Economie

Quand l’intelligence artificielle s’invite dans le recrutement des entreprises

L’IA s’infiltre de plus en plus dans l’entreprise et va changer en profondeur l’organisation du travail. Les RH ne sont pas le secteur le plus en pointe, mais des outils apparaissent pour aider au recrutement.

Aude David
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© Getty Images/iStockphoto

« On dirait un collègue chargé de recrutement qui nous assiste dans la préparation des candidatures. » De qui s’agit-il ? De Randy, le « chatbot » d’aide au recrutement de la société d’intérim Randstad. D’après le directeur des systèmes d’information, Christophe Montagnon, c’est ainsi que les conseillers les plus à l’aise avec l’assistant virtuel le considèrent.

Éco-mots

« Chatbot »

Programme qui peut converser avec un humain, sous forme écrite ou plus rarement orale (« voicebot »).

Depuis quelques années, l’intelligence artificielle est de plus en plus présente dans les entreprises. « Certains secteurs sont très en avance (marketing, industrie 4.0, supply chain), d’autres sont en retard, comme les RH ou le management », assure Cécile Dejoux, professeure des universités au Cnam.

Éco-mots

Intelligence artificielle

Simulation et reproduction de l’intelligence humaine par des machines. Un programme d’IA à qui on fournit les données nécessaires est capable de capter des flux d’informations (visuels, textuels, sonores), de mémoriser, apprendre et représenter la connaissance, d’effectuer des calculs, de communiquer et d’exécuter des actions.

En Chiffres

27 %

des entreprises de plus de 50 salariés ont des logiciels pour scanner les profils des candidats (source : Apec, 2019)

Des solutions voient le jour dans la gestion des ressources humaines. Tel Randy, le « chatbot » de Randstad qui présélectionne les candidats.

« On cherchait à renouveler l’expérience candidat, explique Christophe Montagnon. Le recrutement traditionnel est peu transparent. Avec le “chatbot”, beaucoup d’éléments sont tout de suite mis à la disposition du candidat, qui enclenche le processus de recrutement quand il le souhaite. Cela prend une vingtaine de minutes et le recruteur a les présélections immédiatement après. Cette rapidité réduit le risque de voir les meilleurs candidats s’échapper. »

Il propose des tests personnalisés, vous donne vos chances par rapport aux autres candidats, les postes pouvant vous correspondre, questionne sur les conditions de travail recherchées, indique si le CV va être transmis au recruteur humain. Puis il demande au candidat de réaliser une vidéo de présentation pour « sortir des “compétences métier”, afin que le recruteur capte la personnalité du postulant. Cela peut changer la donne et l’algorithme ne sait pas faire ».

À voir : Recruter à l’instinct comme Dominic Cummings, stratège du Brexit

Différentes pistes sont envisagées pour développer ces fonctionnalités de la machine, mais « on ne veut pas étendre sa responsabilité de sélection, affirme Christophe Montagnon, la décision finale doit revenir aux humains. »

En Chiffres

14 %

Part des recruteurs qui utilisent l’intelligence artificielle (source : Robert Walters, étude de 2019)

Indispensables : les experts métiers

L’IA ne rend pas l’entreprise plus efficace par magie. Chez Randstad, des experts en recrutement, intégrés aux équipes, élaborent les tests de présélection à partir de leurs connaissances des métiers. « Deux projets sur trois échouent parce que les experts métiers ne sont pas associés », confirme Cécile Dejoux.

« Si les candidats sont très satisfaits, en interne, l’adhésion est répartie entre les enthousiastes, les attentistes et les réfractaires, explique Christophe Montagnon. Les recruteurs doivent prendre confiance dans l’outil. Nous avons donc organisé des sessions de “design thinking” avec les opérationnels, puis des ateliers en agence. »

Éco-mots

« Design thinking »

Méthode de gestion de l’innovation élaborée à l’université Stanford, dans les années 1980, par Rolf Faste. Cette synthèse entre pensée analytique et pensée intuitiverepose sur la co-créativité.

Les limites de l’IA

Pour Stéphane Roder, dirigeant d’AI Builders qui accompagne les entreprises dans l’utilisation de l’IA, « il faut comprendre pour accepter. Et il faut impliquer le comité de direction pour impulser un changement : si ça ne vient pas de son chef, on n’accepte pas. » Et l’IA doit résoudre un vrai problème, pas seulement être un gadget.

L’Association pour l’emploi des cadres (Apec) a conduit une étude sur l’utilisation de l’IA dans le recrutement. Il en ressort qu’elle est principalement utilisée pour la présélection, le « matching », le tri de CV et le suivi de candidatures.

« Elle est complémentaire de l’être humain : elle ne s’y oppose ni ne s’y substitue, constate Pierre Lamblin, directeur Études. L’humain reste nécessaire pour rencontrer les candidats et évaluer les attitudes, le relationnel. La sélection finale revient à l’humain car cela fait appel au feeling, à la personnalité… »

L’Oréal, par exemple, a rapidement renoncé à confier le premier entretien de recrutement à une IA. L’Apec note qu’elle est plus utilisée dans les grandes entreprises « où l’IA permet un réel gain de temps et un emploi des recruteurs à des tâches à plus forte valeur ajoutée : accompagnement des collaborateurs, gestion de carrière ».

Pour les PME, vu son coût, l’IA ne semble pas toujours pertinente. « A-t-on besoin d’un logiciel d’IA quand on recrute une personne par an ? », demande Pierre Lamblin. Il constate par ailleurs que souvent, l’IA n’est pas la priorité des recruteurs.

Dans tous les cas, « le RH n’a pas besoin d’être un expert de la data, mais il doit savoir dialoguer et être sensibilisé. »

Nos biais se retrouvent dans la machine

L’IA suscite des peurs et on lui prête plus de pouvoirs qu’elle n’en a. L’une des principales craintes, c’est la destruction d’emplois. Certaines prévisions évoquent un équilibrage entre créations et destructions, mais dans des secteurs différents, avec un risque pour les métiers à faible valeur ajoutée.

« L’IA va peut-être remplacer les caissiers, il faut les former tout de suite à d’autres tâches, comme l’animation des rayons ou les démonstrations de produits », explique Cécile Dejoux.

À lire : L’IA ne détruira pas nos emplois, elle va les augmenter !

Ce qui nécessite une transition orchestrée à la fois par les pouvoirs publics et par les entreprises. Pour l’experte, il faut « développer ses compétences de centrage (attention, mémoire, gestion du temps) pour garder sa valeur ajoutée face à l’IA, et avoir une vision éthique de celle-ci ».

L’IA biaise-t-elle le recrutement ? L’Apec pointe, dans son étude consacrée au sujet, le risque de clonage et de discrimination. « L’IA se base sur le passé pour faire des prédictions statistiques, elle ne peut pas prévoir le futur sans éléments de référence », prévient Stéphane Roder, spécialiste de l’IA. Si tous les candidats retenus à un poste par le passé ont été des hommes, les algorithmes risquent de considérer que, pour ce poste, les meilleurs profils sont masculins. C’est arrivé chez Amazon. De plus, l’IA peut refléter les préjugés, conscients ou pas, de ceux qui la conçoivent, notamment dans les critères de sélection.

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