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Les NFT sont-ils une bulle ou le futur de l'art ?
Futur et Tech
Les NFT sont-ils une bulle ou le futur de l'art ?
Sélection abonnésCertaines des œuvres adossées à ces « jetons non-fongibles » s'échangent plusieurs millions de dollars, les startups qui exploitent les NFT ont le vent en poupe... Les investisseurs ont-ils raison de s'enthousiasmer ainsi ?
Pierre Garrigues
© Solana Monkey Business
Les « NFT bros », ces internautes qui, inspirés par les « crypto-bros », ne jurent que par les NFT, sont en guerre. Une bataille acharnée, féroce, dont le règlement n’interdit pas les coups sous la ceinture, contre leurs ultimes Némésis : les « right-click savers ». Oui, oui : celles et ceux qui sauvegardent des images d’un simple clic droit de leur souris.
Une sorte d’activisme 2.0 qui consiste simplement à nier le principe de base de ces « Non-Fungible Tokens », ou NFT, des jetons numériques qui authentifient une propriété informatique. Grâce à ces programmes, un bien – qui peut prendre n’importe quelle forme : par exemple, une image au format .jpg ou encore un gif – reçoit une adresse unique qui l’inscrit dans la blockchain.
Un NFT n’est donc pas un fichier, mais un code pointant de la blockchain vers une œuvre, ce qui signifie que n’importe quelle production numérique peut faire l’objet d’un NFT.
Les « NFT bros », ces internautes qui, inspirés par les « crypto-bros », ne jurent que par les NFT, sont en guerre. Une bataille acharnée, féroce, dont le règlement n’interdit pas les coups sous la ceinture, contre leurs ultimes Némésis : les « right-click savers ». Oui, oui : celles et ceux qui sauvegardent des images d’un simple clic droit de leur souris.
Une sorte d’activisme 2.0 qui consiste simplement à nier le principe de base de ces « Non-Fungible Tokens », ou NFT, des jetons numériques qui authentifient une propriété informatique. Grâce à ces programmes, un bien – qui peut prendre n’importe quelle forme : par exemple, une image au format .jpg ou encore un gif – reçoit une adresse unique qui l’inscrit dans la blockchain.
Un NFT n’est donc pas un fichier, mais un code pointant de la blockchain vers une œuvre, ce qui signifie que n’importe quelle production numérique peut faire l’objet d’un NFT.
Éco-mots
Blockchain
Base de données transparente et sécurisée, sans intermédiaire, détenue simultanément par tous ceux qui figurent dans ce registre. Elle fonctionne grâce à un protocole informatique pré-défini. Dans le cas des cryptomonnaies, elle contient l’historique de toutes les transactions.
Les « right-click savers » ne l’entendent pas de cette oreille. Pour eux, ce principe d’appropriation n’a pas sa place sur Internet. Alors, lorsqu’un adepte des NFT poste sa dernière acquisition sur les réseaux sociaux – un « Solana Monkey », par exemple : on y revient –, le « right-click saver », d’un clic adroit, sauvegarde dans ses documents l’image, pour mieux narguer le NFT bro.
Alors, à quoi bon débourser autant d’argent pour des amas de pixels… gratuits ? Oui, « autant d’argent ». Prenez ce Solana Monkey coiffé d’une couronne, par exemple. Comme 5000 autres images de singes 8-bit, dont seuls le coloris et l’accoutrement diffèrent d’un primate à l’autre, il fait partie de la série « Solana Monkey Business ». Il a donc été généré aléatoirement, est unique, et est hébergé sur la blockchain. Ah, et début octobre, il est devenu le NFT le plus cher de la collection en s’échangeant à 2 millions de dollars.
Les autres chimpanzés valent en moyenne 63 000 dollars. Des sommes classiques, sur le marché des NFT, où les transactions ne s’effectuent généralement qu’en cryptomonnaies.
La justification de ces sommes exorbitantes se trouve peut-être dans ce tweet de cet internaute qui se définit dans sa bio Twitter comme un « créateur et collectionneur de NFT ». « Je reviens du Louvre », écrit-il sarcastiquement. « J’y ai pris une photo de la Mona Lisa sur mon téléphone, et l’ai sauvegardée. Je suis désormais le fier détenteur de la vraie toile, et je peux la vendre des millions ! C’est comme ça que ça marche, pas vrai ? »
« Dans une certaine mesure, le marché de l’art NFT est similaire au marché de l’art traditionnel », estime Nadya Ivanova, directrice des opérations de L’Atelier BNP Paribas et experte des nouvelles technologies financières. « Des artistes créent un concept, qu’ils vendent pour un revenu. Comme dans le marché de l’art, bien que les œuvres ne puissent être copiées et dupliquées, il n’y a qu’un original et la propriété de l’original peut être prouvée, ce qui confère à l’œuvre originale sa valeur. »
C’est pour cette raison que les NFT attirent tant les artistes. D’autant qu’il est possible d’intégrer au code du NFT une clause garantissant au créateur originel une redevance, une « royalty » à chaque revente de l’œuvre. « Cette simple fonctionnalité pourrait révolutionner la façon dont les créateurs monétisent leur art », croit Nadya Ivanova.
Éco-mots
Royalty
Somme payée à un auteur ou propriétaire, par son utilisateur, en échange de l’utilisation d’une propriété matérielle ou intellectuelle.
Le NFT le plus cher de l’Histoire – à l’heure où nous écrivons ces lignes – est d’ailleurs celle de l’artiste américain Mike « Beeple » Winkelmann, un montage carré de 21 079 x 21 069 pixels intitulé Everydays: the First 5000 Days. L’image est composée d’images assemblées pendant 5000 jours consécutifs, bien sûr entièrement numérique… et a été adugée en mars 2021 par la prestigieuse maison d'enchères Christie’s pour 69,3 millions de dollars.
Everydays : The First 5 000 Days
Beeple, 2021
oeuvre numérique vectorielle, Digital (JPEG)
Comment expliquer ces prix ? « Il n’existe pas encore de manière efficace d’estimer le prix d’un NFT », explique Nadya Ivanova. La relative jeunesse des NFT, réellement popularisés fin 2017 grâce au jeu CryptoKitties – il permettait aux joueurs d’élever des chatons virtuels –, est ici en cause : faute de transactions nombreuses, les NFT bros ne disposent pas d’éléments de comparaison suffisants. « Par ailleurs », poursuit Nadya Ivanova, « les prix des NFT sont souvent affectés non seulement par l'offre et la demande, mais aussi par des effets de réseau, par des facteurs psychologiques, par le pouvoir de marque des créateurs, des communautés ou des investisseurs, et même par les bots et par la spéculation. »
Tous ces aspects concourent à une forte volatilité du cours des NFT, et de nombreuses déconvenues parsèment les rangs des NFT bros. D’après un article de Bloomberg, la collection de NFT de la chanteuse américaine Grimes lui a rapport en à peine 20 minutes 5,8 millions de dollars : mais depuis, les pièces de cette collection, échangées le jour de leur sortie à 7500 dollars, sont tombées à… 1200 dollars.
Éco-mots
Volatilité
Amplitude des variations de la valeur d’un bien sur un marché. Si cette valeur augmente et descend régulièrement et de manière importante, on dit que le bien est volatil.
Une baisse de 84 %, loin d’être isolée, qui résulte de deux facteurs : d’une part, la mésestimation de la valeur réelle des œuvres échangées sous forme de NFT ; d’autre part, la mauvaise liquidité des œuvres, qui, parce qu’elles sont difficilement revendables, perdent rapidement de la valeur.
« Les NFT sont expérimentaux et très risqués », signale Nadya Ivanova. « Parce que les NFT sont si faciles à créer et à acheter, il existe un large éventail de NFT en termes de qualité et de potentiel commercial. Cela nécessite un certain niveau de connaissances pour naviguer avec succès sur le marché NFT en tant qu'acheteur. »
Pour le moment, le marché du NFT ne cesse de croître. « Le marché du NFT a triplé de taille en 2020, la valeur totale des transactions augmentant de 299 % sur un an pour atteindre plus de 250 millions de dollars. Depuis, nous avons vu le marché du NFT croître de façon exponentielle en 2021 pour atteindre des valeurs de plusieurs milliards de dollars », résume Nadya Ivanova.
Elle l’explique notamment par l’explosion du nombre de « crypto-investisseurs », appâtés par des opportunités d’investissements en marge du système financier traditionnel – qui, indique-t-elle, ont un goût du risque aiguisé.
L’engouement pour les NFT pourrait-il atteindre le niveau de l’emballement ? En septembre 2021, la société Sorare a battu le record de la plus grosse levée de fonds jamais réalisée en France, avec 580 millions d’euros à la fin du tour de table, pour une valorisation totale de 4,3 milliards de dollars. Et ce, en proposant… des cartes Panini virtuelles.
Les utilisateurs de Sorare achètent aux enchères des cartes virtuelles de joueurs de football.
Sorare est un jeu vidéo de fantasy football, dans lesquels joueuses et joueurs peuvent créer et gérer leur équipe virtuelle. Chaque footballeur est représenté par une carte virtuelle, adossé à la blockchain. Le jeu vidéo est l’un des secteurs les plus attractifs pour les créateurs de NFT.
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« Ces cartes numériques peuvent s’échanger sur une bourse d’échanges électroniques avec un système d’enchères », précise Olivier Bossard, professeur de finance à HEC Paris. « La quantité limitée de ces cartes en circulation, et leur rareté savamment contrôlée par Sorare, est garantie par le mécanisme de la blockchain. »
580 millions d’euros… pour ça ? « Sorare n’a rien inventé technologiquement », s’étonne ainsi Olivier Bossard. Il ne s’agit là que d’une simple utilisation des NFT pour recréer un marché de collectionneur, qui profite certes à certains, mais n’a rien à voir avec « une offre de service adaptable à d’autres domaines, selon M Bossard. « C'est le fameux concept du BaaS, pour Blockchain as a service, que le géant chinois Alibaba a très bien assimilé et qui permet justement à de telles entreprises d’offrir l’utilisation de leur plateforme sous forme d’architecture ouverte et programmable. »
Quant à l’apparition d’une potentielle bulle spéculative, Nadya Ivanova conclut : « Les NFT en sont encore à leurs balbutiements et il n'est pas rare que les jeunes marchés, comme celui des cryptomonnaies, qui s’est effondré en 2016-2017 avant de se redresser, soient volatils et dominés par l'activité spéculative. Le marché des NFT a une tendance à la hausse, mais il y aura inévitablement une correction du marché, bien qu'il soit difficile de dire quelle forme cela prendra. »
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