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Philippe Aghion : « Si j’étais président… j’investirais dans l’innovation et la jeunesse, mais pas sans contreparties »
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Philippe Aghion : « Si j’étais président… j’investirais dans l’innovation et la jeunesse, mais pas sans contreparties »
S'il était président de la République le temps d’une (longue) journée, Philippe Aghion, professeur au Collège de France et membre du Cercle des économistes, investirait dans l’innovation et la jeunesse pour redynamiser la croissance à long terme.
Philippe Aghion, (propos recueillis et retranscrits par Clément Rouget)
© Glasshouse / Le cercle des Économistes
Philippe Aghion, est professeur au Collège de France, membre du Cercle des économistes et associé à l’Ecole d’économie de Paris. Ses travaux portent principalement sur la théorie de la croissance et l’économie de l’innovation.
J’agis sur plusieurs fronts.
Le premier, c’est la réindustrialisation de la France par l’innovation. Je crée l’initiative de créer, des agences à vocation européenne. qui ont pour missions d’investir pour relever les défis de demain, l’équivalent des "Darpa" et "Barda" américaines, dans des grands domaines comme l’énergie, la santé et le numérique.
Éco-mots
Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA) (« Agence pour les projets de recherche avancée de défense »)
Agence du département de la Défense des États-Unis chargée de la recherche et développement des nouvelles technologies destinées à un usage militaire. Elle a été à l’origine du développement de nombreuses technologies qui ont eu des conséquences considérables dans le monde entier dont les réseaux informatiques (notamment l’ARPANET qui a fini par devenir Internet). Elle est créée à la suite du lancement du satellite soviétique Spoutnik en 1957, vu comme un échec scientifique par les États-Unis.
Éco-mots
Biomedical Advanced Research and Development Authority (BARDA)
Bureau du département de la Santé et des Services sociaux des États-Unis (HHS) chargé de l’acquisition et du développement de contre-mesures médicales, principalement contre le bioterrorisme, y compris les menaces nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC), ainsi que la grippe pandémique et les maladies émergentes.
Le Covid a montré que nous avions beaucoup perdu en termes d’industrialisation. C’est la conséquence d’une perte en termes d’innovation. J'ai tout un plan pour investir partout dans l’innovation, à tous les stades, et notamment dans la recherche fondamentale.
Un revenu universel pour les jeunes
Le second c’est la jeunesse. Je crée un revenu universel pour les jeunes de 18-25 ans de 800 euros (APL + 500 euros), mais il exige des contreparties.
Il y a une jambe étudiante. Pour ça, il faut étudier et passer ses examens. Si l’étudiant prend plus que six mois de retard sur ses études, il ne touche plus l’allocation. Et s’il rattrape son retard, il la touche de nouveau, de façon à s’assurer que l’étudiant travaille.
Il y a la jambe “apprentissage”. Quand l’apprenti travaille en entreprise, il touche le revenu en plus. S’il arrête, il ne le touche plus.
Et il y a la jambe insertion, qui est une extension de la garantie jeune pour ceux qui ne sont ni en études, ni en apprentissage.
Il y a plein d’autres dispositifs actuellement. Je les fédère et je fais une garantie jeune généralisée. Il y a une obligation de travailler 10-12 heures et un fort suivi : soit le jeune trouve un emploi par lui-même, soit l’État lui en trouve un.
C’est un parcours d’insertion. Et les jeunes peuvent passer de l’un des parcours à un autre, jusqu’à 25 ans.
Éco-mots
Garantie jeune
Droit ouvert qui s’adresse aux jeunes de 16 ans à moins de 26 ans, en situation de précarité qui ne sont ni en emploi, ni en formation, ni en étude (NEET), pour favoriser leur insertion dans l’emploi. La Garantie jeune est mise en œuvre par les missions locales.
À lire : Les missions locales, un accompagnement vers l’emploi nécessaire pour les jeunes
Dans l’éducation, je crée aussi, surtout dans les zones défavorisées, des internats d’excellence, où les jeunes passent toute la journée à l’école, jusqu’à 20 heures le soir. Ils y prennent les deux repas, ont un tuteur pour les devoirs, l’accent est mis sur la discipline, le calcul et l’orthographe.
La jeunesse a été la grande sacrifiée de la crise sanitaire. Il faut un grand pas social vers les jeunes. Je donne une autonomie aux jeunes. C’est un co-investissement dans le capital humain. C’est un investissement de croissance.
À lire : Nemat Shafik : "Investir sur les jeunes est la politique économique la plus juste et efficace"
Suivre des indicateurs et obtenir des résultats
De nombreuses études montrent que les investissements dans l’éducation, l’éducation supérieure, la recherche sont des investissements de croissance.
Il y a déjà des évaluations, mais en plus, je m’assure que les investissements soient suivis de résultats. Par exemple, dans l’éducation, je veux des tests Pisa qui s’améliorent.
Dans la recherche, je veux des brevets ou des classements dans les universités qui s’améliorent. Il y aurait toujours à la clé des indicateurs qui doivent s’améliorer. On irait regarder de près la performance.
À lire : Xavier Jaravel : « Si elle veut innover, la France doit sortir de son déclin éducatif »
Le troisième front est de repenser la comptabilité des investissements dans le cadre européen. Dans les corollaires de l’application du traité, je fais valoir que les investissements de croissance ne doivent pas être comptés de la même manière que les transferts sociaux. La manière d’interpréter le traité de Maastricht doit changer.
Emmanuel Macron a fait un certain nombre de réformes structurelles importantes, qui ont donné plus de flexibilité et de dynamisme à l’économie comme la flat tax qui nous a mis au niveau des autres, les réformes Pénicaud sur la formation professionnelle et le Code du travail…
Éco-mots
Flat tax (ou “prélèvement forfaitaire unique” - PFU)
Impôt proportionnel français créé en 2018, qui s’applique à hauteur de 30 % du montant des revenus taxés. Il s’applique, en complément de l’impôt progressif sur le revenu, à une partie des revenus du capital : les revenus des biens mobiliers, comme les actions, les plans d’épargne logement, etc.
Mais là, maintenant, en ciblant bien les secteurs - santé, transformation numérique, énergie et éducation - nous en sommes au stade des réformes volontaires et d’investissement direct dans la croissance.