique Adreena Winters, également présente sur un nouveau site X qui accepte ce mode de règlement alternatif.
Éco-mots
Actif numérique virtuel, pas une véritable monnaie, qui repose sur la technologie de la blockchain et un protocole informatique crypté. Il permet des transactions sans frais et de manière anonyme.
Éco-mots
Technologie transparente et sécurisée de stockage et de transmission d’informations, qui fonctionne sans organe central de contrôle.
En attendant, une partie des créateurs a annoncé se désinscrire pour rejoindre une plateforme concurrente. Et l’avenir d’OnlyFans apparaît comme bien incertain.
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