Pour devenir incontournables dans la vie quotidienne des 500 millions de consommateurs européens, les GAFA ne négligent rien. Ils sont de grands connaisseurs des coulisses du théâtre d’ombres européen, où se nouent accords et désaccords, où les textes législatifs et directives s’élaborent, et où se forgent des alliances entre les 28 pays de l’Union pour voter ou rejeter tel ou tel projet. Le lobbying a parfaitement droit de cité dans la capitale européenne, où il est reconnu et même revendiqué.
Les chiffres de l’influence
Cela n’a pas échappé à Google, Apple, Facebook et Amazon… Les quatre multinationales de la donnée ont installé des équipes entières à l’ombre de Berlaymont, le siège de la commission. Le « registre de la transparence », qui recense les lobbyistes en contact avec la commission, permet d’avoir une idée des moyens mis en œuvre pour peser en coulisses sur les décisions : pour Google, un budget de 6 millions d’euros en 2017 (six fois plus qu’en 2011), une équipe de 15 personnes renforcée par des experts qui travaillent ponctuellement sur tel ou tel dossier, plus de 200 réunions ou rencontres signalées entre le 1er décembre 2014 et le 17 avril 2019.
Facebook affiche un budget deux fois moindre, mais aligne une équipe de 20 personnes (10 emplois équivalent temps plein) et affiche plus de 100 réunions sur la même période. Amazon mobilise 10 personnes sur place (4,2 ETP), un budget de près de 2 millions d’euros, pour 58 réunions. Apple ferme la marche avec seulement six personnes (3,2 ETP), un budget d’un peu plus d’un million et 38 réunions.
Quand la commissaire sévit
Un déploiement de moyens considérable, à la hauteur de la pression européenne. Bruxelles veut réglementer davantage les GAFA – en particulier l’utilisation des données personnelles – revoir leurs avantages fiscaux, mieux protéger le droit d’auteur et lutter contre les abus de position dominante. Voilà quatre chantiers européens que conduit d’une main de fer la commissaire à la concurrence, la Danoise Margrethe Vestager.
Elle affronte sans relâche le quatuor américain. En 2017, Google s’est vu infliger une première amende de 2,42 milliards d’euros pour abus de position dominante. Une autre, de 4,34 milliards d’euros cette fois, a suivi en juillet 2018 pour sanctionner Android, le système d’exploitation gratuit développé par Google et dont le quasi-monopole a verrouillé la concurrence des moteurs de recherche et des navigateurs dans l’Internet mobile. Enfin, en mars dernier, Google a écopé d’une troisième amende de 1,49 milliard d’euros pour abus de position dominante de sa régie publicitaire, AdSense.
Apple, de son côté, a dû s’acquitter en 2016 d’une note de 13 milliards d’euros à rembourser à la République d’Irlande, un paradis fiscal où le siège européen du groupe est installé. Bruxelles reproche aux intéressés des aides indûment perçues et des arriérés fiscaux.
Même chose pour Amazon, sommé de rembourser 250 millions d’euros au Luxembourg. Facebook n’a pas eu d’ardoise à régler, mais le groupe de Mark Zuckerberg a dû sérieusement revoir sa copie face aux injonctions de la Commission. En février 2018, il lui a été demandé d’informer ses utilisateurs sur la façon dont il se finançait et quels revenus provenaient de l’exploitation de leurs données personnelles. Une injonction suivie d’effets puisque Facebook a rendu publiques ses conditions d’utilisation à l’intention de ses deux milliards de membres.
Alliés contre les taxes
Autre bataille qui se livre à Bruxelles contre les multinationales du numérique : celle de la fiscalité. En effet, grâce aux disparités fiscales en Europe, les géants du numérique peuvent s’installer là où la fiscalité sera la plus légère – même s’ils déploient leurs produits et services à travers toute l’Europe. Facebook et Google sont implantés en Irlande, Amazon au Luxembourg, Apple faisant exception à la règle (son siège est à Paris).
Selon les estimations de la Commission, les entreprises du numérique paieraient deux fois moins d’impôts que les autres entreprises. D’où l’idée de créer une « taxe sur les services numériques » – la fameuse taxe GAFA – de 3 % du chiffre d’affaires.
Las, faute d’un vote à l’unanimité (obligatoire en matière fiscale) le projet a été rejeté. Face aux 28 États membres, dont les intérêts divergent, gageons que le lobbying des quatre multinationales américaines – dont les intérêts eux, étaient convergents – a joué à plein. La France est un des pays qui comptent l’appliquer.